Chaque Vendredi saint, les fidèles ont la chance d'entendre proclamer le récit de la Passion dans l'Évangile de Jean. La Passion offre un modèle de croissance dans la sainteté.
1LA CONVERSION SE PRODUIT AU NIVEAU DU DÉSIR
Ce n'est pas une coïncidence si les premiers mots prononcés par Jésus dans le récit de la Passion font écho aux premiers mots de Jésus au début de l'Évangile de Jean. Dans le récit de la Passion, Jésus dit à Judas et aux soldats : "Qui cherchez-vous ?" (Jn 18,7) Au début de l'Évangile, Jésus demande aux disciples de Jean-Baptiste venus à lui : "Que cherchez-vous ?" (Jn 1,38) Dans les deux cas, la réponse est la même : Jésus-Christ.
Pourquoi Jésus pose-t-il cette question ? Parce que la conversion se produit d’abord au niveau du désir. Pour embrasser le mystère de la Passion, il faut d’abord reconnaître que son désir le plus profond, c’est de suivre cet homme qui est prêt à mourir sur une croix par amour pour les hommes.
Le désir est un don que Dieu fait au croyant pour lui permettre de connaître qui est Jésus et de comprendre le but de sa vie. La question la plus importante, c’est donc d’abord : est-ce que je désire suffisamment Dieu ? Une religieuse qui vivait avec sainte Thérèse de Lisieux racontait l'histoire d'une conversation spirituelle de la sainte avec une autre sœur du Carmel "qui défendait à l'excès les revendications de la justice divine" au détriment de l'infinie miséricorde de Dieu. Lorsque Thérèse arriva à une impasse dans la conversation, elle conclut en disant : "Ma sœur, vous voulez de la justice de Dieu, vous aurez la justice de Dieu. L'âme reçoit exactement ce qu'elle attend de Dieu".
2FACE AU NÉANT DU PÉCHÉ
Tout au long de l'Évangile, Jésus a déclaré : Je suis la Lumière du monde, Je suis le Pain de vie, Je suis le Bon Pasteur, Je suis la Résurrection et la Vie, … Et tandis que le Fils de Dieu continue d'affirmer ce "Je suis" divin lors de son interrogatoire par le grand prêtre, Simon Pierre, qui se tient non loin de là, proclame publiquement : "Je ne le suis pas" ! La juxtaposition ironique de l'aveu et du reniement symbolise l’enfermement de chacun dans le péché.
Sainte Catherine de Sienne donne ce bon enseignement :
Voici le remède à la peur : que les créatures reconnaissent que, de nous-mêmes nous ne sommes rien, que nous participons constamment au néant qu'est le péché, et que tout ce que nous avons vient de Dieu. Une fois que nous nous connaissons nous-mêmes, nous parvenons à connaître aussi la bonté de Dieu à notre égard.
C'est ce qu'a fait Simon Pierre. Bien qu'il ait commis le même péché que Judas Iscariote, Pierre n'a pas laissé son reniement le plonger dans le désespoir. Plus Pierre prend conscience du néant qu'il est en dehors de Dieu - Je ne le suis pas - plus il a soif du Tout qu'il ne trouve qu'en Jésus-Christ. Pierre renverse son triple reniement en proclamant trois fois à Jésus ressuscité : "Tu sais que je t'aime !" (Jn 21,17).
3TENTATION ET VACILLATION
L'inclusion délibérée par saint Jean d'indications scéniques détaillées concernant les allées et venues de Ponce Pilate dans le prétoire - indiquées sept fois - symbolise l'hésitation et l'indécision dont chacun fait preuve à l'égard de Jésus. La tentation de se laisser influencer par le monde et par sa vision des choses empêche l’homme d'accéder à la Vérité. Pourtant, Pilate pose la question : "Qu'est-ce que la vérité ?" (Jn 18,38). Cette question n'est peut-être pas cynique, mais sincère, car Pilate est aussi celui qui proclame : "Voici l'homme !" (Jn 19,5).
La tentation du péché doit être remplacée par la conviction que c’est Jésus qui donne le salut.
Jésus, l'Homme, représente l'homme Adam, l'image parfaite et sans péché du Créateur, placé sur terre pour être la source de la vie et de la perfection humaine. Cette exclamation de Pilate proclame : "Regardez ce que vous avez fait à la nature humaine - torturée, injuriée, couronnée de moqueries. Voilà ce que l'homme a fait à lui-même. Cet homme - qui est Dieu - prend tout cela sur Lui. C'est en Lui que toute l’humanité trouve son salut". La tentation du péché doit être remplacée par la conviction que c’est Jésus qui donne le salut.
Pilate déclare également : "Voici votre roi !", ce qui veut dire qu’il détrône l’homme, le centre de l'univers. La Vérité remplit et transforme celui qui contemple le vrai Roi, au lieu de rester obstinément enfermé dans ses propres pensées et sa vision des choses.
4LA SAINTETÉ EST SYNONYME D'APPARTENANCE
Le Vendredi saint, l’Église s’unit à Jésus dans son agonie. La racine du mot "agonie" est agon, qui signifie "assemblée" ou rassemblement de personnes, pour un concours, une épreuve, une bataille ou une lutte - une assemblée qui vise la victoire.
Lorsque, depuis la croix, Jésus ordonne : "Voici ta Mère", le Christ présente Marie comme la personnification de l'Église. Jésus donne sa Mère aux hommes pour qu’ils puissent à leur tour appartenir à Dieu, et aux autres. Comme le disait le bienheureux Guerric d'Igny : "Comme l’Église dont elle est le symbole, la Vierge est la mère de tous ceux qui renaissent à la vie. Oui, elle est la mère de la Vie, qui fait vivre tous les hommes".
5ACCUEILLIR LA GRÂCE DE LA SOUFFRANCE
Un soldat enfonce sa lance dans le côté de Jésus. "La grâce entre toujours par une blessure" (J. Carron). L’homme peut essayer de limiter la souffrance, mais il ne peut pas l'éliminer. C'est en essayant d'éviter la souffrance à tout prix que l’homme dérive vers une vie de vide : celui qui a toujours évité la souffrance ne comprend pas les autres, il devient dur et égoïste.
Le phénomène de l'apathie n'est pas tant l'indifférence que la haine de la souffrance et de son caractère sacré. "L'avilissement des âmes consiste en l'apathie : la perte de la capacité de souffrir" comme disait Bernanos. "Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé"(Jn 19,37). C’est en gardant les yeux sur Jésus Transpercé sur la croix que "la contemplation de la misère humaine arrache vers Dieu" (Simone Weil).
"Les plaies de Jésus nous offrent un choix : soit être condamnés avec ceux qui ont infligé les plaies et percé son côté, soit nous repentir et entrer dans le côté ouvert du Christ pour y demeurer" (saint Thomas d'Aquin).
6L'UNION AVEC DIEU
Après la mort de Jésus en croix, Joseph d'Arimathie est venu prendre son corps. C'est ce que tous les fidèles font lors de la Sainte Communion.
"L'Eucharistie est ce qu'il y a de plus réel dans le monde. C'est pourquoi il faut l'accepter sans réserve. Quand l’homme est tourmenté par le doute, par l'angoisse, par les troubles de l'âme et de la chair, au milieu des pires perturbations de l'esprit et de l'âme, il sera sauvé. Ce n'est pas quand tout semble perdu qu'il faut abandonner l'Hostie ; au contraire, c'est quand tout semble perdu qu'il faut se nourrir de l'Hostie et s'appuyer sur les promesses solennelles du Seigneur. "(François Mauriac)
7LA VIGILANCE DU CŒUR
"Comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus" (Jn 19,42). Le tombeau est un vrai tabernacle, un lieu d'adoration, car "pendant le séjour du Christ au tombeau sa Personne divine a continué à assumer tant son âme que son corps" (CEC 630). Aussi misérables et désespérées que soient les circonstances de sa vie, la présence de Jésus-Christ au tombeau nous invite à l'espérance. Chacun a, au moins une fois dans sa vie, cru couler ou toucher le fond. "L'illusion que tout nous a été enlevé en même temps, le sentiment de dépossession totale, est le signe divin que, au contraire, tout ne fait que commencer". (Bernanos)
Cette mort affrontée dans le tombeau du Christ nous apprend à affronter la mort. "La vie de l'être humain s'accomplit à travers la succession de nombreuses morts", disait saint Basile le Grand. Rappelez-vous : "Tout le monde arrive au tombeau fatigué, triste et déçu... mais il en repart en courant !". (Mère Elvira Petrozzi).