"Accepto". Mercredi 13 mars 2013, sous la fresque du Jugement dernier de la chapelle Sixtine, il est 19h05 quand le cardinal Jorge Mario Bergoglio accepte la charge que viennent de lui conférer ses frères cardinaux. Nul ne peut savoir quels sentiments traversent le haut-prélat argentin à cet instant, hormis peut-être Benoît XVI. Depuis sa résidence de Castel Gondolfo, celui-ci attend de voir son successeur apparaître à la Loggia de la basilique Saint-Pierre. Un mois auparavant, il avait confié ne plus avoir la force d’exercer le ministère pétrinien. De la force, les cent quinze cardinaux électeurs sont allés en chercher de l’autre côté de l’Atlantique sud, en Argentine. En se présentant devant les deux cent mille fidèles rassemblés place Saint-Pierre, celui qui vient de choisir le nom de François prend la relève du pontife allemand et inaugure un pontificat de réformes. Alors que le parcours terrestre du pape François s'est achevé ce 12 avril 2025 au petit matin, retour sur les douze grands chantiers conduits par le pontife argentin.
Chantier n°1Une Église pour les périphéries

"Au sujet du prochain pape, il faut un homme qui, à partir de la contemplation et de l’adoration de Jésus Christ, aide l’Église à sortir d’elle-même pour aller vers la périphérie existentielle de l’humanité." Ces paroles sont prononcées par le cardinal Bergoglio six jours seulement avant son élection à la chaire de Pierre. Devant les cardinaux réunis pour préparer le conclave, celui qui allait devenir pape livre en trois minutes et demie ce qui constituera sans doute le cœur de son programme. Le premier pontife argentin de l’histoire en est convaincu : une Église auto-référencée et autosuffisante est une Église qui se meurt. Pour retrouver sa vitalité, la barque de Pierre doit se rendre aux périphéries.
Inlassablement, le pape François martèle son vœu de voir les chrétiens sortir de leur canapé pour rejoindre les zones géographiques, sociales et spirituelles qu’ils ne visitent plus. Il appelle ces dernières les périphéries existentielles, "là où réside le mystère du péché, de la douleur, de l’injustice… Là où sont toutes les misères".
Cette feuille de route pousse le pape François à s’adresser aux non-chrétiens, dans les encycliques Laudato si’ ou Fratelli tutti notamment, mais aussi aux pauvres et miséreux que les sociétés modernes ne regardent pas. Elle le conduit à visiter des pays qu’aucun évêque de Rome n’avait encore atteints, comme la Péninsule arabique, en février 2019 ou bien l’Irak en 2021 et puis le Soudan du Sud en 2023. Elle l’amène à aborder certains sujets avec une perspective plus pastorale que dogmatique. Appelant l’Église à tenir ses "portes ouvertes" et à ne pas agir comme "un poste de douane", le "pape de la miséricorde" accordera régulièrement une attention particulière aux personnes parfois laissées sur les parvis des églises. La déclaration Fiducia supplicans de décembre 2023 autorisant les bénédictions pour les couples homosexuels et de divorcés remariés est à lire dans cette perspective.
Chantier n°2Le pape François et l'urgence écologique

Rarement une encyclique aura eu un tel retentissement. Laudato si’, le texte du pape François sur la sauvegarde de la Maison commune, est parvenu à rejoindre des millions de personnes éloignées du catholicisme mais préoccupées par l’urgence du réchauffement climatique. Tel Barack Obama, alors président des États-Unis, des dizaines de chefs d’État ont dit admirer la décision du pape "d’appeler à l’action sur le changement climatique de manière claire, forte, et avec toute l’autorité morale que sa position lui confère".
François, qui avait confié avoir choisi ce nom pour l’aider à se souvenir de l’enseignement du Poverello d’Assise, a donc lancé un cri au monde. Bien au-delà du militantisme écologique, il lui a proposé une "triple conversion", comme l’explique le dominicain Thomas Michelet, dans l’ouvrage Les papes et l’écologie (Artège, 2016). Il détaille : "Conversion des yeux et des oreilles, pour voir et entendre cette détresse à laquelle nous restons sourds et aveugles. Conversion de la tête et du cœur, pour discerner la racine profonde du mal en nous qui atteint la Création, établir le diagnostic et la thérapie qui en découle et se résoudre à l’appliquer. Conversion des mains, qui ne doivent plus toujours s’approprier et détruire, mais offrir et partager, bâtir et protéger, bénir et louer."
Finalement, c’est tout l’enseignement de l’Église sur l’écologie que François a voulu réactiver dans un style neuf et audacieux. Avec lui, le refrain "tout est lié" est devenu un slogan. Le terme "écologie intégrale", un programme.
Inquiet et affecté par l’immobilisme des responsables politiques et âgés de près de 87 ans, il écrit à l’automne 2023 une suite à Laudato si’ avec l’exhortation apostolique Laudate Deum, dans laquelle il consacre un chapitre entier à la COP28 de Dubaï. Il annonce d’ailleurs vouloir s’y rendre pour alerter les consciences mais doit y renoncer pour des raisons de santé.
Chantier n°3 Le pape François et la crise migratoire

8 juillet 2013 : le pape François n’est installé sur le trône de Pierre que depuis quelques semaines qu’il décide de se rendre sur la petite île italienne de Lampedusa pour "pleurer les morts" de l’immigration. Face à la mer, après un long moment de recueillement, il jette une couronne de fleurs à la mémoire des milliers de personnes noyées dans la Méditerranée, une mer devenue avec la crise un "grand cimetière" – de 2014 à 2020, plus de 20.000 migrants mourront en Méditerranée selon l’ONU. Ce geste est le premier d’une très longue série.
En 2015, dans un appel inédit, il demande que chaque paroisse d’Europe accueille une famille de migrants. Un an plus tard, de retour d’un voyage à Lesbos (Grèce), il ramène avec lui trois familles syriennes musulmanes pour les installer au Vatican. Cet accueil déclenche une polémique, certains reprochant au chef de l’Église catholique de ne pas avoir privilégié des familles chrétiennes.
Des catholiques européens jugent le pape naïf au sujet de l’immigration. Pour eux, ses demandes répétées d’accueillir les migrants menacent in fine la paix et la culture européenne. Le pape se sait critiqué mais ne bronche pas. Le migrant est "l’image du Christ qui frappe à nos portes", insiste-t-il lors de son voyage au Maroc, en 2019.
En 2020, il réaffirme dans Fratelli tutti que l’Europe "a les instruments pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants". Fustigeant ceux qui considèrent et traitent les migrants comme des personnes "dotées de moins d’humanité", l’évêque de Rome juge "inacceptable que les chrétiens partagent cette mentalité et ces attitudes, faisant parfois prévaloir certaines préférences politiques sur les convictions profondes de leur foi". Il renouvelle cet appel lors de son voyage à Marseille, en septembre 2023. "Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation !", lance-t-il devant la Méditerranée.
Chantier n°4 Le pape François et la paix dans le monde

Chaque année au mois d’octobre, son nom revenait lorsqu’il fallait pronostiquer le lauréat du Prix Nobel de la paix. François ne l’aura finalement jamais reçu. Pour autant, le 266e successeur de Pierre n’aura eu de cesse de peser pour la résolution ou l’apaisement de nombreuses crises. Citons par exemple le rétablissement, par l’intermédiaire du Saint-Siège, des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis en décembre 2014. Sur le dossier israélo-palestinien, l’une des premières initiatives historiques du pape François fut l’organisation d’une prière interreligieuse rassemblant côte à côte les présidents israélien et palestinien dans les jardins du Vatican. Une image forte mais qui n’empêchera pas le retour d’une guerre sanglante en Terre sainte, entre le Hamas et Israël, à l’automne 2023.
Dans les crises, la diplomatie de François passe par le dialogue, indispensable pour penser la réconciliation. Pour ce faire, il n’aura pas hésité à donner de sa personne, comme ce jour d’avril 2019 où il embrassa les pieds du président sud-soudanais Salva Kiir, catholique, et de son opposant Riek Machar, presbytérien, afin de les exhorter à trouver le chemin de la paix.
Condamnant à de nombreuses reprises l’usage de l’arme nucléaire, il considéra l’objectif ultime de l’élimination totale des armes nucléaires comme un impératif moral et humanitaire. Faisant siennes les paroles de Paul VI, "Plus jamais la guerre !", il remit en question dans Fratelli tutti la notion de "guerre juste", concept aujourd’hui "très difficile" à défendre selon lui. Sur la question sensible de la peine de mort, il fit changer le Catéchisme de l’Église catholique pour déclarer absolument "inadmissible" sa pratique dans le monde.
Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes le 24 février 2022, le pape François se rend seul à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège pour "manifester sa préoccupation". Un geste inédit qui sera suivi de dizaines d’appels à la paix à travers ses homélies, discours ou angélus. Le 8 décembre 2022, il éclatera en sanglots lors d’une prière adressée à la Vierge Marie en évoquant "le peuple ukrainien martyrisé". S’efforçant de laisser les portes du dialogue ouvertes, il se dit prêt à se rendre à Moscou pour discuter avec Vladimir Poutine.
Chantier n°5 Le pape de la synodalité

Le soir de son élection, à la Loggia de la basilique Saint-Pierre, le pape François avait marqué les esprits en se présentant comme un simple évêque et en parlant de l’Église de Rome comme "celle qui préside toutes les Églises dans la charité". Pour un de ses biographes, Austen Ivereigh, l’utilisation de cette "vieille formule" signifiait la volonté du nouveau successeur de Pierre d’instaurer "la collégialité en actes".
Expliquant dès sa première encyclique, Evangelii Gaudium, qu’une "excessive centralisation, au lieu d’aider, complique la vie de l’Église et sa dynamique missionnaire", le pontife argentin a très tôt multiplié les initiatives pour tendre vers un gouvernement plus collégial. C’est tout le sens du conseil restreint de cardinaux venus des cinq continents appelés par François pour l’épauler dans sa volonté de réformer la Curie. C’est aussi une volonté de laisser plus de liberté aux assemblées synodales, institutions collégiales revitalisées par le concile Vatican II.
La forte polarisation qui a cependant pu apparaître lors des Synodes pour la Famille (2014-2015) et de celui pour l’Amazonie (2019) a poussé le Pape à lancer un Synode mondial de trois ans portant justement sur la synodalité. Débuté en 2021, le processus devait rendre l’Église catholique plus accueillante, participative et missionnaire, moins cléricale et centralisée. Voulant une montée en puissance des laïcs et des femmes dans le gouvernement de l’Église tant au niveau paroissial, diocésain ou romain, le Pape a nommé pour la première fois des laïcs membres du Synode des évêques.
Ce processus a entamé un changement de culture dans l’Église mais n’a pas débouché sur des mesures concrètes. Certains membres ont aussi regretté le fait que certaines décisions de François aient pu contredire son impulsion synodale. La sortie sans préavis d’un document sur la bénédiction des couples de même sexe fin 2023 fut perçue comme un geste autoritaire du pontife argentin.
Chantier n°6Le pape François et la crise des abus sexuels

Dans la lignée du pontificat de Benoît XVI, le pape François a souhaité mener une "bataille totale" contre les abus sexuels dans l’Église sur les personnes mineures et vulnérables. Un an après son élection, il met en place une commission chargée de lui proposer "les initiatives les plus opportunes" afin que des "crimes comme ceux qui ont eu lieu ne se répètent plus ".
En août 2018, alors que des révélations se multiplient, le pontife publie une Lettre au peuple de Dieu dans laquelle il désigne le cléricalisme comme étant une cause majeure des abus. Cette lettre est suivie par la convocation, en février 2019, d’un sommet exceptionnel sur les abus à Rome. Quelques semaines plus tard est publié le motu proprio Vos estis lux mundi, qui oblige notamment tous les clercs et religieux à dénoncer les abus dont ils auraient connaissance. Il contraint par ailleurs chaque diocèse du monde à mettre en place des "dispositifs stables et facilement accessibles" afin de permettre le signalement d’abus sexuels. Il met aussi sur pied une procédure pour enquêter sur des évêques ou supérieurs soupçonnés de crimes ou de couverture de crimes.
En décembre 2019, le Pape abolit le secret pontifical couvrant les procédures en matière de pédocriminalité. Et en mai 2021, il opère une révision majeure d’un chapitre du code de droit canon portant sur les sanctions graves. Les crimes sur des mineurs y sont enfin inscrits. Par ailleurs, la parution d’un rapport inédit sur l’ex-cardinal McCarrick – coupable de nombreux abus sexuels – manifeste la volonté du pontife de faire la vérité sur les failles du Saint-Siège qui durant des années n’a rien fait pour freiner son ascension.
Le pontificat souffre toutefois de manquements et des victimes dénoncent régulièrement une certaine lenteur ou tiédeur romaine dans la mise en application des réformes. François lui-même reconnaît des failles. "J’ai commis de graves erreurs", s’accuse-t-il dans le cadre d’une affaire au Chili où il avait défendu un évêque soupçonné d’avoir couvert un prêtre pédophile. En 2021, il dit sa honte devant les résultats du rapport de la Ciase sur les abus sexuels commis dans l'Église en France. Mais alors qu’il devait rencontrer les membres de la commission Sauvé, le rendez-vous est finalement ajourné sine die. Certains verront dans cette annulation un camouflet pour la Ciase dont les conclusions seraient allées trop loin pour Rome.
La démission fracassante du père jésuite Hans Zollner en mars 2023 de la Commission pontificale pour la protection des mineurs jette le trouble sur l’efficacité et la gouvernance de cette structure créée par lui en 2014. La publication fin 2024 d’un premier – et timide – rapport sur l’état de la lutte contre les abus dans l’Église catholique montre toutefois la volonté du Vatican d’harmoniser les processus de protection au niveau mondial.
Chantier n°7Le pape François et la lutte contre le cléricalisme

Dès le début de son pontificat en 2013, le pape François met en garde les évêques latino-américains contre le cléricalisme, un mal dont il explique les causes par un "manque de liberté chrétienne". À l’été 2018, au lendemain de l’éclatement d’un scandale d’abus sexuels en Irlande, il appelle dans sa Lettre au peuple de Dieu à vaincre ce qu’il définit comme "une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église".
Et si François souhaite tant éradiquer ce mal, c’est qu’il établit un lien très clair entre l’abus de pouvoir, émanant du cléricalisme, et l’abus sexuel : "dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme", écrit-il. Ses remontrances vis-à-vis d’un clergé qui se serait éloigné des fidèles seront un des leitmotivs du pontificat et certains prêtres ne cacheront pas leur lassitude d’entendre fréquemment le pape les critiquer.
Dans le même temps, François ne cessera de s’élever contre le risque de "cléricaliser les laïcs". Une telle vision peut expliquer sa décision de ne pas avoir avancé sur la question de l’ordination d’hommes mariés à l’issue du synode sur l’Amazonie d’octobre 2019 – dont les conclusions réclamaient pourtant une ouverture.
Parallèlement, la nomination de certains laïcs à des postes clefs, tel Paolo Ruffini, élevé au rang de préfet du dicastère pour la communication en 2018 et premier laïc chef de dicastère de l’histoire du Vatican, illustre sa volonté de renforcer la place des laïcs dans l’institution. Il autorisera d’ailleurs à ce que des laïcs puissent voter lors du Synode sur l’avenir de l’Église, un privilège autrefois réservé aux évêques. Aux diacres, le pontife adressera encore de vives admonestations : rappelant leur rôle de service, il leur conseillera de s’éloigner de l’autel afin de ne pas devenir des "demi-prêtres".
Chantier n°8Le pape François et la place des femmes

"Je souffre, […] lorsque je vois, dans l’Église […] que le rôle de service de la femme glisse vers un rôle de servitude", déclare le Pape dès le début de son pontificat, en août 2013. Confiant que ce thème de la place de la femme dans l’Église lui est particulièrement cher, le pape François souligne la nécessité de développer une "théologie de la femme". Un an plus tard, il décerne le prix Ratzinger à la Française Anne-Marie Pelletier, bibliste spécialiste de cette question.
Si François ferme la porte à l’ordination diaconale de femmes dans son exhortation apostolique Querida Amazonia en 2020 et met plusieurs fois en garde contre la tentation de "fonctionnaliser" la vocation de la femme, il souhaite toutefois que se poursuive la réflexion sur le diaconat féminin et appuie les conclusions du Synode sur la synodalité qui vont en ce sens, fin 2024.
Le pontificat est par ailleurs marqué par la nomination de plusieurs femmes à des postes à hautes responsabilités au Vatican. Il nomme en janvier 2025 la première préfète de l’histoire de la Curie romaine en la personne Simona Brambilla, religieuse italienne, qui prend la tête du dicastère chargé de la vie religieuse. Le même mois, il annonce que la sœur Raffaella Petrini deviendra responsable du Gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican. Ces deux femmes prennent alors des postes jusque-là réservés à des cardinaux.
La nomination de sœur Nathalie Becquart comme de sous-secrétaire du Synode des évêques en 2021 est aussi très significative d’un changement de culture dans l’Église. La religieuse française devient la première femme à obtenir le droit de vote au sein de cette assemblée dont le poids sera grandement renforcé tout au long du pontificat. La même année, il nomme la sœur Alessandra Smerilli comme "numéro 2" du grand dicastère pour le Service du développement humain intégral. Il fait également entrer 3 femmes au dicastère pour les Évêques afin qu’elles puissent elles aussi prendre part au processus de nomination des évêques.
D’autres nominations manifestent le tournant voulu par l’Argentin, comme celle de Barbara Jatta, en 2016, qui devient la première directrice des Musées du Vatican de l’histoire. Il élève par ailleurs plusieurs femmes à la fonction de sous-secrétaires – Gabriella Gambino et Linda Ghisoni au dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, sœur Carmen Ros Nortes à la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée, Francesca Di Giovanni à la section pour les relations avec les États de la Secrétairerie d’État.
Chantier n° 9 Le pape François, la réforme de la Curie et la transparence financière

"Alzheimer spirituel", "visage lugubre", "rumeur", "médisance", "commérage", "profit mondain", "exhibitionnisme"… Dans son discours devenu célèbre des quinze maladies de la Curie romaine prononcé à Noël 2014, le pape François n’avait pas ménagé son administration. Il faut dire qu’après le scandale Vatileaks qui avait ébranlé la fin du pontificat de Benoît XVI, le collège cardinalice avait confié au cardinal Bergoglio le soin de réformer le système.
À la réforme spirituelle exigée par le Pape lors de ce discours, le pontife argentin s’est très vite donné les moyens de mener une réforme structurelle de la Curie. Il s’est pour cela entouré d’un petit groupe de travail collégial de cardinaux venus des cinq continents.
Outre la réforme des organes de la communication du Saint-Siège ou bien le regroupement de conseils pontificaux, le pape et son Conseil se sont attaqués à la gestion des finances vaticanes. La feuille de route était claire : lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, transparence, simplification et clarification des processus de décision. C’est ainsi que la très puissante Secrétairerie d’État s’est vue par exemple déchargée de tous les fonds financiers et actifs immobiliers qu’elle administrait jusque-là.
Par le limogeage manu militari en septembre 2020 de l’ancien numéro 3 du Vatican, le cardinal Angelo Becciu – alors soupçonné de malversations lorsqu’il était substitut de la Secrétairerie d’État – le pape François a accéléré sa réforme. L’ouverture d’un procès historique – mais laborieux – au Vatican en juillet 2021 suite au scandale relatif à l’achat hasardeux d’un immeuble à Londres manifeste le changement culturel opéré sous le pontificat : désormais, même un cardinal peut se retrouver sur le banc des accusés pour répondre de ses actes. Le cardinal Becciu sera condamné lors du premier procès à une peine de cinq ans et demi de prison. Le 19 mars 2022, après 9 ans de travail, le pape publie enfin la nouvelle Constitution apostolique réformant la curie romaine. Intitulée Praedicate Evangelium – "Annoncez l’Évangile", elle remplace la constitution Pastor Bonus publiée par Jean Paul II en 1988. François entérine alors de nombreuses restructurations établies durant son pontificat ainsi que des décisions inédites – le fait de pouvoir nommer des laïcs, homme ou femme, à la tête de dicastère notamment. La fin du pontificat est toutefois marquée par une forme de lassitude et de frustration de la part d’employés du Vatican qui critiquent à bas bruit des réformes confuses et peu efficaces.
Chantier n°10Le pape François et le dialogue avec l’Islam

Peut-être l’un des axes principaux du pontificat, le dialogue avec l’islam a atteint un niveau inédit avec François alors que les relations avec les musulmans avaient connu un véritable coup d’arrêt après les malentendus survenus suite au discours de Ratisbonne de Benoît XVI, en 2006. Dans une décennie pourtant marquée par le terrorisme islamiste et la cruauté de Daech au Moyen-Orient notamment, le pape va multiplier les rencontres avec les dignitaires musulmans. Son credo : la culture de rencontre est la seule alternative à "la barbarie de celui qui souffle sur la haine", explique-t-il lors d’une conférence de paix organisée à l’université d’Al-Azhar, en Égypte, en 2017.
Cette boussole le mène en février 2019 jusqu’à Abou Dabi (Émirats arabes unis) où il scelle un accord historique avec le grand imam d’Al-Azhar Al-Tayyeb. Ensemble, les deux hommes signent un document inédit sur "La fraternité humaine", véritable recueil de valeurs communes visant à être défendues par toutes les religions et destiné à être remis à tous les leaders influents.
La troisième encyclique du pape François, Fratelli tutti, représente une étape décisive en matière de dialogue interreligieux. Il y cite, à plusieurs reprises, Ahmed Al Tayyeb – dont le pape dit qu’il lui a inspiré l’encyclique -, et il y renouvelle son appel à ce que toutes les religions condamnent les violences commises en leur nom. Il retrouve son "frère" Al Tayyeb pour la sixième fois en cinq ans lors d’un voyage à Bahreïn en 2022.
En 2021, en rencontrant en Irak l’ayatollah al-Sistani, le pape manifeste son désir de dialogue avec l’islam chiite. C’est en ce sens qu’il nomme cardinal l’archevêque de Téhéran Dominique Mathieu en décembre 2024.
Chantier n°11Le pape François et l’œcuménisme

C’est l’une des grandes images du pontificat. Le 12 février 2016, près de mille ans après le grand schisme de 1054, le chef de l’Église catholique rencontre pour la première fois le patriarche orthodoxe de Moscou. Cette rencontre historique qui a lieu à l’aéroport de Cuba scelle le réchauffement des relations entre les deux Églises. Cependant, la politique de rapprochement s’interrompt quand, le 24 février 2022, les troupes russes envahissent l’Ukraine, avec la bénédiction du patriarche Kirill. Alors que le Pape et le patriarche projetaient de se rencontrer à Jérusalem en juin de la même année, les désaccords générés par la guerre en Ukraine éclatent au grand jour, le pape François demandant à Kirill de ne pas devenir "l’enfant de chœur de Poutine". Ce recul dans l’histoire des relations avec les orthodoxes russes représente sans doute l’un des grands regrets du pape François.
Sur un tout autre front, le pape François se rend en 2016 à Stockholm (Suède) à l’occasion des 500 ans de la Réforme luthérienne. Avec les représentants de la fédération luthérienne mondiale, il signe une déclaration commune appelant à dépasser les "conflits du passé" pour tendre vers davantage de communion et de solidarité.
C’est pour réaliser un "pèlerinage œcuménique" qu’il se rend en 2018 à Genève (Suisse) afin d’y célébrer le 70e anniversaire du Conseil œcuménique des Églises. L’organisation rassemble quelque 348 Églises orthodoxes, protestantes ou encore anglicanes et représente 500 millions de fidèles.
Le style et la personnalité de François le conduisent par ailleurs à tisser des relations étroites avec ses frères chrétiens, en particulier avec le Patriarche Bartholomée de Constantinople qu’il rencontre une dizaine de fois et qui lui inspire l’encyclique Laudato si’ ou bien l’archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, avec qui il travaille notamment à la résolution du conflit au Soudan du Sud.
Fin 2023, la publication de Fiducia Supplicans, déclaration qui autorise les prêtres catholiques à bénir les couples de même sexe, révèle de profonds désaccords parmi les Églises chrétiennes. Elle déclenche notamment la colère des coptes, qui annoncent suspendre leur dialogue théologique avec l’Église catholique.
Chantier n°12 Le pape François et les querelles liturgiques

Le 16 juillet 2021, le pape argentin provoque un coup de tonnerre avec le motu proprio Traditionis Custodes, qui abroge la décision prise par Benoît XVI en 2007 d’élargir les possibilités de célébration de la messe selon le missel de 1962, qualifié de "forme extraordinaire du rite romain". Cette dénomination est abandonnée par François, préférant désormais parler de "rite ancien", appelé à s’éteindre avec les générations formées avant le Concile. Cette décision suscite alors de fortes incompréhensions au sein des secteurs les plus traditionnels de l’Église catholique, notamment en France et aux États-Unis.
En février 2022, le Pape confirmera toutefois la Fraternité Saint-Pierre dans sa faculté de célébrer selon le rite antérieur au Concile, cette communauté, loyale au Pape, ayant été spécifiquement fondée en ce sens. Dans un souci d’apaisement, le pape souhaite laisser aux évêques la possibilité de discerner au cas par cas en fonction de la situation locale. François désire néanmoins le plus d’unification possible dans la liturgie, selon le canon du Missel promulgué par Paul VI en 1969.
Le 29 juin 2022, avec la lettre apostolique Desidero Desideravi, il rappelle que la liturgie doit garantir "une seule et même prière", capable d’exprimer l’unité de l’Église comme cela a été souhaité par le concile Vatican II.
