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L’affaire a fait un peu de bruit dans le Landerneau catholique, et même au-delà : le 6 janvier 2025, François a nommé une femme, sœur Simona Brambilla, à la tête du Dicastère pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, et a annoncé la nomination d’une autre femme, sœur Raffaella Petrini, au gouvernorat de la Cité du Vatican. Les commentaires y ont surtout vu la manifestation des changements annoncés par le Synode sur la synodalité, et l’expression du choix personnel du pape de promouvoir les femmes à des postes de responsabilité.
Dans le même temps, l’archevêque de Lille annonçait la nomination d’une déléguée générale, rejoignant ainsi d’autres diocèses : Mission de France (2018), Nantes, Sens-Auxerre et Besançon (20022), Saint-Denis, Grenoble et Saint-Claude (2023), Coutances-Avranches et Angers (2024). À côté de vicaires généraux, des femmes sont ainsi associées directement au cœur du gouvernement diocésain, étape qui suit celle des "déléguées épiscopales", pendant des "vicaires épiscopaux".
Un subtil conservatisme
Il y aurait donc quelque chose qui bouge pour de bon au royaume de Dieu — si tant est que l’Église soit le Royaume, et que ce qui change en France soit de signification universelle. Pourtant, on a également remarqué que Sœur Brambilla est flanquée d’un pro-préfet bien masculin, de rang cardinalice même. Comme si la promotion s’accompagnait d’une forme de prudence vis-à-vis de la nouvelle nommée ou des opposants à ce type d’évolution, tant la barque de saint Pierre est devenue un méga-paquebot dont les changements d’erre demandent quelques manœuvres un peu complexes. Et on notera aussi qu’on n’a pas confié à la nouvelle préfète les cœurs du réacteur catholique (évangélisation, doctrine, liturgie), mais un domaine où, de longue date, des femmes exercent des responsabilités importantes comme supérieures de congrégations.
D’un point de vue socio-historique, l’observation serait tout aussi cynique. Elle soulignerait d’abord que cette féminisation correspond à un mouvement plus large d’intégration des laïcs à la gouvernance diocésaine, et où, en raison du contexte, être femme devient un avantage. À cet égard, on notera, pour le cas français, que ce ne sont pas n’importe quelles femmes qui sont promues, mais globalement des laïques déjà bien intégrées dans les structures administratives de l’Église. Il y a là une forme de parcours d’un cursus honorum et d’aboutissement de carrière que, au niveau du Saint-Siège, les sœurs Brambilla et Petrini représentent assez bien : des diplômes extra-ecclésiastiques, une formation puis un enseignement dans les universités ecclésiastiques romaines, une carrière interne à la Curie avec une promotion finale à la tête de la structure dont elles étaient déjà une pièce maîtresse — et des Italiennes, ce qu’on a peu relevé, alors que l’Occident n’est définitivement plus un réservoir de religieux et religieuses : même ici se loge un subtil conservatisme.
Les clercs sont remplacés par des laïcs
Cette évolution n’est pas seulement produite par le fait que le catholicisme est travaillé de manière plus intense depuis les années 1990-2000 par la dynamique proprement moderne de l’égalité. C’est aussi une nécessité, au moins en France. En effet, le gouvernement diocésain n’a pas vraiment encore tenu compte de l’intensité de la rétractation de la surface du catholicisme. Certes, les fusions paroissiales actent la quasi-disparition du recrutement sacerdotal, jamais compensé par l’importation de prêtres africains ou asiatiques — une des rares formes d’immigration de travail mettant tous les catholiques d’accord.
Mais les diocèses ont malgré tout assez largement conservé la structuration issue des mobilisations catholique depuis la fin du XIXe siècle, qui visaient à couvrir pastoralement toutes les dimensions de la société et du catholicisme (monde rural, ouvrier, cadres, enfants, étudiants, retraités, familles, art sacré, liturgie…), sans compter qu’ils ne peuvent sabrer dans d’indispensables fonctions administratives et financières. La drastique réduction du nombre de clercs a donc imposé de faire appel à des laïcs, bénévoles ou salariés, pour piloter nombre des structures qui font des diocèses des armées mexicaines. Les femmes s’y sont trouvées nombreuses : leur investissement religieux est plus fort que celui des hommes, elles acceptent un salaire faible ou médiocre qui sert d’appoint à celui de leur mari, elles y trouvent un nouveau débouché après la mise entre parenthèses de leur carrière en raison de leurs maternités. Ainsi, désormais, accèdent-elles à des postes de direction.
Le passage au sacerdoce féminin traduirait en fait la définitive acceptation de son impossibilité de correspondre à la société et le définitif repli sur un élitisme affinitaire, à l’instar de nombre d’Églises issues de la Réforme.
Ce phénomène est aussi à rapprocher du brouillage des frontières entre clercs et laïcs, produit par le développement des permanents ecclésiaux depuis les années 1980 et par la dynamique de la mobilisation religieuse depuis le début du XXe siècle. En constituant l’Église en corps de bataille de militants sous contrôle clérical, Pie X et de Pie XI ont tendanciellement aligné les laïcs sur les clercs. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, voire jusque dans les années 1960 en un certain nombre de régions, les clercs étaient des spécialistes du religieux mandatés par et pour la société. Mais l’ambition de reconquête de la société pour la faire correspondre à l’ecclesia a nécessité que les laïcs deviennent des virtuoses religieux afin d’assumer leur fonction de troupes de chocs dans la subversion-submersion catholique de la société.
Malgré tout, ils n’ont jamais comblé l’écart entre le catholicisme et le reste de la société, car la dynamique de spécialisation des champs sociaux n’a cessé de s’accentuer, rendant compliquées la circulation entre les domaines et leur mise en cohérence ou en résonance. De plus, parallèlement, était reconnues par l’Église la consistance, la dignité et l’autonomie des réalités temporelles selon leurs logiques propres. Finalement, les laïcs ont dû choisir entre le basculement dans le religieux pur, dont la surface sociale s’est brutalement restreinte à partir des années 1960-1980, et le bricolage destiné à leur permettre de conserver leur investissement religieux sans renoncer au reste.
Cléricalisation des laïcs
Ainsi se sont réalisées des convergences entre clercs et laïcs, promues par l’institution elle-même afin de se perpétuer sans trop se transformer. On aboutit ainsi à une cléricalisation tendancielle de tous les militants, c’est-à-dire à leur transformation en experts du religieux catholique, bien plus qu’à une sécularisation de clercs. C’est le signe du passage de la réalité sociologique "église" à la réalité sociologique "secte", du groupe se prétendant tendanciellement coextensif à la société où existe un charisme fonctionnel institutionnalisé, au groupe minoritaire fondé sur la virtuosité religieuse de chacun de ses membres. La distinction clerc-laïc perd ainsi de sa pertinence, ce qui se répercute sur la spécialisation en fonction du genre. L’incantation du retour aux origines fondatrices pour justifier cette évolution, dont le très contemporain synodalisme intégrant la promotion féminine est une variante, permet de camoufler une dynamique de fond depuis le XIXe siècle : le catholicisme se focalise sur sa propre gouvernance car il est de moins en moins présent dans la circulation sociale tout en étant de plus en plus soumis à la dynamique de la modernité égalitaire, celle-ci étant la conséquence de celle-là.
Et les femmes peuvent donc devenir "déléguées générales". Cela aboutira-t-il à une remise en cause théologique de la distinction genrée dans l’accès au sacerdoce ? Peut-être, même si Jean Paul II a cherché à verrouiller toute évolution, sans convaincre un certain nombre de théologiens ou de fidèles — ce qui n’est en rien original. Quoi qu’il en soit, si tant est qu’il se produise un jour, le passage au sacerdoce féminin traduirait en fait non tant l’entrée du catholicisme dans l’âge de l’égalité genrée au nom d’une meilleure compréhension des origines et des possibilités innovatrices, que la définitive acceptation de son impossibilité de correspondre à la société et le définitif repli sur un élitisme affinitaire, à l’instar de nombre d’Églises issues de la Réforme. La promotion des femmes dans le gouvernement diocésain n’est donc pas forcément la bonne nouvelle que l’on croit. Mais l’important n’est-il pas de penser le contraire ? Car si ce n’était pas le cas, que resterait-il à faire, à part attendre les cosaques et le Saint-Esprit ? Mais si les catholiques attendaient vraiment la Parousie, cela se saurait.
