Entre la mollesse et la violence, la douceur est la marque des forts. Elle est ce don de Dieu qui met à mal les habitudes perverses du monde qui ne vit que par l’orgueil.
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« Douce France, cher pays de mon enfance… », chantait Charles Trenet avec, déjà, une certaine nostalgie en voyant sans doute s’effacer peu à peu la terre nourricière qu’il aimait et qu’il découvrait malade. Qualifier la France de « douce » n’est pas un hasard et correspond bien à ce que fut sa réalité et à ce qu’elle demeure en partie, faut-il espérer.
Et nous nous adressons à la Sainte Vierge, Mère aussi de la France, en l’implorant : O dulcis Virgo Maria ! car nous connaissons sa délicatesse, sa discrétion, son attention de chaque instant. En sa présence, nous sommes envahis par la paix et nous comptons sur cette douceur pour nous accompagner jusqu’à l’heure de notre mort afin que le passage soit sans angoisse et sans doute. Elle est l’icône de cette douceur évangélique prêchée par son Divin Fils, Elle qui est emplie de bienveillance, de pondération et qui, au jour du Jugement, retiendra le bras du Maître, faisant pencher la balance plus pour la miséricorde que pour la justice.
La douceur est forte
La douceur imprègne toute notre existence, ceci malgré la violence, le mal, le péché qui défigurent et qui semblent compromettre l’œuvre créatrice de Dieu. La douceur de vivre — préférable à la fureur de vivre, n’appartient qu’aux doux, non pas aux mous et aux lâches mais à ceux qui embrassent d’abord la volonté divine plutôt que la leur et qui poursuivent ainsi paisiblement leur avancée dans la vie, quelles que soient les tentations et les embûches. Comme l’écrit François Cheng dans La vraie gloire est ici, « La soif comme la faim, / Les rires comme les pleurs, / La douceur, les blessures, / La furie, les regrets, / Nous n’en jetterons rien, / Nous les emporterons tous, / Indégradables viatiques, / Pour un très long voyage ».
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Il suffit parfois d’une unique douceur dans toute une vie pour lui donner un sens, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry dans la solitude de sa planète contemplant les couchers de soleil. Même le retors politique, décrit dans Le Prince de Machiavel, doit plutôt gouverner par la justice et la douceur que par la violence et la barbarie. La douceur emporte ce que la colère et l’impatience perdent. Les parents et les éducateurs sont bien placés pour le savoir. Dieu procède de même envers nous, et cela est heureux car, sinon, l’humanité aurait été rayé de la carte du monde depuis bien longtemps ! Le Christ se révèle comme « doux et humble de cœur », Lui qui est, par ailleurs, tout-puissant et dont l’autorité règne sur l’univers.
Une vertu tournée vers l’autre
Saint Thomas d’Aquin, bien entendu, n’a pas laissé échapper de son analyse cette douceur divine. Il en parle lorsqu’il étudie la vertu de tempérance et la définit comme mansuétude, ce pare-feu contre les braises de la colère comme passion. Se penchant sur la parole du Christ citée précédemment (Mt, XI, 29), il commente : « Toute la loi nouvelle consiste en ces deux choses : la douceur et l’humilité. En effet, la douceur nous ordonne à l’autre et l’humilité nous ordonne à Dieu et à nous-même » (Somme théologique, IIa-IIæ, q.157, a.1). Cette douceur récapitule toutes les dimensions qu’elle mérite. En effet, elle n’est pas simplement un remède contre quelque chose de mauvais, ce qui demeurerait une arme contre l’irascible à conquérir. Elle est aussi la qualité de celui qui, sans se lasser, fait preuve de délicatesse envers les autres. Aussi ne surgit-elle point comme un bon diable de sa boîte uniquement en période de tension ou de crise. Comme toute vertu, elle est un équilibre, celui entre la mollesse et la violence. Il serait bon de nous en souvenir, dans la vie familiale et relationnelle, mais encore dans la vie politique et sociale. Bien des décisions nécessaires et douloureuses peuvent être prises par douceur, évitant ainsi les pièges de la démission et de l’irascibilité. Saint Louis fut un modèle en ce domaine, lui qui mena son royaume avec sagesse et avec force, conditions de la grandeur.
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Quant à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, femme forte et non point mièvre, elle reconnaît combien Jésus la conduit avec douceur, et fermeté, sur cette petite voie qui est la sienne, n’oubliant pas qu’elle est aussi Thérèse de la Sainte Face. Cela va plus loin que la « douceur angevine » chère à Joachim Du Bellay. Les doux auxquels Notre Seigneur fait la promesse de posséder la terre dans les Béatitudes (Mt, V, 4) ne sont pas portés sur un tapis de pétales de roses et gavés de « douceurs ». Ils passent par la souffrance, la persécution et le sacrifice. La douceur n’est pas celle d’un ours en peluche, encore moins d’un bisounours. Elle est ce qui met à mal les habitudes perverses du monde qui ne vit que par l’orgueil. Georges Bernanos, dans La Joie, note admirablement : « L’orgueil à vif n’a cure ni de patience, ni de douceur. C’est une goutte d’eau sur un fer rouge. » Le fort véritable est revêtu de douceur, bien entendu interprétée par le monde comme de la faiblesse. Saint François d’Assise n’a pas conquis des empires sur le terrain, empires tous promis à s’écrouler, mais il continue à conquérir les âmes par la ferme douceur qui fut la sienne et qui le conduisit à annoncer sans peur l’Évangile jusqu’auprès de ses plus impitoyables ennemis.
Le fruit d’un combat spirituel
Certains lions peuvent être empreints de douceur car l’apparence est souvent trompeuse. Léon Bloy, par ailleurs féroce en bien des circonstances mais qui fut un apôtre infatigable, avouait dans Au Seuil de l’Apocalypse : « La vraie bonté, la bonne volonté toute pure, la simplicité des petits enfants, tout ce qui appelle le baiser de la Bouche de Jésus, on sait bien qu’on ne l’a pas et qu’on n’a vraiment rien à donner à de pauvres cœurs souffrants qui implorent du secours. » Et, à la fin de sa vie, se retournant sur le bilan, encore provisoire, il avoue dans son ouvrage Dans les Ténèbres : « Il me reste d’avoir pleuré. Je n’ai pas d’autre trésor. Mais j’ai tant pleuré que je suis riche en cette manière. Quand on meurt, c’est cela qu’on emporte : les larmes qu’on a répandues et les larmes qu’on a fait répandre — capital de béatitude ou d ‘épouvante ! » La douceur n’est pas ici un sentiment passager, une sensiblerie, mais le résultat d’un combat spirituel.
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La douceur de Dieu
Le docteur angélique, parlant des deux types de connaissance, revient sur la douceur, celle de Dieu, qui va emplir peu à peu celui qui contemple : « [Outre la connaissance spéculative], il y a une connaissance affective ou expérimentale de la bonté ou volonté divine ; on expérimente en soi-même la douceur de Dieu et l’amabilité de la divine volonté, selon ce que Denys dit de Hiérothée qui apprit les choses divines pour les avoir éprouvées en lui-même. Nous sommes ainsi invités à expérimenter la volonté de Dieu et à goûter sa douceur » (IIa-IIæ, q. 97, a. 2, ad. 2). Toute douceur vient de Dieu car elle n’est point notre pente naturelle, ne la trouvant point efficace ou virile, et surtout la considérant comme un frein à notre autonomie, à notre indépendance vis-à-vis de Celui qui est notre origine et notre fin.
La douceur du foyer paternel, de la terre charnelle, cette douceur si précieuse qui nous relie à Dieu mérite toute notre attention et tous nos soins.
Lorsque nous éprouvons la douceur de vivre, nécessairement il y a là une présence du divin. Encore faut-il ouvrir les yeux, comme les pèlerins d’Emmaüs à la fraction du pain : il leur a fallu attendre la fin du repas pour reconnaître l’origine de la douceur envahissant leur cœur. Charles Péguy fait ainsi parler Jeanne quittant tout pour répondre aux voix : « Quand pourrai-je le soir filer encor la laine ? / Assise au coin du feu pour les vieilles chansons / Quand pourrai-je dormir après avoir prié ? / Dans la maison fidèle et calme à la prière » (Jeanne d’Arc, « À Domrémy »). La douceur du foyer paternel, de la terre charnelle, cette douceur si précieuse qui nous relie à Dieu mérite toute notre attention et tous nos soins. Par elle, nous serons sauvés.
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