Lorsque Alexandre devient, en 313, le dix-neuvième patriarche d’Alexandrie, tout semble devoir lui sourire. Constantin et son beau-frère Licinius, son associé à la pourpre, ont signé l’édit de Milan qui, en reconnaissant la liberté du culte aux chrétiens a mis un terme aux persécutions. Désormais, la vie des fidèles, et des pasteurs, sera plus facile. Aimable illusion !
D’abord parce qu’il y a souvent des causes politiques aux attaques contre l’Église et que la brouille, inévitable, entre Constantin et Licinius, rangera ce dernier dans le camp des ennemis du Christ, ce qui relance en Orient un nouveau cycle de violences. Même si l’Égypte, très éprouvée lors des persécutions de Dioclétien, Galère et Daia, est cette fois épargnée, d’autres épreuves attendent le patriarche de la troisième ville de l’Empire. Pris entre deux grandes figures, Pierre, dernier martyr d’Alexandrie, et Athanase dont la gloire s’étendra à toute la chrétienté, Alexandre fait pâle figure, mais il serait injuste de ne pas considérer le soin avec lequel il remplit sa mission et ses louables efforts pour dénouer les difficultés qui l’accablent.
L’hérésie arienne
Il est né vers 250, en pleine persécution de Dèce. Sans doute a-t-il ensuite, comme la plupart des clercs alexandrins, fréquenté le Didascalé, première université catholique de l’histoire et centre bouillonnant de la réflexion théologique depuis Origène. Devenu prêtre à une date inconnue, il a appartenu au presbyterium du patriarche Pierre et en a été assez proche pour qu’on le pense destiné à lui succéder mais, quand Pierre est martyrisé en 311, après avoir traversé presque une décennie de violences antichrétiennes, c’est Achillas qui devient patriarche. Pas longtemps, car il meurt après seulement cinq mois sur le siège de saint Marc. Cette fois, Alexandre est élu.
Hélas, au cours de son bref patriarcat, Achillas a cru bon lever les sanctions prises par Pierre contre un prêtre libyen installé à Alexandrie, intellectuel brillant et prédicateur doué mais qui professe des vues hérétiques sur la divinité du Christ… Ce nommé Arius a été autorisé à reprendre son enseignement et Achillas l’a nommé à la tête d’une des plus importantes communautés de la ville, celle de Baucalis, quartier chic, proche des universités qui attire professeurs et étudiants. Bourrés de philosophie, grands coupeurs de cheveux en quatre, ces gens, tout chrétiens qu’ils soient, trouvent le christianisme trop simple pour des intelligences comme les leurs… Les idées tordues d’Arius, exprimées avec talent, vont leur plaire. Quelles sont-elles ? Le Verbe, seconde Personne de la Trinité, n’est pas l’égal du Père. Il n’est pas de toute éternité mais a été créé par le Père. Quant à Jésus, son titre de Fils de Dieu est honorifique, sa divinité sujette à caution, le Père seul étant Dieu en toute plénitude.
Alexandre a l’intelligence de comprendre qu’il faut répondre à la théologie déviante d’Arius par une théologie catholique parfaite et argumentée
Effaré de ce tissu d’hérésies entortillées dans un langage élégant et savant, Alexandre décide de faire taire Arius. C’est d’autant plus urgent que, bon communicant, celui-ci diffuse ses théories insanes par le biais de cantiques faciles à retenir que tout le monde chante, de sorte que tous les Alexandrins sont menacés de réduire le Christ à une sorte de Superman… Après de vaines tentatives pour ramener Arius à la vraie foi, puis une excommunication fulminée en 318 sans démonter le personnage qui, dans l’intervalle, s’est fait des relations jusqu’à la cour de Constantinople, Alexandre a l’intelligence de comprendre qu’il faut répondre à la théologie déviante d’Arius par une théologie catholique parfaite et argumentée. Lui-même n’en a pas les capacités mais il vient de s’attacher les services d’un théologien de premier ordre. Si ce jeune prêtre, Athanase n’atteint même pas la trentaine, il est d’une intelligence et d’une détermination hors du commun, de sorte qu’Alexandre n’hésite pas, en 320, à en faire son diacre, c’est-à-dire son bras droit et son successeur désigné.
Le rôle d’Athanase
Tous les spécialistes s’accordent à attribuer à Athanase la paternité de l’encyclique qu’Alexandre publie en 322 pour condamner l’arianisme ; c’est encore Athanase qui accompagne Alexandre au concile tenu à Nicée en mai 325 afin de tenter d’obtenir une condamnation unanime d’Arius, qui prépare les dossiers du patriarche et les formules qui aboutiront à la rédaction du Credo de Nicée, imposant la notion de consubstantialité du Père et du Fils. Malgré tout, et en dépit de la mort d’Arius, la crise arienne n’en est qu’à ses débuts car l’hérésie, avec l’appui de princes gagnés à ses vues ressurgira de siècle en siècle.
Alexandre, en droit de croire le danger éradiqué, peut se féliciter aussi d’avoir ramené dans la communion ecclésiale l’évêque Mélèce de Lycopolis, hardi confesseur de la foi pendant les persécutions, certes, mais qui, reprenant l’opinion condamnée au siècle précédent de Novatien, prétend empêcher la réconciliation des "lapsi", ceux qui « ont glissé » comme on appelle les chrétiens qui, par peur de la mort, parfois sous la torture, ont apostasié. Rome a pourtant tranché en leur imposant une rude pénitence mais en permettant, à son terme, de les réintégrer dans l’Église. Mieux encore, Alexandre a réussi à détacher Mélèce du parti d’Arius qu’il a un temps soutenu pour créer des oppositions supplémentaires au patriarche.
La date de Pâques
Il a également fini par trouver un consensus autour de la date de Pâques et l’imposer à l’ensemble des églises dépendant d’Alexandrie. On lui doit la construction du sanctuaire alexandrin de Saint-Théonas. Même si l’on ne sait trop qui est le véritable auteur de ses lettres et de ses traités, dont un seul, De anima et corpore, à propos de l’âme et du corps, nous est parvenu, ce n’est pas un si mauvais bilan. Alexandre meurt un 17 avril, en 326 ou 328, l’on ne sait. Sa plus belle réussite demeure, incontestablement, d’avoir distingué chez le jeune Athanase le génie qui sauvera la catholicité de l’arianisme.