Députée de l’Oise, Agnès Thill publie “Tu n’es pas des nôtres” (Editions de l’Artilleur) dans lequel elle revient sur son exclusion de LREM mais aussi sur son enfance, la figure de son père, sa foi, son passage par la franc-maçonnerie et ses positions sur le projet de loi bioéthique. Aleteia l’a rencontrée.“La France va inscrire dans sa loi le père facultatif et permettre la venue au monde d’enfants sans père. Mais qui êtes-vous pour vous permettre une telle mutilation ? Est-ce à dire qu’un père est inutile ?”. Un an après, les propos tenus par Agnès Thill à l’Assemblée nationale lors de l’examen en première lecture du projet de loi bioéthique résonnent encore avec force. Certains ont découvert la députée de la 2e circonscription de l’Oise à l’occasion des débats sur la bioéthique. D’autres, lors de son exclusion de La République en marche (LREM) en juin 2019 justement pour sa position très ferme sur la PMA.
Visage inconnu de la politique jusqu’à son élection aux législatives de 2017, Agnès Thill fait partie de ces profils issus de ‘la société civile’ si chers à Emmanuel Macron lors de son élection. Institutrice puis directrice d’établissement, elle n’a pas un parcours politique. Mais elle n’y est pas non plus étrangère. C’est à la terrasse d’un café proche de du Palais Bourbon qu’elle prend le temps de se raconter à Aleteia ce 22 septembre, à la veille de la sortie de son livre Tu n’es pas des nôtres faisant explicitement référence à son éviction de LREM. Dès les premiers instants, les mots qu’elle emploie à l’égard de son ancienne formation politique tranchent avec son visage avenant : “Je suis la seule de LREM à avoir été virée pour mes idées”, assure-t-elle. Des idées qu’elle s’est forgée au fil des années, de son enfance en Seine-Saint-Denis auprès de son père ouvrier et catholique, son passage au Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), ses dix années au sein d’une loge maçonnique, sa vie d’institutrice, sa fille qu’elle a élevée seule, sa rencontre avec Dieu… En un peu plus d’une heure d’entretien, elle parle volontiers et d’un ton enjoué, passant parfois – même souvent – d’un sujet à l’autre. Déstabilisante, certainement irritante pour certains, elle défend ses idées et ce qu’elle est avec conviction. Entretien.
Aleteia : Avant votre élection en tant que députée LREM de l’Oise en 2017, vous étiez inconnue localement et nationalement. Pourtant, votre engagement politique ne date pas d’hier…
Agnès Thill : Il me vient de mon père. Il était ouvrier, engagé à la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) et au Parti socialiste. Il était syndiqué, comme tout le monde à l’époque ! Je me souviens qu’enfant je l’accompagnais tout le temps vendre L’Unité sur les marchés. J’ai baigné là-dedans. Je me souviens de lui avoir posé la question de la différence entre la gauche et la droite. Il m’a répondu que c’était les ouvriers d’un côté et les patrons de l’autre, les riches et les pauvres. J’ai flippé car je voyais très bien qui étaient les pauvres dans les évangiles, c’étaient ceux qui faisaient la manche ! Mon père m’a rassurée comme il a pu. Je ne pense pas être un phénomène unique, nous sommes nombreux à avoir grandi avec cette vision du monde politique.
Vous vous êtes donc naturellement engagée au Parti socialiste ?
Je suis rentrée au Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) au début des années 1980 à l’âge de 18 ans, à la section de Pantin, une section fabiusienne. Je tractais à la sortie du métro avec d’autres, on s’amusait et on passait des soirées à refaire le monde ! J’aimais cette ambiance, cette proximité ! Enfin, jusqu’au jour où j’ai osé demander quelle était la différence entre la motion de Jospin et celle de Fabius. On m’a violemment répondu qu’ici c’était une section fabiusienne donc hors de question d’évoquer Jospin ! Mon cas a empiré lorsque j’ai osé dire que ce que disait Rocard n’était pas si mauvais.. ! Finalement j’ai rendu ma carte après le congrès de Rennes, en 1990, qui a signé pour moi l’effondrement du PS.
Des années après j’ai réalisé que si mon père était parti, s’il avait quitté ma mère, je n’aurais pas eu cette vision de la vie.
Vous évoquez votre père comme l’origine de votre engagement politique. Quelle place a-t-il eu dans votre vie ?
Il a eu et il a encore une place centrale dans ma vie. Ma mère ne me désirait pas et a été maltraitante avec moi. Mon père c’est tout l’inverse. Jeune il voulait être prêtre mais n’a pas pu car en tant qu’aîné de sa famille, il a commencé à travailler à l’usine à l’âge de 13 ans. Il m’emmenait partout avec lui et n’a jamais élevé la voix. Grâce à lui j’ai été élevée dans la droiture. Il m’a appris ainsi qu’à mes frères le bon sens : on ne jure pas, on éteint la lumière quand on sort d’une pièce, quand on est invité on attend que la maîtresse de maison commence avant de manger… Mais, surtout, il nous a enseigné que c’était toujours l’autre en premier. À l’âge de 12 ans j’ai demandé à mon père pourquoi il ne divorçait pas de ma mère. Il m’a répondu qu’il l’avait épousée pour le meilleur et pour le pire. Qu’est-ce qui est le mieux ? Son bonheur ou sa parole donnée ? Peut-être vaut-il mieux se sauver soi-même finalement ? Lui a été un exemple de droiture, de fidélité, de respect de la parole, de l’engagement. Des années après j’ai réalisé que s’il était parti, s’il avait quitté ma mère, je n’aurais pas eu cette vision de la vie. Et s’il ne me l’avait pas donnée, qui me l’aurait construit ?
Vous a-t-il transmis la foi ?
C’est un chemin bien escarpé et sinueux que celui de la foi. Mon père avait une foi profonde et lumineuse mais très intime. À côté ma mère, également catholique, avait plutôt une foi de façade et je n’en voyais que les contraintes. J’avais un respect immense pour mon père mais je rejetais en bloc l’Église, qui n’était pour moi qu’un carcan supplémentaire, des contraintes… Je méprisais ses enseignements et, c’est bien simple, j’étais contre tout ce qu’elle proposait. L’Église, la foi, Dieu… Tout ceci constituait selon moi un obstacle à notre liberté, une contrainte. Je voyais Dieu comme quelque chose qui m’empêchait de faire ce que je voulais de mon corps, de ma vie… Alors j’ai tout simplement déserté l’église.
Et aujourd’hui qu’est-ce qui a changé ?
À l’époque, imaginer que Dieu nous accompagne au quotidien me paraissait inconcevable. Pour moi c’était surtout un obstacle à nos choix. Alors qu’en réalité, peu importe nos choix. Je sais aujourd’hui que Dieu ne nous lâchera jamais. Finalement, je fais bien les choix que je veux, je sais que dans son amour infini Dieu me laisse libre et, surtout, qu’il ne me laissera jamais tomber. Il m’accompagne dans tous mes choix.
Avant d’en arriver là, vous avez passé dix ans au sein d’une loge maçonnique…
C’est quelqu’un que j’avais rencontré au PS à Pantin qui m’a introduit. C’était quelqu’un de bien qui défendait des valeurs humanistes, de tolérance et qui m’a expliqué qu’on pouvait y faire de la politique d’une autre façon. Il y a des loges maçonniques plus sociales, d’autres théologiques, philosophiques… Personnellement j’ai été initiée en 2000 au Droit humain (DH). On critique beaucoup les francs-maçons mais comme partout il y a 2% de véreux pour 98% de travailleurs vertueux ! Ce sont des gens qui sont à la recherche de la vérité, qui cherchent à s’améliorer, à travailler. J’y ai rencontré des gens sincères et authentiques. Pourtant j’ai quitté la franc-maçonnerie en 2010. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est la franc-maçonnerie qui m’a ramenée à l’Église !
Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?
J’ai retrouvé au sein de la franc-maçonnerie les enseignements du Christ sans Dieu. Quand j’entendais “cherches et tu trouveras” je voyais inévitablement dans ma mémoire saint Matthieu (Mt 7,8, ndlr) ! la franc-maçonnerie étant un lieu où l’on cherche, j’ai cherché ! J’ai passé des heures à relire la Bible, j’ai repris des cours aux Bernardins, je suis également retournée à la messe, sans communier bien sûr. Je m’en suis même ouverte à des sœurs de ma loge qui se déclaraient elles-mêmes chrétiennes et à qui ça ne posait pas de problème. C’est finalement la dernière année que cela m’a sauté aux yeux : j’étais maître et il fallait réélire un vénérable. J’ai finalement prié Dieu à travers le Grand Architecte de l’Univers. Là je me suis dit qu’effectivement, ce n’était pas la place pour une telle prière ! J’ai réalisé que je ne pouvais pas aller à la loge le mardi soir et à l’église le dimanche matin.
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Quelle différence vous a frappé entre la franc-maçonnerie et l’Église ?
Dans la religion catholique tout vient de Dieu tandis que dans la franc-maçonnerie tout vient de l’homme. C’est une différence essentielle. Les franc-maçons veulent s’améliorer et progresser, et c’est une belle vertu, mais seulement grâce à eux-mêmes, à leur force, à leur volonté. Or je pense qu’elle ne suffit pas. De la même manière au sein de la franc-maçonnerie on se doit une assistance fraternelle. Mais j’ai réalisé que cette assistance n’existe qu’entre nous. Du jour où j’ai quitté ma loge, aucune fraternité n’a tenu. Alors que pour l’Église, cette fraternité est universelle, peu importe notre religion. J’ai demandé en 2012 la confirmation que je n’avais jamais reçue.
Votre foi vous a-t-elle portée dans votre retour en politique ?
LREM est le fruit de ce malaise. La France n’allait pas bien – elle ne va d’ailleurs toujours pas bien – sinon jamais Emmanuel Macron n’aurait été élu et jamais je ne serais devenue députée. J’étais complètement pour ce dépassement du clivage gauche/droite que promettait LREM mais je n’avais pas compris que ça allait être pour le remplacer par un clivage progressiste/populiste. Ce n’est pas un progrès, ce n’est pas rassembler, c’est tout simplement recréer une lutte des classes. Nous avons échoué à réduire la fracture sociale de la France.
Permettre par la loi qu’un enfant naisse sans père est une aberration et une grande cruauté.
Aujourd’hui, vous avez rejoint le groupe UDI et indépendants. Malgré ce changement d’étiquette, vous défendez toujours vos idées, notamment sur le projet de loi bioéthique…
Ayant élevé ma fille seule, je n’ai même pas pu lui offrir ce que moi-même j’ai eu. J’ai expérimenté la difficulté d’élever un enfant seul. Je trouve que permettre par la loi qu’un enfant naisse sans père est une aberration et une grande cruauté. Au nom de quoi l’amputerait-on volontairement de quelque chose qui peut être extraordinaire ?
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Qu’est-ce que le projet de loi bioéthique dit de notre société ?
Tout ce que peut faire l’homme, tout ce qui est possible de faire techniquement, il le fera, c’est une liberté supplémentaire. L’homme ne se donne plus de contrainte. C’est inquiétant. Depuis le premiers temps tout le monde suit les commandements, même intuitivement, qui sont de ne pas tuer, de ne pas voler etc. Mais aujourd’hui on en vient à marier la biologie et les lois. L’absence de repère spirituel rend tout possible. Mais si cela est possible, est-ce pour autant souhaitable ?
Tu n’es pas des nôtres, Agnès Thill, Éditions l’Artilleur, septembre 2020, 16 euros.