À Rome, la dernière apparition du Pape, entre étonnements et interrogations

À Rome, cette nouvelle escapade impromptue du Pape a pris tout le monde de court. Pressé par les journalistes, Matteo Bruni, le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, a expliqué que le pontife faisait une promenade à l’intérieur de Sainte Marthe (son lieu de résidence où il poursuit sa convalescence) dans la matinée de jeudi quand il a demandé à sortir pour aller prier dans la basilique. Il y a été emmené en fauteuil roulant par son fidèle assistant médical personnel, Massimiliano Strappetti, suivi par une équipe de sécurité. 

Le Pape, affirme Matteo Bruni, a prié sur la tombe de Pie X et observé des travaux en cours dans la basilique. Le communicant n'a cependant pas voulu commenter le fait que le Pape soit sorti sans endosser les habits attachés à sa charge. Il a cependant reconnu que ce type d’initiatives " peut parfois naître du désir [du Pape, NDLR] de faire des surprises, qui nous surprennent nous aussi ". Malgré la convalescence que lui ont imposé ses médecins, le Pape aurait donc décidé seul, et sans prévenir qui que ce soit, de faire cette sortie. Un fait connu uniquement grâce aux photos et vidéos prises par des fidèles et touristes présents, que le Pape a salué.

Interrogées par des journalistes, dont Aleteia, ce vendredi, deux restauratrices travaillant dans la basilique, Lorena et Michela, ont expliqué avoir été très surprises de voir surgir le chef de l’Église catholique. "Il nous a remerciées pour notre travail ", a confié Lorena. Sa collègue a déclaré que le pontife avait insisté pour lui serrer la main, malgré sa réticence, car ses doigts étaient froids et mouillés.

Pour un vaticaniste italien en poste à Rome depuis des dizaines d’années, cet événement est " en cohérence " avec la personnalité du pape François. " Il n’a jamais été un pape formel, il a souvent désacralisé la fonction, et il continue à incarner cette révolution ", assure-t-il.

" Il sait ce qu'il fait, il ne fait jamais rien au hasard ", estime pour sa part un ambassadeur européen près le Saint-Siège qui rappelle que François est " coutumier de ce genre de coups de théâtre ". Pour lui, cette escapade est probablement un signal envoyé à tous ses collaborateurs. " C'est une façon de leur dire qu'il reste aux commandes et qu'il est toujours le patron ", assure-t-il, notant l’existence de tensions au plus haut niveau de la Curie, mais aussi le risque de voir certains profiter de la faiblesse du Pape comme cela est déjà arrivé lors de précédents pontificats. 

" Il va se montrer autant qu'il le pourra ", assure un autre diplomate qui considère que ce genre de sorties – tout comme l'apparition du pontife lors du Jubilé des malades et du monde de la santé, ou sa rencontre avec le roi Charles III – manifestent un optimisme un peu forcé sur son état de santé. Il note néanmoins que cette stratégie est à double tranchant, parce que les images montrent bien que le Pape n'est pas en forme. " Il est encore malade, quoi qu’en dise le Saint-Siège, et il joue avec sa santé ", s'inquiète l’ambassadeur européen, qui note que le Pape était équipé de son aide respiratoire lors de son escapade.

Mais au-delà de l’opportunité de cette sortie, c’est surtout la tenue papale qui fait parler. Pour la première fois depuis 2013, le Pape ne s’est pas présenté dans ses habits pontificaux blancs, mais avec un pantalon noir et un maillot à manches longues blanc recouvert d'une couverture à rayures. " De mémoire d’observateur, on n’a jamais vu un pape vêtu simplement comme cela ", commente le vaticaniste italien. Un point de vue que le diplomate relativise néanmoins, en rappelant que Jean Paul II s’était déjà montré en tenue de ski au début de son pontificat.

" C'est surprenant, mais ce n'est pas le plus important ", estime l’ambassadeur européen, qui considère que la couverture est une " simple mesure de prudence pour éviter qu'il prenne froid en gagnant la basilique ". Pour un autre observateur, il devient peut-être plus difficile d’habiller le pontife. La mobilité du Pape, déjà réduite depuis plusieurs années, s’est en effet encore amoindrie en raison de sa longue hospitalisation.

Un point de vue que ne partage pas un vaticaniste, qui pense que le Pape a voulu se montrer ainsi. " François était comme un homme du peuple ", assure-t-il, considérant que le reste de la visite, notamment le passage sur la tombe de Pie X, n'était qu'un " prétexte pour se montrer de cette façon ". " Le Pape sait aussi qu’après son hospitalisation il est entré dans une nouvelle phase de son pontificat, et il utilise les moyens qui sont à sa disposition, qui ne sont plus tant les longs discours ", avance le journaliste.

Pour d’autres vaticanistes, la tenue civile du Pape laisse cependant une impression de malaise, qu’une employée du Vatican tente de dédramatiser : " Après tout, le Pape est chez lui, et ce sont les pèlerins qui doivent s'adapter au fait qu’il ait voulu prolonger sa promenade ", s’amuse-t-elle.

Pour l’ambassadeur européen, le choix du Pape de se rendre sur la tombe de Pie X, sur laquelle il est déjà allé prier dans un passé récent, ne serait pas arbitraire. Le pontife argentin, selon le diplomate, pourrait s'identifier à son prédécesseur italien. Celui-ci, note-t-il, fut non seulement un pape réformateur – il a promulgué un Catéchisme de la doctrine chrétienne – mais aussi un pape très populaire, très apprécié de son peuple.

Mais Pie X, mort le 20 août 1914, était aussi " un homme de paix, qui s'est retrouvé impuissant alors que la guerre était sur le point d'éclater ", note l'ambassadeur. " Avec le contexte actuel, François peut se retrouver en ce pape, qui, alors qu'il s’affaiblissait, voyait s'ouvrir devant lui le gouffre de la Première Guerre mondiale ", analyse-t-il.