Au début de cette année jubilaire, marquée par le sceau de l’espérance, nous pouvons-nous demander : comment la cultiver, la transmettre, dans un monde marqué par tant d’incertitudes, de crises en tout genre, par tant de mal, de souffrance, d’épreuves qui, bien souvent, n’ont aucun sens ? Des moyens concrets pour la nourrir sont à notre portée. L’un d’eux, accessible à tous, croyants ou non, est de scruter la beauté. Car il ne faudrait pas que notre conscience du mal et de la laideur aille sans celle du beau, du bien et du vrai. Oui, scrutons la beauté ! Il y en a partout, tout le temps. Autour de nous, et même en nous. Pour la philosophe Simone Weil, la beauté est un besoin de l’âme. Or, il est fondamental de prendre soin des besoins de notre âme, et pas seulement de ceux de notre corps ! Et si nous choisissions, comme bonne résolution, de suivre cet appel à vivre d’espérance, en aiguisant notre capacité d’émerveillement ?
Un signe que la vie a du sens
La beauté nous offre quelque chose que nous n’avions pas forcément cherché. Quelque chose dont on ne réalise l’importance vitale que lorsqu’on vient à en manquer. Ce quelque chose n’est pas matériel. C’est quelque chose "de plus". Et son cadeau est double : celui de la beauté elle-même et cette découverte qu’au fond de nous, nous aspirons "à plus". Car nous sommes plus que ce nous croyons. Notre vie englobe une réalité plus vaste que ce que nous imaginons. La vie, la création, l’histoire de l’humanité, le monde ont plus de sens que ce que nous en comprenons. La beauté, l’émerveillement nous permettent d’approcher ces mystères. L’académicien François Cheng a partagé cette sublime pensée dans une émission il y a quelques années et je ne l’ai jamais oubliée : "La beauté, c'est un signe par lequel la création nous signifie que la vie a du sens." Au fond, la beauté redonne goût à la vie, ici et maintenant, et donne de croire et de rêver l’avenir. Malgré tout. Et malgré nous.
Évidemment, il est difficile d’expliquer la beauté. Elle ne se laisse pas enfermer dans une définition ou une démonstration. Elle n’est pas toujours où on l’attend. On l’entrevoit dans la nature et ses créatures, dans l’immensité des montagnes et celle des cathédrales, dans les couleurs du ciel et celle des vitraux, dans la douceur, le soutien, un chagrin. Dans l’effort de l’un, la discrétion de l’autre. Dans un amour qui prend patience. La beauté, c’est la sensation d’une main dans la sienne. C’est un sourire au coin des yeux.
L’art inspirant d’Augustin Frison-Roche
Et il est une forme de beauté singulière dont seul l’être humain est capable : l’art. Que ce soit la musique, la poésie, la sculpture, l’architecture, la peinture… Ce sont des lieux où le génie humain se déploie. L’art véritable et inspiré est une histoire d’amour, une forme de louange capable de rendre visible l’invisible. L’artiste, en construisant la beauté, en devient lui-même l’instrument. Fervent chercheur, il mendie l’inspiration : comment insuffler de la beauté dans la matière ? Où faire surgir l’idée, l’émotion, le cri qui le tenaille ? Comment semer dans la mémoire de l’histoire ?
Je crois que ses œuvres réveillent le vestige en nos âmes de l’alliance parfaite avec Dieu.
Il est un artiste contemporain dont on peut dire qu’il est profondément inspiré. Et inspirant. Le 9 janvier, le collège des Bernardins a inauguré une exposition exceptionnelle : Épiphanies, d’Augustin Frison-Roche. Le travail de cet incontournable prophète, par ses talents, de notre temps est visible jusqu’au 26 février, et je ne saurais que trop encourager ceux qui le pourront à s’y rendre, sans hésiter. C’est un véritable shoot d’espérance et de beauté. Dans mon livre Grâce à l’émerveillement (Salvator, 2023), j’avais consacré quelques pages en annexe à commenter l’une de ses œuvres, mise en illustration. Dans son univers, incomparable, reconnaissable aux couleurs de paradis, bleu, rouge, or, aux couleurs des astres, des sentiments, des éléments, que vous ne verrez nulle part ailleurs… on perd la notion du temps. Un souffle plane. Avec lui, j’ai l’impression de plonger dans un monde totalement nouveau, et pourtant intensément familier, presque intime. Tout son travail est un véritable hymne au Créateur de tant de splendeur. C’est une porte ouverte sur le royaume des Cieux. Je crois que ses œuvres réveillent le vestige en nos âmes de l’alliance parfaite avec Dieu. Sa peinture, qu’on peut aussi découvrir dans la cathédrale de Saint-Malo avec son magistral Triptyque de l’Apocalypse, touche ce qui, en nos cœurs, a soif de beau, de puissant et de merveilleux. Ce qui en nos âmes, vagabonde, rêve, s’inquiète, se questionne, scrute les signes des temps.
Une beauté qui sauve
Je crois que l’émerveillement, particulièrement celui qu’Augustin Frison-Roche, excelle à faire naître, produit cette intuition spirituelle qui nous donne d’approcher ce mystère : il y a une force de vie qui traverse, transcende toutes choses, dans une intentionnalité qui nous dépasse. Quelque chose d’imperceptible nous lie, nous relie. Il nous ouvre à une science de la vie enthousiasmante, qui nous libère de nos certitudes, nous fait exister et nous donne envie de vivre, au-delà de nous-mêmes. C’est une immersion dans une science de la Beauté et du Salut. Une science qui n’est pas réservée aux sages et aux savants, mais rejoint ceux qui vivent dans une écoute et une ouverture à la grandeur.
"La beauté sauvera le monde !" Pourquoi cette parole tirée du roman L’Idiot de Dostoïevski est-elle devenue un slogan populaire ? Peut-être parce qu’elle sonne comme une vérité universelle. On y adhère, spontanément. Car intuitivement nous pressentons qu’un lien profond unit la beauté, la bonté et la Vérité. Et donc, le Salut. Être sauvé, c’est l’espérance même. C’est le titre que le géant Benoît XVI a même choisi pour sa précieuse encyclique consacrée à l’espérance : Spe salvi. Sauvés dans l’espérance… Tout est là. Elle est là. L’espérance, avec un grand E. Elle nous est donnée. Elle infuse en nos âmes. Elle est là, cette grande espérance qui soutient toute l’existence et résiste à toutes les désillusions. Celle d’une Beauté qui nous sauve. Celle qui murmure son nom au creux de nos âmes : "Je suis."
Pratique :