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Les arbres se dépouillant en automne semblent pleurer, et chaque feuille est comme une larme emportée par le vent. Temps de regret et de nostalgie des jours lumineux qui s’éloignent et annonce des heures sombres et glaciales. La nature, comme création divine, participe, de cette façon mystérieuse, à ce qui est le propre de l’homme : pleurer de tristesse ou de joie. Certaines larmes sont fameuses et brillent comme des phares dans nos ténèbres : celles du prophète Jérémie accablé par la ruine de Jérusalem et l’infidélité de son peuple ; celles de Notre Seigneur devant la ville sainte alors qu’Il se compare à une poule essayant de rassembler ses poussins ; celles de saint Pierre dans son repentir après son triple reniement ; celles de sainte Monique implorant pour la conversion d’un Augustin à la dérive ; celles des mystiques qui embrasent leur cœur plus qu’aucun feu ne pourrait les brûler ; celles de la Très Sainte Vierge sur la montagne aride de la Salette…
Les larmes sont à Dieu
Chaque larme est comptée, précieuse, aussi brillante qu’une gemme. Et puis, il existe ce réservoir inépuisable de nos larmes plus communes, moins élevées, plus terre à terre, celles des petits que nous sommes et qui exprimons ainsi nos désarrois et nos bonheurs. Part de notre héritage aussi, car les pleurs de nos aïeux traversent les âges, comme le chante douloureusement Charles Baudelaire :
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
(Les Fleurs du Mal, "Les Phares")
Les larmes des hommes touchent le Cœur de Dieu car elles Lui appartiennent. En tombant, elles ne font que remonter vers leur origine. Ernest Hello attribue à sainte Rose de Lima l’affirmation suivante : "Les larmes sont à Dieu, et quiconque les verse sans songer à lui, les lui vole" (Paroles de Dieu, "Les larmes dans l’Écriture"). Et il ajoute :
La Sainteté des Larmes apparaît dans cette parole. Les larmes ont été profanées ; elles ont été dépouillées de leur splendeur et de leur pureté ; mais elles restent ce qu’elles sont en principe, elles restent une possession divine, quelque chose comme la réserve de Dieu, l’Anathème. Beaucoup d’actes humains sont des travaux. Les larmes sont un certain Repos. La Prière, la contemplation trouvent dans les larmes leur Sabbat. Elles semblent ramener à Dieu ce qu’elles touchent, quand elles sont saintes ! Elles dépouillent de certaines choses, elles revêtent de certaines autres. Elles calment, elles rafraîchissent, elles embellissent. Ce sont les perles de la grande mer, les perles très précieuses.
Les pleurs de Marie
Aucune larme humaine, versée pour une douleur crucifiante ou pour une joie légitime, n’est perdue. Elle est recueillie et versée dans le calice du Sang du Maître comme cette goutte d’eau de l’offertoire qui nous rend participants à la divinité de Celui qui a épousé notre humanité. D’ailleurs le prêtre montant à l’autel commence aussi par présenter des larmes, celles provoquées par l’Ennemi qui assaille, selon les paroles du psalmiste : "Car vous êtes, ô Dieu, ma force : pourquoi m’avez-vous repoussé ? Et pourquoi faut-il que je marche tout contristé, tandis qu’un ennemi m’afflige ?" (Ps, 42, 2.) Au ciel réside la promesse que toute larme sera effacée des visages et si, d’aventure, la Reine des Anges visite la terre en pleurant, ses larmes ne s’écrasent pas dans notre tourbe mais retournent vers Dieu pour y éclater en autant de traits de lumière.
Léon Bloy, à propos de l’apparition de la Très Sainte Vierge à la Salette en 1846, écrit puissamment :
La Mère de Dieu a pleuré et Elle est notre Souveraine et notre Génératrice dans l’ordre de la grâce. Cela suffit pour nous faire comprendre ce que peuvent être ces imperceptibles ruissellements de nos lâches cœurs qui s’appellent les larmes de notre misère. Si Marie n’avait pas pleuré, l’âme humaine se serait tellement desséchée que tous les hommes ensemble n’auraient pas une seule larme à offrir aux souffrances de Jésus-Christ. Nous ne pourrions même pas pleurer contre Dieu. Quant Notre-Dame s’est fait voir en pleurs à la Salette, ses Larmes sont remontées vers le Ciel ; sans tomber sur le sol, parce que c’étaient les larmes d’un cœur glorifié, et si, par miracle, une seule avait pu toucher la terre, le monde aurait été consumé parce qu’il n’y a que le Cœur de Dieu qui soit capable de supporter d’aussi dévorantes effusions. (Le Symbolisme de l’Apparition)
Un fleuve intarissable
Les Évangélistes qui rapportèrent par trois fois les larmes du Fils ne mentionnent pas les larmes de la Mère, tout simplement parce que les prophéties à ce sujet étaient suffisamment explicites, mais ici, sur cette montagne perdue et en présence de deux enfants simples et étonnés, la Vierge Sainte poursuit les lamentations des temps anciens lorsque le peuple élu déraillait et s’enfonçait dans l’infidélité. Cette fois, les larmes de Marie jaillissent pour tous les hommes car le refus de la conversion risque le châtiment : le bras du Fils peut s’abattre sur le monde.
Lorsque les arbres tremblent sous les vents d’automne et dispersent aux quatre coins leurs feuilles desséchées, puissent-ils être une invitation qu’ils nous adressent afin que nos propres larmes soient autant de marques de pénitence et de reconnaissance. Toutes ces larmes humaines peuvent former un fleuve intarissable qui, dévalant collines et montagnes, emportera par la force de la charité toutes les alluvions des aberrations peccamineuses de ce monde. Charles Péguy, chantant Notre Dame, implore ainsi :
Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
Que la dernière place en votre Purgatoire,
Pour pleurer longuement notre tragique histoire,
Et contempler de loin votre jeune splendeur.
(La Tapisserie de Notre Dame, "Présentation de la Beauce")
La prière des larmes
Trop souvent, par respect humain, par fausse pudeur, par orgueil, par prétention d’être fort, l’homme préfère cacher ses larmes ou bien les tarir en se nourrissant d’illusion et en croyant que l’existence pourrait être une scintillation perpétuelle. Parfois le bruit des larmes doit couvrir ou remplacer le bruit des paroles, y compris dans la prière dont elles sont souvent la purification ou l’expression la plus haute —comme ces multiples mentions du Journal des motions intérieures de saint Ignace de Loyola : "Avant et après la messe, larmes. Pendant, grande abondance de larmes. Et avec la loquela [parole] intérieure admirable, et augmentant plus que les autres fois." Le poète Philippe Jaccottet, tâtonnant dans l’ombre et aspiré par l’invisible, écrit finement :
Les larmes quelquefois montent aux yeux
comme d’une source,
elles sont de la brume sur des lacs,
un trouble du jour intérieur,
Une eau que la peine a salée.
La seule grâce à demander aux dieux lointains,
aux dieux muets, aveugles, détournés,
à ces fuyards,
ne serait-elle pas que toute larme répandue
sur le visage proche
dans l’invisible terre fît germer
un blé inépuisable ?
(À la lumière d’hiver)
Si les dieux indifférents et absents sont ainsi peut-être capables d’être fléchis par les larmes, comment alors ne pas croire que le vrai Dieu, Celui de l’Amour, rassemble nos pleurs, d’automne et de toute saison, pour participer à sa gloire et pour consoler toutes les âmes en peine…