Lima, 1599. La soirée a tout pour plaire. La salle de fête est illuminée et décorée à souhait, le parfum des épices du buffet et des fleurs embaume la pièce et les jeunes gens dansent au rythme de la musique sous les yeux bienveillants des chaperons. Pourtant Hernando est distrait. Non que la musique ou la compagnie ne lui déplaise mais cela fait un moment qu’il ne voit plus sa cadette, Rose.
Leurs parents avaient insisté pour qu’elle sorte. Connaissant Rose, elle doit se cacher quelque part pour échapper aux mondanités, se dit-il. Un soupir lui échappe et bien à contrecœur, Hernando laisse sa cavalière pour partir en quête de son entêtée de sœur. C’est alors qu’il aperçoit une bande de garçons en grande discussion dont son ami Gracio qu’il avait aperçu avec Rose tantôt.
Alors qu’il s’approche, Hernando remarque une marque rouge sur la joue de son ami. Ce dernier le voyant arriver, parle le premier.
- Amigo, ta sœur a beau être la plus belle fille de Lima, elle est plus farouche qu’un chat sauvage.
- C’est ce genre de propos qui t’a valu un de ses soufflets ? réplique Hernando, croisant les bras sur sa poitrine. Qu’as-tu fait à ma sœur, Gracio ?
- Sur l’honneur, je n’ai rien fait, se défend l’accusé. J’ai simplement dit qu’elle était ravissante et l’ai invité à danser. Elle m’a envoyé sa main dans la figure avant de filer comme l’éclair.
Les entrailles d’Hernando se tordent soudainement d’inquiétude. L’impulsivité de sa sœur n’est pas à prendre à la légère, il le sait mieux que personne. Laissant à Gracio le soin de prévenir les chaperons de son départ, il se hâte de quitter les lieux.
Il se lance sous la pluie sur le chemin de leur maison. Une fois arrivé, il se précipite vers la chambre de sa sœur. Sur le sol sont éparpillées de longues mèches de cheveux mal coupées ainsi que la belle robe de Rose en lambeaux.
Soudain, un cri provenant de l'extérieur le fait alors sursauter. Ce n’est ni un cri de peur ni de douleur. Hernando se rend alors au jardin. Rose est là, sous la pluie ne portant rien d’autre qu’une chemise de nuit, et son chapelet à la main. Sans attendre, Hernando l’attrape par le bras et la tire à l’intérieur.
- Tu veux attraper la mort, malheureuse ? Qu’as-tu fais à tes cheveux ? Et ton visage…
En effet, le si joli visage de Rose est couvert de griffures, comme si elle avait voulu s’arracher la peau. Comme le cri de tout à l’heure, les larmes qui lui piquent les yeux ont pour source la colère.
- On ne me laisse jamais en paix avec ce visage. Le monde veut me dévorer toute crue mais moi je n’appartiens qu’à Dieu.
Hernando reste sans voix. Du haut de ses treize ans, Rose offre plus de sacrifices que n’importe qui à Dieu. Elle jeûne deux à trois fois par semaine, et donne la nourriture qu’elle ne mange pas aux pauvres. Elle refuse les beaux vêtements et bijoux, et passe la plupart de son temps à prier et à lire. Mais de là à se mutiler ainsi...
- Hermanita, crois-tu vraiment que Dieu veut que tu gâches le visage qu’il t’a donné ? Son regard ne compte-t-il pas plus que ceux des hommes ?
- L’Écriture dit : “si ta main droite t'entraîne au péché, coupe la et jette la loin de toi”, réplique-t-elle, aussi têtue que d’habitude.
- Ton visage t'entraîne-t-il au péché ?
- Il attire la vanité de ce monde à moi et je n’en veux pas. La seule beauté que Dieu admire est celle du cœur. C’est dans le Christ que je veux me voir. Pas dans un miroir qui me renvoie la pécheresse que je suis.
Un feu brille dans les yeux de Rose. Un feu de foi, de fidélité et d’amour sans fin pour le Seigneur. Beaucoup diront "c’est une folle" ou encore "quel gâchis qu’une fille si belle se donne à Dieu" mais Hernando, lui, dira : "Dieu a choisi la plus belle pour Lui". Lui, sait déjà qu’elle sera grande parmi les hommes.
Une fois tertiaire dominicaine, Rose passera le restant de sa vie dans une pauvreté imposée par elle-même à porter secours aux pauvres et aux malades de Lima jusqu'à sa mort, le 23 août 1617. Elle sera canonisée le 2 avril 1671 par Clément X. L’amour qu’elle portera envers les plus petits en se délaissant restera gravé dans les esprits des habitants de Lima et des chrétiens du monde.