Thagaste, 373. La nuit est tombée il y a bien longtemps sur la ville et la plupart des habitants dorment paisiblement. Pourtant, une lueur persiste dans la maison du fonctionnaire Patricius. Seule dans sa chambre, à la faible lumière d’une lampe à l’huile, Monique est recroquevillé et sanglote dans les draps de son lit. La colère virulente avec laquelle elle a jeté Augustin, sa concubine et leur fils hors de chez elle il y a quelques jours est retombée, laissant place à un gouffre de tristesse dans sa poitrine. Son cœur est déchiré entre le regret d’avoir ainsi cruellement chassé son fils de chez elle, et le désespoir de le savoir prêchant les préceptes creux et blasphématoires de la secte manichéenne.
Depuis longtemps, elle sent l’écart grandissant entre son fils et l’enseignement de la foi chrétienne qu’elle lui a donné. Son libertinage et son goût pour le jeu en sont des preuves irréfutables. Mais jamais elle ne s’était imaginée qu’il tomberait si bas, si loin de Dieu et du Christ. La peur que l’âme de son Augustin soit perdue à jamais lui tord le ventre. Elle tente de prier mais ses mots se transforment vite en appel désespéré.
- Seigneur, que dois-je faire pour sauver mon fils de lui-même ? répète-t-elle, incapable de formuler quoi que ce soit d’autre.
Épuisée par l’émotion et le chagrin, Monique finit par s’endormir en répétant sa demande. Mais en rouvrant les yeux, elle se voit debout sur une règle de bois. Même dans son rêve, les larmes coulent toujours. Une voix l’interpelle alors.
- Monique, dit-elle, pourquoi pleures-tu ?
Elle aperçoit en levant les yeux un être de lumière d’une beauté époustouflante qui lui sourit avec douceur.
- Mon fils s’éloigne de plus en plus de Dieu, répond-t-elle. Je ne sais plus quoi faire.
- Ne sois pas inquiète, lui dit l’être en pointant à côté d’elle. Vois ton enfant. Il est là où tu te trouves.
Monique se retourne. En effet, Augustin se tient quelques pas derrière elle sur la même règle. Puis elle se réveille en sursaut dans son lit, au moment même où une servante pénètre dans sa chambre, lui demandant si tout va bien.
- Oui, je vais bien mieux, dit-elle. Envoie quelqu’un trouver mon fils, et lui faire savoir qu’il peut reprendre sa place ici.
Quelques jours plus tard, de nouvelles larmes piquent les yeux de Monique. Augustin ne veut rien entendre de sa vision et tente même de tourner les mots de l’être de lumière à son avantage et celui des manichéens. Quelle tête de mule ! Et face à son esprit si vif, le débat n’a pas duré. Comment peut-on être à la fois si brillant et si dérouté ?
C’est donc pour cela que Monique se trouve à l'église pour de nouveau prier et demander le salut pour son fils. Le souvenir de son songe l’empêche de désespérer mais elle n’en reste pas moins démunie. Une main chaleureuse se pose alors sur son épaule et Monique sursaute.
- Pourquoi pleurez-vous ainsi ?
Durant un instant elle espère qu’il s’agisse de l’être de lumière, mais c’est l’évêque de Thagaste qui se tient là. Elle lui raconte ses tourments, alors que les larmes coulent toujours. Mais comme l’être de lumière, l’homme lui répond simplement.
- Ne craignez rien. Il est impossible que périsse ce fils de tant de larmes.
Sur le chemin du retour, Monique s’interroge sur les mots de l’évêque si semblable à ceux de son rêve. "Ne crains pas", lui a-t-on dit. Par deux fois, Dieu lui a fait parvenir ce message. Elle sait une chose au moins : le Seigneur n’a pas l’intention d’abandonner son fils.
Mais alors qu’elle entre chez elle, les serviteurs lui annonce qu’Augustin a pris un vaisseau pour Rome, sans prévenir. De nouveau, Monique pleure. Mais si la colère et la tristesse lui brûlent le cœur, une lueur scintille au fond d’elle alors qu’une nouvelle conviction prend racine : peu importe la durée de son errance, peu importe le nombre de larmes qu’il lui fera verser. Augustin reviendra à Dieu.
À travers ses larmes, elle ordonne au serviteur de préparer ses bagages.
Il faut à Monique plus de 15 ans de larmes et de prière avant la conversion totale de son fils en 387, l’année même de sa mort. Le pape Pie V l’inscrit au calendrier liturgique au XVIe siècle. Elle est la sainte patronne des mères chrétiennes. On dit que par deux fois elle fut mère de saint Augustin, une fois pour le monde terrestre et une fois pour le ciel.