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Et maintenant, l’euthanasie : la fin d’une étape catholique ?

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Paul Airiau - publié le 13/04/24
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Le projet de loi visant à instituer ce que l’historien Paul Airiau appelle "le service public du suicide sans douleur" est l’aboutissement d’un long processus de déliaison entre la République et sa matrice chrétienne.

Les choses ne sont peut-être pas entièrement jouées, mais la pente est sûre : la présentation du projet de loi sur l’euthanasie en conseil des ministres est une des dernières étapes de la déliaison de la République avec sa matrice chrétienne — la "bonne vieille morale de nos pères" de Jules Ferry (10 juin 1881). Désormais, en matière de mœurs, l’autonomie revendiquée des sociétés démocratiques se réalise pleinement.

Un long processus

Le processus, partiellement entamé à la fin du ⅩⅨe siècle avec la législation sur le divorce (loi Naquet, 1884, amendée jusqu’en 1908), s’est accéléré à partir des années 1960. La politisation de l’intimité — qui a toujours été — bascule de la préservation de l’ordre social (prohibition de la propagande contraceptive et abortive, 1920) vers la réalisation de l’autonomie individuelle (l’autodétermination de ses valeurs et de sa vie) en lien avec une extension de la démocratie par égalisation des droits entre hommes et femmes (lois sur la contraception, 1967, l’avortement et le divorce, 1975). Le tout est mis au service de l’expansion économique nationale, puisque la libre disposition de soi et l’égalité doivent permettre aux femmes de s’accomplir librement dans leur carrière — au moment où explose le modèle des Trente Glorieuses, mais c’est une autre question…

Nouvelle séquence, à partir de la fin des années 1990. La bétonisation juridique de l’avortement (1993, 2001, 2004, 2014, 2016, 2017, 2022, 2024) pour en faire un droit facilement accessible, se réalise parallèlement à l’extension de la logique de la démocratie libérale (égalité des droits et autonomie de l’individu) à l’homosexualité, le PaCS (1998) servant de précurseur à la dégenrification du mariage (2013). L’euthanasie s’inscrit parfaitement dans cette séquence, venant la clore à sa manière — mais, à voir les autre pays, l’élargissement des critères d’accès ira croissant—, en établissant la souveraineté de l’individu sur lui-même par le suicide sans douleur comme service public et droit opposable à la société.

Le corps dans le rapport à Dieu

Cette déliaison radicale entre la législation des mœurs et le christianisme s’est produite alors que se développait et s’enracinait une vague militante catholique faisant des questions du rapport au corps une de ses caractéristiques fondamentales. Qu’il s’agisse des mouvements opposés à l’avortement, des communautés charismatiques ou des mouvements néo-intransigeantistes (articulant refus du libéralisme philosophique, économique et culturel et assomption de certaines de ses dimensions), tous ont fait du corps un lieu où se jouait le rapport à Dieu. Rejet de l’avortement comme prise de pouvoir sur une vie donnée par Dieu, valorisation de l’émotion religieuse passant par l’expression physique de la possession par ou de la communion avec Dieu, exaltation de la grandeur de la sexualité conjugale comme don divin réalisant la communion sponsale à l’image de la Trinité, toutes ces dimensions ont participé d’une culture catholique en consonance avec les orientations de Paul Ⅵ finissant et de Jean Paul Ⅱ.

Dynamique, féconde, en expansion numérique alors que s’étiolaient drastiquement les formes antérieures de militance catholique, cette mouvance a progressivement pris le pouvoir dans le catholicisme français. Cependant, dans les années 2010, elle a brutalement été remise en cause lorsque s’est imposée la dure réalité que son alignement doctrinal sur Rome en matière de mœurs, et la forme de libération du corset catholico-bourgeois du ⅩⅨe siècle qu’elle représentait, n’avait pas empêché moult de ses membres et spécialement des clercs de dévier en matière de mœurs — elle avait oublié que l’orthodoxie n’a jamais suscité mécaniquement l’orthopraxie.

Défaite de la militance catholique

La mise en parallèle de ces deux évolutions conduit à conclure que la militance catholique a connu une très nette défaite dans la France du dernier tiers du ⅩⅩe siècle, et une défaite toute aussi nette, voire une déroute complète, dans le premier quart du ⅩⅪe siècle. Elle n’a en rien su empêcher des transformations législatives et sociales qui ont percuté de plein fouet ce qu’elle désirait. Peut-être faut-il y voir les effets d’un relatif (ou total ?) mépris pour l’engagement socio-politique depuis Vatican Ⅱ, le catholicisme français ayant cessé de considérer qu’il pouvait avoir des intérêts à défendre par ce biais.

Parallèlement, le déplacement militant des années 1970-1990 (du socio-économique au charnel, pour faire vite) a sans doute fait disparaître nombre de relais sociaux et de compétences militantes qui permettaient d’obtenir des résultats effectifs. À cet égard, la comparaison avec l’Italie ou les États-Unis est cruelle. L’investissement militant dans ces "points non négociables" de l’engagement catholique que sont la "protection de la vie" et la "structure naturelle de la famille" (selon la Congrégation pour la doctrine de la foi, 2002) y a été bien plus productif — en laissant de côté les questions de l’efficacité à long terme en matière d’image de marque et de la moralité des moyens utilisés (notamment les alliances qui ont été nécessaires).

Enfin, depuis le début des années 2000, une partie du catholicisme a été échaudé par — ou s’est étripé sur — les formes d’instrumentalisation politique dont il a fait l’objet ou s’est fait le sujet, servant tantôt d’instrument destiné à compenser l’agnosticisme croissant en matière de foi républicaine, tantôt et de plus en plus de patrimoine identitaire mobilisable dans le cadre d’un ethno-nationalisme affirmé. Quant à la tentative de capitaliser la mobilisation du ban et de l’arrière-ban paroissial de 2013 pour la présidentielle de 2017, dire qu’elle fut un fiasco est un euphémisme gentillet.

Que faire ?

Bref, les temps sont durs pour les rêveurs quand il s’agit de savoir que faire, pour que la distance entre l’organisation sociale et ce que la foi catholique dit de l’homme et de la société ne se creuse pas sans cesse davantage. Rouvrir la question sociale, face à la maximisation de la croissance économique et l’exploitation impérative de toutes les forces de travail désormais bien installées comme normes de l’action publique ? Investir la question écologique, qui permettrait de contester nombre des fondements et fonctionnement de la modernité économique libérale ? Se rabattre sur le pur religieux, en multipliant les activités de conquête par le témoignage individuel et collectif, en remettant à plus tard la question du théologico-politique et au risque de se satisfaire de la place assignée par la Modernité ?

À ces questions l’historien que je suis n’a pas de réponses. Ce n’est pas son travail. Il ne peut, qu’à partir de l’analyse du passé, tenter de décrypter le présent. Mais il ne lui est malgré tout pas indifférent que soit, dans le catholicisme français, d’une manière ou d’une autre, répondu à l’interrogation d’Isaïe (21, 11) : Custos, quid de nocte ? ("Veilleur, où en est la nuit ?")

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