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Le temps des vacances, divertissement sacré ou retour à l’essentiel ?

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"L'Eté", de Claude Monet, tableau conservé à l'Alte Nationalgalerie (Berlin)

Jean-François Thomas, sj - publié le 31/07/20

Les vacances sont la nouvelle croyance, la seule qui fasse l’unanimité, la seule qui n’ait pas d’opposant. Lorsque le temps du défoulement devient sacré et obligatoire, il est temps de retrouver le juste repos qui nous ramène aux racines de l’être.Quelque esprit naïf ou innocent — à condition qu’il en restât tant soit peu en ce monde — aurait pu croire à la suite de ce confinement ubuesque, que les préoccupations de l’homme auraient foncièrement changé à l’occasion d’un temps plus volontiers consacré à la réflexion et à la mise en ordre des priorités dans son existence. Or la déception est grande car il n’en est rien, tout au moins dans nos sociétés occidentales repues y compris en période de crise. Tout peut se lézarder, s’écrouler de ce qui a édifié une culture française et un art de vivre enviés en d’autres temps par le monde, un monolithe demeure au moins intact et beaucoup se réfugient sous son ombre rassurante et tutélaire : le festivisme étatique.

La seule institution désormais sacrée

Notre bonne et sympathique République veille au grain et ne permettra pas que les citoyens modèles que nous sommes puissent jamais manquer de divertissement, de loisirs, de détente, de plaisirs insouciants, tous regroupés sous le label, marque déposée, “vacances”. Nous poussons un soupir de soulagement car, pendant ces mois cahotants, nous avons bien craint que, pour cette fois, nous ne serions plus convoqués à nous éparpiller, pour mieux nous regrouper et nous entasser, sur les plages merveilleuses, les sentiers de randonnée, dans les parcs à thème et les campings hilarants. Nous en avons presque sué des gouttes de sang, car telle est notre Passion, passion à notre mesure bien sûr. Les anges ont veillé apparemment, aidant les autorités de ce pays à opérer le salut de la seule institution désormais sacrée.

Cela laisse pantois. Depuis longtemps, il était clair que notre royaume terrestre ne vivait plus qu’au rythme des vacances, scolaires d’abord et, par voie de conséquence, professionnelles. Lorsqu’il existe une vacance, cela signifie qu’il existe un vide et qu’il faut le combler. Le pire est que l’Église emboîte le pas. Nombreuses sont les églises fermées durant l’été et, là où elles demeurent ouvertes, elles tournent au ralenti, comme les chaînes dans les usines en sous-production. Puisque beaucoup partent en vacances, alors il semble désormais acquis comme normal que ceux qui restent — les vieillards, les malades, les sans-le-sou, les grincheux — soient négligés, abandonnés. Le clergé entre dans la danse festive, sous le couvert de pieux motifs s’entend. Bien évidemment, il ne s’agit pas de nier le droit à un juste repos, mais tout est question d’équilibre, et cela vaut pour chacun.

Les messes supprimées, pas les vacances

Lorsqu’un pays, qui fut si riche et productif, ne vit plus que les yeux fixés sur le nombre de touristes autochtones et étrangers, sur la somme de devises ainsi accumulée, il glisse sur la pente du sous-développement. Le pire n’est pas là cependant mais dans les effets dévastateurs sur les esprits dont le phare d’Alexandrie, seul point de repère dans une année, est le périmètre sacralisé des vacances. Lorsqu’une crise terrible secoue le pays, il aurait été normal de se donner d’autres priorités, de sacrifier ce divertissement, mais, à l’inverse, il n’en est pas question. L’homme peut vivre sans messe et sans accès aux sacrements durant des mois, mais il s’asphyxie dès qu’il est coupé de sa source de plaisir. D’ailleurs, même ceux qui, naturellement, seraient plutôt récalcitrants et prêts à faire l’impasse sur ce qui n’est pas essentiel, sont aussitôt poussés et encouragés par l’autorité pour, au contraire, planifier leur prochaine “destination”, plutôt hexagonale cette fois.

“Les vacances sont la nouvelle croyance, la seule qui fasse l’unanimité, la seule qui n’ait pas d’opposant.”

L’Homo festivus, si bien décrit par Philippe Muray, revêt bermuda, T-shirt et espadrilles, compulse les guides de voyages en guise d’ouvrages de piété, pour partir à la conquête de ce monde qui lui tend les bras. Il lui est dit que son action est vertueuse et il lui est conseillé de ne pas laisser indemnes les régions qu’il va traverser et les indigènes qu’il va rencontrer. Les vacances sont la nouvelle croyance, la seule qui fasse l’unanimité, la seule qui n’ait pas d’opposant. Point de manifestation pour réduire ou supprimer les vacances auxquelles il faudrait ériger des statues dans chaque ville, statues remplaçant les désuets monuments aux morts pour la patrie — eux qui n’ont pas connu, pour la plupart, le temps béni des vacances, statues qui ne risqueraient pas, à l’inverse d’autres, d’être déboulonnées et fondues.

Mourir en maillot de bain

Les Français ne se souviennent guère que cette victoire du Front populaire instituant les congés payés est une des causes essentielles de notre défaite en 1940, car, alors que les Allemands trimaient pour fabriquer des armes, nous allions déjà, étonnants prémices, nous entasser loin de chez nous en prétendant nous reposer le corps et l’esprit. De nos jours, il y a bien des risques pour que mourions en maillot de bain ou surpris à l’improviste sur des montagnes russes tant notre insouciance et notre légèreté nous aveuglent et nous empêchent de mettre chaque chose à sa juste place. Non, les vacances ne sont pas la priorité d’une vie, ni la lumière d’une existence. D’autres exigences auraient dû prendre le relais alors que notre société est secouée par des violences de plus en plus extrêmes, des tensions civiles, une absence d’autorité et de respect d’autrui, une mise à l’écart du fait catholique, une mainmise de certains groupes de pression et un bâillonnement de tout ce qui ne correspond pas à l’évangile du temps.


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Il n’est pas question de “diaboliser” les vacances. Il faut même les recommander lorsqu’il s’agit de consolider les liens familiaux, de nourrir l’esprit, de goûter au silence et à la joie d’une bonne compagnie. En revanche, il est nécessaire de tirer le signal d’alarme en en soulignant les excès lorsqu’elles deviennent une idéologie, à la fois divertissement qui tue l’âme, et arme politique de pouvoirs qui endorment ainsi les consciences en les entraînant dans les migrations estivales des troupeaux sur des sables mouvants et vers des mirages inconsistants. Dieu nous a donné l’exemple d’un saint repos, ceci au sein de son geste créateur, et Il l’inscrivit dans le Décalogue puis dans la vie chrétienne. Pourtant, dans les deux cas, il était entendu que l’homme ne devait pas vider ces jours de repos de leur sens premier en les sacralisant par des divertissements oublieux de Dieu. Les vacances ne sont pas l’apologie du vide, mais au contraire le moyen donné pour emplir son âme de la présence divine. Lorsque Notre Seigneur se reposait, Il se retirait généralement dans deux lieux privilégiés : la maison de Pierre à Capharnaüm, et celle de Lazare, avec ses sœurs Marthe et Marie à Béthanie. Il ne courait pas les plages ou les pistes de ski, ne fréquentait pas les lieux de villégiature des juifs riches et de l’occupant romain. Il se retrouvait en compagnie d’amis, de disciples, dans la simplicité du cœur et des jours.

Le temps de l’individualisme de masse

Depuis que les vacances sont devenues un phénomène de masse, elles sont terrifiantes car tout ce qui est légion est malsain, instrument du Malin. Dans le même temps qu’une montée de l’individualisme est à noter, le poids de la masse augmente et donne naissance à cette réalité hybride et monstrueuse de l’individualisme de masse : chacun sur son carré de serviette, mais tous alignés et les uns sur les autres. Le confinement a, bien sûr, renforcé cette tendance, puisque, désormais, un certain espace est accordé à chacun mais toujours dans des espaces imposés. En fait, ce que sont devenues les vacances, est simplement l’image de la transformation de tout le reste de l’existence quotidienne. La masse ne peut pas être la vie, ou, en tout cas, c’est une vie qui n’est pas conforme à ce que nous sommes vraiment. Le caractère indéfini et massif de chaque chose, cette boursouflure universelle annoncent une maladie universelle autrement plus grave que toutes les pandémies. Si, de plus, nous continuons à foncer tête baissée dans le miroir, nous serons cruellement défigurés par les éclats et nous ne trouverons rien d’autre derrière que l’abîme insondable.

La sacralisation de choses, bonnes à l’origine, qui se gonflent, n’annonce rien de réjouissant. Un juste repos ne mérite pas de prendre le pas sur toutes les autres activités humaines et sur les racines de l’être. Lorsque le dimanche n’est plus consacré à Dieu mais au jogging et aux sorties festives, lorsque les vacances ne sont plus le temps des saines retrouvailles familiales et amicales mais le temps du défoulement et de l'”éclatement”, lorsque le sacré a changé de camp, il est temps de nous poser et de rendre à Dieu ce qui est à Dieu.


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