Enlevé il y a bientôt six ans, l’espérance de vie du père Dall’Oglio, membre du monastère de Mar Moussa en Syrie, suscite le doute. Entretien avec Marie Peltier, une de ses proches.Le père Dall’Oglio, jésuite italien, a fondé en 1992 la communauté religieuse al-Khalil (“l’ami de Dieu”) dont le charisme est d’ouvrir le dialogue avec l’islam. Elle s’est installée au monastère syriaque de Mar Moussa, un lieu retiré du pays. Jugé persona non grata par le régime de Bachar al-Assad en 2012, il avait continué son œuvre, jusqu’à être retenu entre les mains de l’EI, à Raqqa, lors de sa tentative de négocier une libération d’otages. Depuis, les nouvelles sont rares, voire inexistantes, si ce n’est le bruissement de certains propos qui s’apparentent à des rumeurs.
Selon le Times, le père Dall’Oglio pourrait servir prochainement de monnaie d’échange entre Daech et les forces arabo-kurdes. Une information que balaye fortement Marie Peltier. L’hypothèse du quotidien, publiée le 7 février dernier, “s’est fondée sur des révélations dont la source n’a pas été divulguée”. Pour elle, le Times aurait sûrement plus “donné du crédit à une vieille rumeur qui reviendrait sans cesse”. Et d’appeler à “la rigueur et la raison au regard des faits, notamment “à un moment où Daech est en pleine décomposition”.
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Spécialiste de la question syrienne, Marie Peltier est historienne et essayiste. Elle a travaillé en collaboration avec le père Dall’Oglio jusqu’à sa disparition. Entretien.
Quelles ont été l’origine de vos relations avec le père Dall’Oglio ?
C’était un ami de la famille et en 2011, quand les premières manifestations ont eu lieu contre le régime de Bachar al-Assad, Paolo a pris position pour les manifestants. Cela a entraîné son expulsion de Syrie en juin 2012 par Bachar al-Assad. À partir du moment où il a eu ces soucis avec le régime, je lui ai proposé mon aide, car il avait vraiment à cœur de sensibiliser l’opinion publique au drame syrien. J’ai donc commencé à le soutenir dans sa démarche et, à partir de son expulsion, à écrire et travailler avec lui, organisant notamment des rendez-vous avec la presse.
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De quel ordre étaient ses relations avec la communauté chrétienne de Syrie ? Que représentait-il pour le pays ?
Paolo a toujours tenu une position en faveur du dialogue avec l’islam, fondement du charisme de sa communauté de Mar Moussa. La communauté chrétienne de Syrie est parfois frileuse à l’égard de cela. S’est ajoutée son instrumentalisation par le régime de Damas, qui se présente comme le protecteur des chrétiens. Le père Dall’Oglio a donc subi des critiques de leur part à cause de ses positions, tout en étant très respecté. C’est une figure qui avait une autorité assez forte, aussi bien auprès des chrétiens que des musulmans d’ailleurs.
Comment expliquez-vous sa mise en danger au moment de son enlèvement à Raqqa, en 2013, alors qu’il tentait de négocier la libération d’otages ?
Il était déjà retourné trois ou quatre fois clandestinement en Syrie, après son expulsion, allant dans les zones tenues par l’opposition. Cela s’était toujours relativement bien passé. Il avait déjà, lors d’un précédent voyage, réussi à négocier la libération d’otages auprès d’un groupe islamiste qui n’était pas Daech. Il a donc sans doute sous-estimé Daech, parce qu’avec un groupe islamiste syrien il pouvait encore dialoguer. Daech est encore d’un autre cran, en terme de violence et de haine, d’autant qu’ils ne sont pas d’origine syrienne, mais d’un peu partout. Cela dit, beaucoup de personnes l’avaient mis en garde face au danger de se rendre à Raqqa. Mais lui le sentait comme un appel, dans une logique d’aller jusqu’au bout dans le dialogue avec l’islam, même dans sa forme la plus brutale.
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Selon vous, est-il possible qu’il soit encore en vie ? Quelles sont les hypothèses ?
Il est important de rappeler que Daech n’a jamais communiqué au sujet de Paolo. Nous n’avons eu ni preuve de vie, ni preuve de mort. Cela fait maintenant près de six ans, puisqu’il a été kidnappé le 29 juillet 2013. Il y a eu toute une série de rumeurs contradictoires, qui allaient de son exécution assez rapide à la possibilité qu’il soit encore aux mains de l’EI. Cela n’a pas beaucoup de sens de garder un otage pendant si longtemps sans jamais communiquer sur lui. Rappelons que les otages français et espagnols enlevés par Daech en 2013 ont été libérés suite à des négociations avec la France et l’Espagne et que les otages américains et anglais ont été, eux, exécutés dans des vidéos de propagande — à l’exception de John Cantlie (correspondant de guerre britannique qui serait toujours aux mains de l’EI). Paolo est le seul otage occidental enlevé par Daech à la même période dont on a eu aucune nouvelle. Je reste pour ma part très prudente. Tant qu’il n’y a pas d’éléments factuels sur des preuves de vie ou de mort, il faut se méfier des rumeurs aux sources peu vérifiées.
Quelles leçons l’Église catholique peut-elle tirer de ce martyre possible du père Dall’Oglio, et de sa filiation liée à celui des moines de Tibhirine ?
L’Église est clairement démunie face aux enlèvements des prêtres. Mais Paolo a pu compter sur le soutien du pape François. C’est important de le rappeler, alors que l’ouverture à l’islam est un enjeu du XXIe siècle. Les moines de Tibhirine et Paolo, dans une même démarche spirituelle, ont donné leur vie pour cela. Il est important d’entendre ce message qu’ils voulaient faire passer au monde. Ces personnes étaient prêtes à mourir pour pouvoir rester en terre musulmane et rester en amitié avec les musulmans. Nous devons au moins recevoir ce témoignage pour se demander si la mort du père Dall’Oglio, si tel devait être le cas, a un sens, et quel sens elle peut alors avoir pour l’Église.
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Mais le père Dall’Oglio est allé bien au-delà du dialogue avec l’islam en allant voir Daech, qui n’est pas l’islam. Vaut-il le coup d’aller jusque-là ?
Oui, effectivement Daech est bien plus une secte terroriste. Aller jusqu’au bout dans un tel cas s’explique davantage dans une dimension spirituelle. C’est le cas de tous les martyrs, qui vont jusqu’au bout. Ce sont des destins et des appels particuliers.