Chef-d’œuvre de l’art tourangeau du début du XVIe siècle, le livre d’Heures de Petau sera mis en vente le 16 juin prochain à Drouot. Son décor et sa mise en page unique font de lui un manuscrit précieux et rarissime. Ariane Adeline, experte en manuscrits pour cette vente, dévoile les secrets de cet objet de dévotion.
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Le samedi 16 juin 2018, la maison Aguttes mettra en vente une série de très beaux manuscrits du Moyen Âge à la Renaissance à l’hôtel des ventes de Drouot-Richelieu à Paris. Parmi cette vente se cache un petit bijou : un livre d’Heures d’une modernité exceptionnelle pour l’époque.
Une commande prestigieuse mais inconnue
Les Heures Petau est un livre de dévotion destiné à un laïc. Au Moyen Âge, ces manuels de piété à usage quotidien occupent une place essentielle pour les catholiques lettrés. Calqués sur les bréviaires exclusivement réservés au clergé, les livres d’Heures vont s’enrichir au fil du temps de nouveaux textes. Celui de Petau, mesurant 230×140 mm, comprend 44 feuillets de vélin et il est décoré de seize miniatures en forme de médaillons, représentants des personnages bibliques, exécutées en camaïeu d’or. Réalisé au XVe siècle par l’artiste Jean Poyer, on ne connaît malheureusement pas le nom du prestigieux commanditaire. Pour les spécialistes de la vente, cet objet, d’un tel luxe, n’a pu être commandé que par un membre du cercle royal, un grand serviteur ou un dignitaire religieux.
L’idée d’une commande prestigieuse semble ne faire aucun doute. Jean Poyer était proche du pouvoir royal et jouissait des faveurs de la reine de France, Anne de Bretagne, et de ses deux époux successifs. Il entretenait également des liens étroits avec des commanditaires issus du milieu de la cour. “On a longtemps cru que ce livre d’Heures avait été réalisé pour une grande famille d’érudits, les Petau, originaires de Troyes et férus collectionneurs, ce qui lui a donné son nom”, explique Ariane Adeline. En réalité, il n’en est rien. Cette confusion est dû aux armoiries de la famille Petau, ajoutées en première page du manuscrit au XVIIe siècle, par un des membres de la famille qui l’avait acquis.
Jean Poyer était un artiste très important au XVe siècle, et son travail s’inscrivait parfaitement dans la lignée du grand peintre Jean Fouquet, à qui l’on doit le célèbre tableau du roi Charles VII. Longtemps attribué à tort à un autre enlumineur célèbre de l’époque, Jean Bourdichon, les spécialistes confirment désormais que ce livre est bien de la main de Jean Poyer.
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Une mise en page exceptionnelle
“Bien qu’il n’ait pas énormément peint au cours de sa vie, Jean Poyer est un artiste de grand talent et d’une grande originalité”, précise Ariane Adeline. En effet, les Heures de Petau se distinguent des autres manuscrits par sa mise en page exceptionnelle. Les médaillons recto/verso, peints au début et à la fin de chaque section, sont visibles tout au long de la lecture grâce à une technique ingénieuse.
L’artiste a procédé à un évidement circulaire sur chaque page, donnant l’impression qu’on a troué les pages. “Certains ont cru que des médaillons enluminés avaient été découpés, mais pas du tout. L’artiste a procédé à une mise en abîme pour permettre au fidèle de continuer à voir l’image tout en lisant le texte”, explique Ariane Adeline. Le rapport entre texte et image est ici d’une grande ingéniosité. Le fidèle peut ainsi continuer à méditer sur les textes de la Vierge Marie tout en admirant son portrait sur le médaillon. Pour contrecarrer le manque de place dû à ces fameux “trous”, le texte a été placé sur deux colonnes. “C’est une mise en page qui se faisait très peu en France”, souligne Ariane Adeline.
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Un style en avance sur son époque
“On ne connaît que deux manuscrits à trous de Jean Poyer, l’autre est conservé à la bibliothèque royale de Copenhague”, précise l’experte. Dit les “Heures Thott”, le livre présente des évidements en forme de losanges et non ronds. Les médaillons sont d’ailleurs plus traditionnels et plus chargés dans leur réalisation, avec des encadrements peints et des initiales ornées qui scandent le texte. “Dans celui de Petau, les médaillons sont plus grands, plus travaillés et le style est également plus moderne, plus épuré. Jean Poyer n’a pas fait pas de bordures autour de ses médaillons, comme dans celui de Copenhague. Il a cherché à créer de véritables lunettes de lumière au milieu du texte, comme des lentilles”.
Dans la lignée de Jean Fouquet, Jean Poyer a utilisé un très beau camaïeu d’or pour composer ses médaillons, mais en le développant davantage que son prédécesseur. “Les médaillons sont agrémentés de quelques touches de couleurs bleutées, violacées, rosées… Il joue sur les tonalités pour rehausser l’or”, explique Ariane Adeline.
Le style très dépouillé de ses miniatures a souvent interrogé les experts. L’œuvre serait-elle inachevée ? Pour Adeline Ariane cette mise en page semble très propre à l’artiste : “Il était tellement en avance sur son temps, tellement moderne, cela ne m’étonne pas qu’il ait voulu faire quelque chose d’épuré. Il s’agit, en effet, d’une mise en page tout à faire curieuse mais qui ouvrira la porte à des ouvrages plus complexes comme les ouvrages à système”.
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Un vente très attendue
L’ingéniosité de Jean Poyer, par ses inventions picturales et ses mises en page d’une grande modernité, fait de ce livre d’Heures un objet très prisé par les passionnés de manuscrits. Estimé entre 700 000 et 900 000 euros, de nombreux collectionneurs et certains musées français restent très attentifs à cette vente. On ignore cependant si l’État souhaite s’en porter acquéreur.