La décision du Premier ministre François Bayrou de scinder en deux le projet de loi qui réunissait soins palliatifs d’une part et euthanasie/suicide assisté d’autre part, est évidemment une excellente nouvelle. Tous les acteurs du soin directement concernés, tous les penseurs connaissant vraiment l’éthique médicale, avaient manifesté leur incompréhension devant l’association de ces deux domaines pourtant inconciliables, de fait impossible à voter ! Comment voulez-vous, dans le même texte, dire oui pour soutenir le soin palliatif, et non sur l’euthanasie et le suicide assisté ? Cette absurdité législative et juridique a été largement dénoncée par les activistes pro-euthanasie déterminés à piéger les députés connaissant peu ces sujets complexes. Cela d’ailleurs a été immédiatement le cas puisque lors du vote avorté de la loi Falorni le 8 avril 2021, un député avait réagi ainsi devant un collège d'experts : "Ah ! mais si j’avais su que c’était de l’euthanasie, jamais je n’aurais voté une loi sur “l’aide à mourir”." Voici bien une preuve de plus de la confusion des esprits.
Le choix des mots : une tromperie délibérée
Décidément, les mots ne veulent-ils ne plus rien dire ? Comme nous l’avons clairement montré à plusieurs reprises avec le Dr Pascale Favre, dans des articles (Les mots de la fin de vie, Fondapol 2024) et dans notre livre Fin de vie : peut-on choisir sa mort (Artège, 2023), l’emploi de l’expression "aide à mourir" est une tromperie délibérée des citoyens. Cette expression, défendue laborieusement par le président et les ministres de la santé successifs, n’est employée que pour masquer la réalité de l’euthanasie et du suicide assisté. Saluons une fois de plus la commission Orsenna pour son courage politique en 2023 d’avoir refusé de redéfinir des termes qui le sont parfaitement dans les différents codes et textes officiels de notre pays : suicide, suicide assisté, euthanasie, soin palliatif, accompagnement ; tout cela est très clairement balisé et n’a aucune raison d’être modifié.
Une proposition de loi sans "garde-fous" : la proposition 204
La main sur le cœur, nombre de tutelles et d’hommes politiques — méconnaissant le dossier visiblement — affirment toujours que la proposition de loi 204 déposée le 17 septembre 2024 devait encadrer "strictement" l’euthanasie et le suicide assisté. Méconnaissance ou déni du réel ? Nous l’avons vertement démontré devant la commission spéciale à l’Assemblée nationale lors de notre audition le 30 avril 2024 : ce texte n’est qu’un tissu de manipulation des concepts afin de permettre en fait l’euthanasie et le suicide assisté pour… à peu près tout le monde, pire encore qu’au Canada ! Une preuve éclatante en est fournie par les informations adressées à tous les députés et sénateurs en janvier 2025 par l’association ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) : loin de vouloir mettre des critères de contrôle, elle les fait au contraire voler en éclats !
On peut être contre la dépénalisation de l’euthanasie, mais pas contre la fin de vie qui est un incontournable humain, normal, et pas scandaleux. "Fin de vie" ne veut pas dire mort provoquée.
Ainsi pourriez-vous demander l’euthanasie ou le suicide assisté à l’avance dans vos directives anticipées, sans limite de temps ni de pronostic si vous avez une maladie chronique. Et votre famille pourrait se charger d’exécuter les basses œuvres quand vous aurez le cognitif bien altéré… avec toutes les dérives prévisibles ! Votre décision de mettre fin à vos jours ou de ne pas vouloir suivre votre traitement (!) appartiendra à vous seul. Certes, il n’y a aucune obligation de soins, mais le fait qu’un refus de traitement rende éligible à l’euthanasie constitue une rupture anthropologique. C’est l’ultralibéralisme sans limite, l’autodétermination folle, sans recours à la solidarité constitutive de toute civilisation : "Nul homme n’est une île" disait John Donne. Sans oublier les dégâts psychiques au sein des familles, lorsque c’est le petit-fils qui aura euthanasié le grand-père ou le conjoint qui aura euthanasié son proche qui ne veut pas vivre une maladie chronique pour laquelle il refuse tout traitement !
"Fin de vie" égale "mort provoquée" ? Pas encore !
Il y a quelques jours, bouleversé par l’émotion, un député nous disait lors d’une conversation : "Donc, vous êtes contre la fin de vie ?" Eh bien ! non, Monsieur, on ne peut pas être "contre la fin de vie" qui va vous concerner aussi un jour. On peut être contre la dépénalisation de l’euthanasie, mais pas contre la fin de vie qui est un incontournable humain, normal, et pas scandaleux. "Fin de vie" ne veut pas dire mort provoquée (c’est-à-dire euthanasie et/ou suicide assisté). La fin de vie c’est naturel (cf. Claire Fourcade, Journal de la fin de vie Fayard, 2025) ! Les mots de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet lors de la cérémonie des vœux aux journalistes le 23 janvier, témoignent de l’extrême confusion qui se répand : "Si le texte est scindé, on met en péril la fin de vie" (sic) !
Nous les praticiens de soins palliatifs, sommes très heureux de voir enfin assurer une pérennité de financement aux soins palliatifs. Et de la distinguer clairement d’un problème de société qui n’est pas médical : permettre l’euthanasie et le suicide assisté, quasiment sans limites. En effet la proposition de loi 204 défendue par le député Olivier Falorni combine les formules adoptées au Canada, en Belgique, en Suisse… bref nous détiendrions le record du monde du laxisme : par exemple, un membre de votre famille peut vous supprimer (art. 29, al. 8), ou encore vous pourriez être condamné si vous vous efforcez d’éviter le suicide de quelqu’un qui vous le demande (délit d’entrave, art. 37).
Nul ne pourra dire qu’il ne savait pas
Enfin, arrêtons de vanter la valeur démocratique de la convention citoyenne sur la fin de vie, composées de 185 personnes soigneusement manipulées pendant plusieurs semaines, ne l’oublions pas, et cela a été documenté, comme l’a montré le philosophe Damien Leguay : "Tout était écrit d’avance" (FigaroVox, 22 février 2023). Quoi qu’il en soit, des voix vigoureuses se sont élevées en son sein pour dire que l’euthanasie n’est pas la solution. Rappelons que l’unanimité, elle, avait salué la loi Leonetti de 2005 au parlement. Et puis osons parler des économies que l’hypocrisie politique et mutualiste passe sous silence avec un cynisme stupéfiant : des centaines de millions d’euros d’économie sont attendues avec la mise en œuvre de la proposition de loi 204. Les calculs sont faits et sont implacables (cf. Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie, Fondapol, janvier 2025).
Peut-être que finalement les députés voteront une loi de "société" qui aggravera la situation du monde des soins et blessera notre humanité, comme nous le montrent les pays étrangers qui ont dépénalisé la mort provoquée. Mais nul ne pourra dire qu’il ne savait pas. Et "ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison" disait Coluche : le drame de la démocratie…