Un programme suivi à la loupe. Rares sont les programmes scolaires scrutés avec autant d’attention et suscitant un intérêt si vif durant leur élaboration. Il faut dire que le sujet est d’importance, puisqu’il s’agit du futur programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, dit "EVARS", qui devrait entrer en application à la rentrée 2025. Saisi en juin 2023 par l’ancien ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye, le Conseil supérieur des programmes a finalement rendu public un projet de programme en mars 2024. Un texte qui a ensuite été largement remanié par la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGSCO), suscitant de vives polémiques courant décembre. Après la censure du gouvernement Barnier, une troisième version du texte a été élaborée. Cette dernière doit être présentée au Conseil supérieur de l'éducation ce mercredi 29 janvier. "L’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité est absolument indispensable", a déclaré Élisabeth Borne, nouvelle ministre de l’Éducation nationale, au micro de France Inter le 23 janvier dernier. Évoquant la dernière mouture du texte, elle s’est félicitée d’un programme "très attentif à apporter les bonnes informations en fonction de l’âge de l’élève, qui doit permettre de transmettre des valeurs très importantes de respect de soi, de respect de l’autre, de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes". Qu’en est-il, plus précisément ? Aleteia, qui a pu consulter la dernière version, a interrogé Pascale Morinière, présidente des Associations familiales catholiques (AFC). Si cette dernière salue une "réécriture moins idéologique" du texte, elle conserve néanmoins de "grosses réticences" à son sujet.
Aleteia : Vous avez adressé en novembre dernier, au nom des AFC, une lettre ouverte à l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet, soulignant les raisons pour lesquelles le programme n’était pas acceptable en l’état pour les familles. Est-ce que la dernière version est davantage "acceptable" ?
Pascale Morinière : On peut souligner une réécriture moins idéologique du texte, je pense notamment à la notion d’identité de genre, un peu moins présente dans la nouvelle version, mais nous avons encore de grosses réticences. Il y a certes de très bonnes choses : sur l’éducation à la pudeur, la découverte des émotions, la lutte contre la pornographie, l’utilisation de la littérature… Ce dernier point rejoint d'ailleurs ce que nous a dit le Pape dans sa lettre cet été (Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation, N.D.L.R.) : la littérature permet de comprendre des choses que l’on n’a pas encore vécu, d’entrer dans les sentiments des autres, de se projeter… La littérature est très utile pour s’éveiller et comprendre, et en ce sens, elle a en effet toute sa place dans l'éducation à la vie affective. Mais il demeure néanmoins dans le texte des aspects très insuffisants, notamment par rapport à la psychologie de l’enfant, et des aspects idéologiques.
Insuffisants ? Pouvez-vous nous donner un exemple ?
La place des parents. Il est très important, dans le développement de l’enfant, qu’il puisse faire confiance à ses parents, qu’ils puissent trouver en eux des racines solides pour pouvoir bien grandir. Or le futur programme génère au contraire une indifférenciation des "adultes de confiance". En maternelle, par exemple, une activité proposée consiste à créer une "marguerite des adultes de confiance", avec, pour chaque pétale, papa, maman, la maîtresse, le docteur, etc… Les parents sont invisibilisés, ils sont identifiés comme des adultes de confiance parmi tant d’autres. Les parents, pourtant premiers et principaux éducateurs de leurs enfants, ont une place relative. On indifférencie ainsi dans l’esprit des enfants la place particulière et l’autorité légitime de leurs parents. En outre, en soulignant, dès la première page du programme, que l’éducation à la sexualité doit contribuer au repérage de l’inceste, on instille un doute dans l’esprit de l’enfant. Un père ou une mère est vu comme un adulte maltraitant en puissance. Bien sûr que l’école doit faire des signalements le cas échéant, mais de là à assimiler tous les parents à de potentiels abuseurs !
Vous évoquez également des aspects idéologiques, quels sont-ils ?
L’égalitarisme et les stéréotypes de genre sont encore très présents. L’expression "identité de genre" apparaît encore sept fois dans le texte (certes au lieu de 17 fois dans la version précédente !). En faisant cela, on s’interdit de dire une parole sur la vocation de l’homme et de la femme. La paternité et la maternité ne sont pas du tout abordées ! La grossesse n’est abordée qu’une fois avec les maternelles, puis en 3e mais pour l’éviter ! Ces stéréotypes nous amènent à parler d’individus qui ont une fonction reproductrice, point.
Le futur programme laisse la part belle aux "émotions", mot cité 75 fois dans le texte : faut-il s’en réjouir ?
C’est très bien de savoir nommer ses émotions. Cela permet de les mettre à distance. Mais il y a autre chose au-delà des émotions ! Ici, la référence, ce sont effectivement les émotions, à tous les âges : le programme se réfère aux émotions de manière itérative et insistante tout au long des cycles 1 à 3. Mais les émotions ne sont qu’une information, elles sont évolutives. Au-delà, il y a l’intelligence, la raison, la connaissance, qui sont d’ailleurs l’apanage de l’école. Il est regrettable que l’école n’enseigne pas de passer les émotions au crible de l’intelligence pour juger de leur pertinence et de leur importance. Là encore, si cette formation aux émotions est nécessaire, elle ne suffit pas. Un abuseur peut savoir comment s’y prendre avec un enfant qui pourrait se sentir bien en sa présence (émotion positive) et "consentir" à des gestes d’abus. L’identification des émotions doit être complétée par une formation objective de l’intelligence et de la raison.