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Que dire à ceux qui ont quitté l’Église ou s’interrogent sur la relation qu’ils ont avec elle ? Même s’il est difficile de les quantifier, ces personnes sont de plus en plus nombreuses. Les révélations sur les abus ont provoqué une intense colère, y compris chez les (quelques) catholiques (encore) engagés. Elles s’inscrivent dans une trajectoire profondément installée de retrait progressif de l’Église dans notre pays et plus largement en Europe. En outre, à l’heure de la constitutionnalisation de l’IVG et d’un projet de loi ouvrant à l’euthanasie et le suicide assisté, une impression d’impuissance peut venir compléter ce tableau. Alors dans ce contexte, pourquoi rester dans l’Église et encore plus, pourquoi s’en approcher, voire la rejoindre ?
Peut-être parce que je me la suis posée, il m’a été demandé de répondre à cette question personnellement et publiquement. Chacun peut se laisser aussi interpeller par cette interrogation. Décider de rester ou de quitter l’Église appelle un discernement spirituel. Et qui dit discernement, dit repères et écoute de ses émotions mais pas seulement. Cinq considérations ont jalonné ma réflexion.
De quelle Église parle-ton ?
Quitter l’Église, mais de quelle Église parle-t-on ? Une multinationale dont le siège est au Vatican, une institution hiérarchique humaine nécessaire ou au contraire dont on peut se passer, une communauté de chercheurs de Dieu, un lieu de ressources susceptible de nourrir ma vie spirituelle, un peuple qui ne s’est pas choisi et est appelé à annoncer le Salut, le lieu du monde où le monde prend conscience de recevoir sa vie de Dieu ? Il nous faut réfléchir aux représentations que nous portons de l’Église.
Quelle autre institution que l’Église est allée aussi loin dans la lutte contre les abus ?
L’Église s’est engagée dans un chemin de vérité dont on ne mesure pas toujours la profondeur et dont bien peu d’organisations peuvent se prévaloir... Cette démarche de dévoilement se déploie dans l’Église universelle, dans l’Église "institutionnelle" de France, mais aussi dans des mouvements ou des congrégations. Des limites et des résistances, décevantes et inévitables, sont à l’œuvre. J’ai eu l’occasion de le dire, notamment à des évêques. Mais elles ne sauraient raisonnablement remettre en question le processus de fond qui est de l’ordre de la vérité et du dévoilement. À titre personnel, je ne me sens pas de quitter l’Église alors même qu’elle commence à reconnaître le Mal qui l’habite et à s’administrer douloureusement mais courageusement des traitements adaptés.
À ma place de laïc, ai-je la main pour changer les choses ?
Aujourd’hui, l’Église est entrée dans cette phase où tous les baptisés, et donc très majoritairement les laïcs, sont appelés à assumer leurs responsabilités. Jean Paul II leur a lancé une interpellation directe : "Avec l’arrivée du nouveau millénaire, l’heure des laïcs a sonné !" Benoît XVI a parlé de co-responsabilité dans la construction de l’Église. Le pape François a enfoncé le clou. Il s’agit pour chaque laïc d’exercer sa responsabilité, quelle que soit la proximité qu’il ait avec l’Église institutionnelle. Une responsabilité conférée par le baptême qui consiste à se laisser transformer par sa relation au Christ et à transmettre et faire connaître cette expérience autour de soi. À titre personnel, je ne me sens pas de quitter l’Église alors que, même si elle a encore des marges de progression évidentes, elle n’a jamais donné autant de responsabilités aux laïcs pour contribuer à sa construction.
Rester dans l’Église, pour quoi y faire ?
Les sentiments et les réflexions concernant l’Église sont aujourd’hui centrés sur son fonctionnement, son organisation, les évolutions qu’elle doit opérer. Le risque est d’en oublier ce pour quoi elle est faite : être une communauté missionnaire. Autrement dit un peuple de femmes et d’hommes, dont leur relation au Christ les tourne vers le monde, ceux qui ne Le connaissent pas encore ou mal. L’Église n’a pas vocation à rassembler des personnes qui pensent « comme nous », pas plus que d’entretenir une logique de consommation de sacré ou de sacrement. Elle est plutôt un lieu de nourriture, de ressourcement, de repos fraternel et spirituel, avec une perspective essentielle : soutenir et animer une dynamique d’annonce. À titre personnel, je reste dans l’Église car je n’ai pas envie de rester sur la touche de l’évangélisation.
Suis-je complètement étranger à la situation de l’Église ?
Si le Mal est à l’œuvre dans l’âme des abuseurs, en suis-je immunisé ? Comment s’y prend-il avec moi ? Quelles sont les maladies spirituelles dont je suis atteint ? Ces drames sont pour moi une vigoureuse interpellation sur les propres combats spirituels que j’ai à mener. Je ne peux pas complètement me laver les mains du Mal à l’œuvre dans le monde. À titre personnel, je ne quitte pas l’Église car je trouve dans tout son patrimoine spirituel des personnes et des ressources inspirantes pour nourrir mon âme et mener mes propres combats spirituels.
L’Église est entrée dans un long et douloureux chemin de vérité, appelant les laïcs à sortir d’une certaine passivité et aux clercs à être davantage serviteur. Les drames des abus me renvoient à des processus systémiques dans l’Église mais aussi à la face obscure de mon âme. C’est l’opportunité pour moi de rechoisir de me tourner vers le Seigneur pour discerner ses appels. Et cette question du Christ me laisse sans repos : "Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?" (Lc 18, 8). Au fond, c’est cette Parole qui me fait rester.
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