"La gâchette facile", "un petit ange", "un jeune de 17 ans qui conduit une voiture de grand luxe", "violence policière", "racaille à éradiquer"... Autour de nous les réactions viscérales se multiplient, comme l’annonce de déchirements irréparables. Ne pas perdre l’horizon de l’Évangile devient chose délicate, et douloureuse même tant les tripes font violence au cœur pour durcir, réduire, caricaturer, invectiver, hurler même... Je me souviens d’amis dans l’ONG avec laquelle je partis un an en Bosnie pendant la guerre qui mit à terre l’ex-Yougoslavie. À force de voir des blessés et des morts, à force d’essuyer des tirs et d’en voir les victimes, certains étaient pris de rage et choisirent finalement de laisser là leur engagement et de prendre les armes. Mais chacun, nous nous étions posés la question, aux prises de nos vertiges intérieurs : faire du mal à ceux qui en font, ou essayer de faire du bien à ceux qui n’y peuvent rien ?
Rien d’autre que des millions
Rétablir l’ordre est la moindre des choses. C’est même la première obligation pour laquelle sont élus ceux qui gouvernent : assurer la paix de leurs concitoyens. Mais on ne colmate pas un navire qui coule avec des rustines, même achetées à prix d’or. Les révoltes des banlieues en 2005, la crise des Gilets jaunes en 2018 et les jours sinistres qui s’ouvrent à nous manifestent que les emplâtres tiennent de moins en moins longtemps. Car la cale de notre navire est de plus en plus lourde de l’eau de nos non-dits et sa machinerie, de plus en plus noyée par nos renoncements à être.
Que ceux qui en ont le devoir cherchent à rétablir l’ordre dans le respect de la loi et de la justice.
Si les banlieues brûlent aujourd’hui, risquant d’embraser aussi nos centre-villes-coffres-forts, c’est parce que nous n’avons depuis longtemps rien voulu y injecter d’autres que des millions ou des milliards. Comme des parents qui s’imaginent que laisser une liasse de billets sur la table de l’entrée, permettra aux enfants de se consoler de leur absence. Nous avons parfois appelé "bien" ce qui ne l’était pas, et souvent refusé de nommer "mal" ce qui l’était. Nous n’avons qu’à grand peine envisagé sérieusement de bâtir une communauté nationale qui tienne compte de l’arrivée de personnes étrangères auxquelles pourtant nous avons d’une manière ou d’une autre donné la nationalité. Et nous parlons d’eux, avec science et talent alors que nous ne les connaissons pas. Ce qui est d’ailleurs bien réciproque.
Le dialogue et le don de soi
Mais le plus tragique de tout c’est que nous avons, nous, baptisés, accepté que soit délégitimée la seule réponse à apporter à cela. Non pas une formule qui viendrait tout arranger d’un coup de baguette magique. Mais la seule réponse possible à ce fossé creusé entre eux et nous. Nous avons admis que l’amour du prochain pouvait être sélectif et que l’Évangile pouvait s’interpréter au gré de nos peurs et de nos intérêts. L’expression de cette charité se trouve dans la rencontre, le dialogue et le don de soi.
Que ceux qui en ont le devoir cherchent à rétablir l’ordre dans le respect de la loi et de la justice ! Quant à nous, n’attendons pas pour chercher là où nous sommes à oser cette non-violence verbale et active que nous enseignent tant de grandes figures du siècle passé, de l’Inde à l’Afrique du Sud, des États-Unis à tant d’autres lieux. Il y aura sûrement un prix à payer, à commencer par notre réputation et notre amour-propre, mais qu’est-ce que tout ceci au regard de la Promesse de vie ? Au regard aussi du risque qu’en entrant dans la violence nous ne nous laissions emporter par son tourbillon diabolique. Oubliant ainsi que nous sommes le sel de la Terre et que si le sel vient à perdre son goût il n’est plus bon à rien d’autre qu’à être jeté dehors où les gens le piétineront.