Rome, 1916. Assise sur une chaise dans l’un des immenses couloirs du Vatican, une religieuse attend. Suzanne Aubert, ou sœur Marie-Joseph, fait tourner son chapelet dans ses mains en récitant une dizaine. Le moment tant attendu est proche. Elle va enfin pouvoir plaider sa cause auprès du Pape, Benoît XV. Après trois ans d’attente et une guerre comme obstacle, c’est inespéré. Mais le combat n’est pas terminé. Encore faut-il que Sa Sainteté accède à sa requête. La septuagénaire ferme les yeux, laissant ses pensées voyager dans le temps.
C’est autour de 1855 que Suzanne fait la connaissance de Jean-Marie Vianney. Alors que sa famille cherche à tout prix à la marier, Suzanne sent depuis toujours une attirance pour la vie religieuse. Le curé d’Ars l’encourage dans sa vocation et son intérêt pour la médecine et l’herboristerie.
Sur ses conseils, elle s’enfuit et rejoint la mission de Jean-Baptiste Pompallier pour se rendre en Nouvelle Zélande en 1860. Avec trois autres sœurs, elle se fait d’abord enseignante auprès des filles de bonnes familles d’Auckland. Quelle déception ! Ce n’est pas les riches immigrés qu’elle est venue servir.
Avec ses trois sœurs, Suzanne forme alors une nouvelle communauté. La communauté de la Sainte Famille se consacre à l’enseignement des jeunes filles maories. Suzanne, devenue sœur Marie-Joseph, fait bon usage de l’art et de la musique pour soutenir sa méthode. Lorsque Pe Ata, une autochtone, rejoint la communauté, elle fait découvrir à Suzanne la culture maorie. Les tribus l'acceptent rapidement grâce à sa grande bonté et son service vis-à-vis des nécessiteux.
Malheureusement, cela ne dure guère. En 1868, Mgr Pompallier est contraint de retourner en France pour des raison de santé. Il s’en va en laissant l’évêché endetté. La nouvelle autorité, pour qui les maoris ne sont pas prioritaires, demande à Suzanne de partir. C’est mal connaître la sœur lyonnaise. Celle-ci quitte Auckland pour rejoindre la communauté française de Meeanee. Là, elle entreprend de soigner les maoris souffrants des maladies importées par les colons. Elle étudie la flore locale grâce aux maoris et prépare des remèdes. Très vite, on la surnomme « Marie le médecin ». Elle rédige également un dictionnaire anglo-maori pour faciliter le dialogue.
Le travail de Suzanne ne s’arrête pas là. Elle fait construire des églises, des dispensaires, des écoles etc. En 1892, elle fonde la communauté des Filles de Notre-Dame de la Compassion et commercialise ses remèdes pour financer ses projets. Ses plus grands succès sont l’introduction de la soupe populaire en Nouvelle Zélande et l’orphelinat pour les enfants abandonnés ou illégitimes.
Si elle est aimée des colons comme des maoris, l’autorité religieuse la trouve gênante. On trouve qu’elle ne s’occupe pas assez des catholiques. On l’accuse de pousser les femmes à la débauche en recueillant les enfants illégitimes et en refusant de dénoncer les mères fautives. Les soucis d’argent et le manque d’assistance forcent la petite communauté à fermer plusieurs établissements.
Malgré son âge avancé, Suzanne n’a pas dit son dernier mot. En 1913, elle se rend à Rome pour placer son ordre sous l’autorité du pape. Ce n’est qu’en 1917 que Benoît XV lui accorde tout pouvoir de décision par un décret de louange. Et elle ne peut revenir en Nouvelle Zélande qu’en 1920 à cause de la guerre.
Suzanne Aubert s’éteint le 1er octobre 1926 à Wellington. Elle est reconnue vénérable par le pape François en 2016, en vue de son humanité et de son service exemplaire dans l’adversité. On la surnomme affectueusement la « petite sœur du curé d’Ars. » La congrégation des filles de Notre-Dame de la Compassion est présente en Nouvelle Zélande, en Australie, aux Fidji et aux Tonga.