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La place méconnue du droit dans la vie de l’Église

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Adeline le Gouvello - Cyrille Dounot - publié le 15/04/21
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Le droit propre de l’Église discipline « la vie extérieure et sociale du peuple de Dieu ». C’est ce qu’a rappelé le cardinal Parolin lors de la messe d’inauguration de l’année judiciaire du Vatican, le 29 mars dernier. En cas de conflit, le droit canonique règle la justice en protégeant les personnes.

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L’actuel temps pascal que nous vivons intervient après la commémoration de la Passion du Christ dont le récit offre un exposé de l’une des plus grandes erreurs judiciaires de tous les temps. "Jésus, après ses tortures, devient le type même du condamné innocent : il symbolise l’erreur judiciaire." Tel fut le mot de Clemenceau, défendant un jour aux assises un accusé avec la permission de la Cour, et qui évoquait l’erreur judiciaire toujours possible. Au président qui lui répliquait : "L’erreur judiciaire, il n’y en a pas", Clemenceau tonna, désignant alors le Christ — qui à l’époque figurait dans les prétoires, derrière la Cour : "La plus grande erreur judiciaire de l’histoire, la voilà !" 1

Plus proche de nous, le cardinal Pietro Parolin s’est exprimé en ce sens le 27 mars, lors de l'inauguration de l'année judiciaire au Vatican. Le secrétaire d’État du Saint-Siège a insisté sur la "responsabilité morale" des acteurs d’un procès, toujours à risque d’une erreur judiciaire dont l’exemple le plus retentissant est le procès du Christ qui représente la pire négation des exigences incontournables d’un juste procès protégeant les biens suprêmes de la personne : l’honneur, la liberté et la vie. Mgr Parolin a ainsi rappelé les vertus du droit canonique, rappel pertinent. Cet aspect de l’Église est en effet méconnu par le grand public et les fidèles parfois ignorants du fait qu’ils sont des acteurs de ce cadre juridique. Il est aussi parfois méconnu par les hommes et les femmes d’Église eux-mêmes alors que le droit canonique leur offre des moyens sûrs et éprouvés au service de la justice. 

Certes, la question de l’existence même d’un droit canonique a pu se poser : après tout, l’Église étant une institution d’origine divine guidée par l’Esprit saint, était-il opportun et utile de prévoir un corpus de « règles humaines » ? Pour répondre à cette question, de nombreux travaux ont été réalisés sur la nature du droit canonique mais il suffit de lire la présentation du nouveau code de droit canonique par Jean Paul II en 1983 pour comprendre la beauté, la richesse, le sens du droit dans l’Église. Le saint pape concluait : « Le droit, ainsi, ne doit pas être conçu comme un corps étranger, ni comme une superstructure désormais inutile, ni comme un résidu de soi-disant prétentions d’ordre temporel. Le droit est connaturel à la vie de l’Église, à laquelle il est de fait très utile : il est un moyen et une aide, et aussi – dans les délicates questions de justice – une protection. »

Saint Jean Paul II ne craint pas de dire que le droit peut constituer une protection alors que l’on pourrait imaginer que, dans la vie de l’Église, de telles règles ne sont pas nécessaires. En réalité, l’Église est aussi une structure humaine composée d’hommes et de femmes affligés de limites, et pécheurs comme tous les êtres humains. Il est donc évident que pour favoriser la paix et la justice, des règles existent et doivent être respectées. Le droit, selon la vision classique, est l’art de ce qui est juste, de ce qui revient à chacun. Dans l’Église, chacun a une place ordonnée à ses fonctions et il convient d’en assurer le respect avec les droits et les devoirs qui y sont attachés. Aussi, tout intervenant, toute autorité, en utilisant les règles canoniques, se dote des bons moyens pour parvenir à une juste décision en limitant les risques d’arbitraire et d’erreurs. 

Dans un tel cadre, en cas de conflit ou d'accusation, la défense prend pleinement sa place et il est important de le souligner. En effet, il est fréquent d’entendre que dans les affaires internes de l’Église, il convient « d’accepter » toute situation ou décision, même injuste, au motif que cela correspondrait au chemin de sainteté auquel tout chrétien est appelé. Se défendre est ainsi en soi mal perçu. Pourtant, le code de droit canonique prévoit des dispositions très claires à ce sujet et pose le principe que chaque fidèle a la faculté de revendiquer légitiment les droits dont il jouit dans l’Église et de les défendre (can 221). Saint Jean Paul II a insisté sur cet aspect en des termes forts : « Ce droit naturel, qui participe de l’essence de tout procès, doit être particulièrement mis en valeur au sein de l’Église » (Discours à la Rote, 17 février 1979). Il n’est donc pas question d’étouffer toute tentative de défense mais au contraire de permettre pleinement sa mise en œuvre. 

De grands saints nous en montrent d’ailleurs l’exemple : si l’on retient ceux qui sont restés silencieux, subissant d’injustes situations (on pense à Jeanne Jugan par exemple), d’autres ont au contraire manifesté une résistance vigoureuse, à l’instar de sainte Thérèse d’Avila qui ne ménagea pas sa peine pour lutter contre les agissements des carmes « mitigés » opposés à sa réforme du Carmel et faisant rentrer « dans l’ordre les désobéissants… » au moyen de décrets qui n’y allaient pas de main morte ! Saint Jean de la Croix finit au cachot et Thérèse ne manqua pas de dénoncer ce scandale. En France, saint Yves ne se borna pas à faire prévaloir le droit dans ses fonctions judiciaires ; il se constitua l’avocat du faible, luttant contre la violence et l’injustice. Il attaquait sans hésiter, notamment devant les tribunaux ecclésiastiques, les hommes puissants qui avaient offensé l’équité. Ces exemples nous rappellent que la notion de justice est indissociable de la sainteté. Dans toute la tradition de l’Église, l’invitation à la justice personnelle et sociale a été constante en raison de sa source évangélique. La justice rendue à l’égard d’une personne ne concerne pas seulement son cas particulier mais celui du corps entier. Aussi, veiller à ce que le droit soit respecté à l’égard des individus fait grandir l’Église tout entière.

1 André Damien, « Jésus, ou le procès de l'humanité », Les Grands Procès, coord. Thomas Janville, Presses Universitaires de France, 2007, p. 10-23.

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