Pourquoi les bien-pensants, qui pensent comme tout le monde, critiquent les bien-pensants, qui ne pensent pas comme il faut ? Pour échapper à la bien-pensance et à tous ses adorateurs serviles, le moyen salutaire est d’apprendre à penser.
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Il est devenu à la mode, à tout propos, de dénoncer ceux qui sont ligotés au pilori comme « bien-pensants » (et tous les termes similaires qui s’y appliquent). Cela finit par donner de l’urticaire car ces nouveaux moralisateurs de tous poils, aussi bien dans le monde civil que dans la sphère politique et le cercle religieux, lapident en fait le plus souvent leur propre image reflétée dans le miroir. Le problème n’est pas neuf mais il tend à prendre des proportions dangereuses, ce type de condamnation sans quartier permettant de faire l’impasse sur ce qui est nécessaire, et tellement oublié et négligé, à savoir le « bien penser ».
Comme il faut et pas comme il faut
Il est trop facile, simplement à partir d’opinions provenant d’émotions et de passions et non point de réflexion sage et posée, de cataloguer ceux qui essaient d’utiliser encore une certaine raison et logique comme des êtres étroits, rigides, recroquevillés et intolérants. L’histoire des hommes montre que la bien-pensance touche d’abord ceux qui veulent épouser la marche folle du monde sans prendre le temps du discernement et de la critique selon des catégories rationnelles. Les bien-pensants seraient ceux qui ne regardent pas sans méfiance les contorsions du Malin pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes. On leur reproche de ne pas savoir lire les signes des temps, d’être à la traîne, de croire encore qu’il existe des principes moraux naturels et intangibles. Le bien-pensant est d’abord montré du doigt comme celui qui refuse d’être comme tout le monde.
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En ce sens, saint Jean-Baptiste est décapité parce que bien-pensant, ne bénissant pas l’adultère et le concubinage sous le prétexte qu’il s’agissait là d’un cas particulier ou bien au contraire d’une règle communément admise et pratiquée. Or le prophète est toujours un homme qui se dresse contre les bien-pensants parce qu’il pense bien, vrai et juste. Léon Bloy, dans son Exégèse des lieux communs, note à propos de cette banalité, “être comme il faut” :
« Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C’est le sacre de la Multitude. »
Incapable de penser par lui-même
Contrairement à une idée fort répandue, le bien-pensant n’est pas celui qui perpétuerait une race honnie de pharisiens supposés, de nostalgiques de l’ordre, d’obsédés du passé et de la discipline. Il est celui qui est incapable de penser par lui-même, qui se contente de rabâcher ce qu’il entend, de copier ce qu’il voit, d’agresser ce contre quoi il ne possède aucun argument puisque, justement, il a abandonné depuis des lustres toute méthode raisonnement, toute logique permettant d’analyser, de synthétiser et d’émettre un avis qui soit autre qu’une opinion flageolante. Dans une de ses lettres, Georges Bernanos écrivait : « À quoi bon faire courir aux bien-pensants de droite ou de gauche le risque — mortel pour leur espèce — de penser une fois par eux-mêmes ? » Bernanos s’y connaissait en bien-pensants, lui qui n’a pas craint d’écrire La Grande Peur des bien-pensants, cri de révolte contre les idoles qui entraînaient la France dans le gouffre.
Apprendre à penser…
Pour échapper à la bien-pensance et à tous ses adorateurs serviles, le moyen salutaire est d’apprendre à bien penser. Rares sont aujourd’hui les pédagogies qui opèrent ce travail d’initiation et d’inspiration. Aristote n’est guère aimé. Il n’est plus qu’un nom, encore prestigieux, mais sa logique, qui façonna pendant tant de siècles notre Occident païen puis chrétien, est entreposée, sauf exceptions, dans les réserves poussiéreuses de notre musée de la raison. Son Organon est pourtant un puissant instrument de travail (puisque tel est la signification du mot grec). Les six livres de ce maître ouvrage sont une école du bien penser, notamment grâce aux Catégories qui forment la première partie.
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Ce n’est pas par hasard si saint Thomas d’Aquin proposa cette logique d’Aristote comme prémisse à toute philosophie et comme méthode pour toute connaissance rationnelle. Ces hommes ne se contentaient pas d’approximations, de jugements passionnels, de sensations superficielles. Comme le rappelle le Docteur angélique dans la Somme théologique (Ia-IIae, qu.90, a.1, ad 2um) : « Dans la raison spéculative sont premièrement la définition, deuxièmement l’énonciation, troisièmement le syllogisme ou l’argumentation. »
Les bien-pensants qui critiquent les bien-pensants ont abandonné ces principes de base. Leur prise de parole n’est plus constituée que de lieux communs, d’imprécations, d’opinions bancales, de slogans idéologiques. Elle est avachie car elle ne possède plus ce tuteur qu’est la logique, pour reprendre l’image thomiste, tuteur pour raisonner en vérité.
…et à parler à bon escient
Le catholique bien sûr n’échappe pas à la règle commune, mais il serait injuste de l’accabler sans cesse et de le soupçonner systématiquement d’hypocrisie et d’intolérance lorsqu’il témoigne fermement et courageusement de sa foi. La bien-pensance fait des ravages dans ses rangs lorsqu’il n’est pas capable de se taire, lorsqu’il expose en public la moindre de ses opinions sur toutes sortes de sujets, la plupart sans intérêt et d’autres trop pointus pour permettre un commentaire raisonnable. Dans Les Enfants humiliés, Bernanos souligne que « les catholiques parlent et écrivent beaucoup, ils écrivent et parlent énormément, il est permis de craindre qu’ils ne parlent et n’écrivent que trop. Sur le plus mince événement — fût-ce un collage de M. Sacha Guitry ou une épidémie de furonculose — nous sommes sûrs d’avoir dès le lendemain matin, au petit-déjeuner, le point de vue catholique ».
Cela s’applique aussi au plus haut niveau d’autorité, dans n’importe quelle institution. Le chef n’a pas intérêt à parler en dépit du bon sens. S’il doit s’exprimer à contretemps, il est nécessaire que sa parole soit précédée par la réflexion logique, le silence et la prière. Sinon, ses interventions deviendront rapidement relatives. Dans la parole humaine de Notre Seigneur, rien n’est relatif, tout est habité d’absolu car le Christ n’a pas laissé s’exprimer des émotions, des passions ou des opinions. Il a livré la vérité, ce qui est juste et beau, ce dont Il était habité, sans réserve.
À d’autres, l’obsession des bien-pensants
Faut-il être effronté pour soutenir que les autres sont des bien-pensants simplement parce qu’ils ne partagent pas notre commune tiédeur ! Les bavards ont toujours le dernier mot. Ils poursuivent de leur hargne celui qui a le malheur de ne pas partager leur enthousiasme de quatre sous pour ce qui est à la mode et qui passe. La lutte contre les supposés bien-pensants cache généralement la haine de ce qui est absolu, de ce qui ne peut pas bouger d’un iota, de ce qui ne dépend pas de nous, de ce qui est hors d’atteinte de nos sous-entendus et de nos crachats. Nul n’a le droit de se sacrer chevalier pour écraser les bien-pensants qu’il a fichés lui-même. Lors du Jugement, nous serons tous reconnus comme des bien-pensants qui ont souvent mal pensé, mal fait usage de notre pensée.
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Nous n’aurons plus alors le loisir de tendre un index vengeur vers les rigides et les pharisiens que nous aurons poursuivi de notre acharnement, de façon irrationnelle et passionnelle, durant toute notre existence. Ils seront peut-être nos juges ou assis déjà en divine compagnie, alors que nous aurons à attendre devant les guichets fermés. Larmes et grincements de dents pourraient être notre lot à force de ne pas avoir su aimer. Apprenons à bien penser afin d’aimer la vérité, d’éviter l’erreur, de combattre le péché et laissons à d’autres l’obsession des bien-pensants.