Nous vivons manifestement une époque où la question des femmes occupe le devant de la scène. Alors même que l’heure est à l’abolition du genre comme critère de définition de la personne, la condition proprement féminine est examinée sous toutes ses coutures, et dans tout ce qui l’entrave. Souvent considérée comme l’une de ses innombrables chaînes, la religion catholique a pourtant joué un immense rôle émancipateur pour les femmes. En quoi le christianisme est-il donc originellement féminin voire « féministe » ?
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L’historienne Régine Pernoud a démontré le rôle prépondérant des femmes dans la christianisation de l’Europe dans La femme au temps des cathédrales, ouvrage de 1980 qui bat en brèches les analyses marxistes et anticléricales de son époque… et de la nôtre ?
Les femmes et la conversion
On se souvient que c’est grâce à sa mère, sainte Monique, que saint Augustin s’est converti au christianisme. Son père, lui, restera païen toute sa vie, indifférent au Dieu de sa femme et de son fils. Ce qui passe pour une anecdote des Confessions relève en réalité d’un fait sociologique persistant : le jeune chercheur Tobias Boestad mentionne que sur un monument funéraire du XIe siècle retrouvé en Suède apparaît une inscription gravée par deux frères en mémoire de leurs deux parents, mais recommandant à Dieu l’âme de leur mère seulement. Conclusion : “alors que le père s’était visiblement obstiné dans son paganisme jusqu’à sa mort, la mère s’était convertie et avait même transmis sa foi à ses enfants.”
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Régine Pernoud décrit l’étonnante simultanéité de l’action de femmes dans la conversion de l’Occident au catholicisme : le VIe siècle voit se convertir le royaume des Francs grâce à la célèbre Clotilde, qui réussit à convaincre son époux le roi Clovis de se faire baptiser ; l’Italie du Nord, qui embrasse le catholicisme grâce à Théodelinde, épouse du roi des Lombards ; et l’Angleterre, où Berthe de Kent obtient le baptême de son époux le roi Ethelbert. Quelques siècles plus tard, celui de la princesse de Kiev, Olga, marque l’entrée du christianisme dans l’histoire de la Russie, et c’est grâce à Hedwige de Pologne que les pays baltes se convertissent.
Plus qu’une coïncidence
Pour expliquer ce frappant avant-gardisme des femmes sur leurs frères, pères et conjoints en matière de conversion, Tobias Boestad évoque la mythologie scandinave qu’il décrit comme peu attrayante pour les femmes, qui auraient alors vu dans les “idéaux chrétiens” des perspectives plus attrayantes que la célébration des exploits guerriers ou de la fertilité.
Régine Pernoud, elle, s’appuie sur le droit romain pour montrer en quoi la religion chrétienne représente pour les femmes une véritable libération. Car dans le monde romain antique, la femme n’est pas un sujet de droit : le régime de la patria potestas les place sous l’autorité du père, ciment de la société romaine dans son ensemble. Il a droit de vie et de mort sur ses enfants, pouvant tuer sa fille en cas d’adultère voire même simplement à la naissance : l’infanticide, notamment celui des cadettes, est une pratique attestée.
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L’on comprend en quoi l’irruption du christianisme vient bouleverser ce cadre législatif et culturel, puisque l’égalité entre les hommes et les femmes y est professée aussi simplement que radicalement : « il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28).
La liberté n’a-t-elle qu’un temps ?
Selon le jeune chercheur, l’édification de l’Église en tant qu’institution dirigée par une majorité d’hommes reprit à la femme la petite dignité qu’elle avait péniblement commencé à conquérir. C’est balayer d’un revers de main les évolutions favorables aux femmes qui jalonnent les siècles du très chrétien Moyen Âge comme l’instruction des moniales ou l’institution du mariage, conçu comme l’union entre deux êtres égaux et libres.
Les femmes mariées des temps médiévaux sont justement plus libres et indépendantes que celles de l’Ancien Régime : elles demeurent propriétaires de leurs biens et possèdent une pleine capacité juridique, ce qui n’est plus le cas au XVIe siècle. La cause ? Le retour de l’influence du droit romain, que consacrera encore davantage Napoléon : ce sont en réalité les grandes phases de sécularisation qui entérinent la perte d’indépendance des femmes.
De quel « féminisme » parle-t-on ?
Les personnalités féminines dont l’historienne brosse le portrait sont remarquables par leur inventivité et leur naturel : jamais elles ne cherchent à singer l’homme, en qui elles voient un partenaire bien plus qu’un rival. Régine Pernoud se demande ainsi avec prudence si « l’effort actuel de libération de la femme ne risque pas d’avorter ; car il marque pour elle une tentative suicidaire : se nier elle-même en tant que femme ». 40 ans plus tard, on ne saurait donner tort à l’historienne : le féminisme actuel, s’opposant à la différenciation entre les sexes, refuse à la femme toute originalité et concourt paradoxalement à sa fin.
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Le féminisme est une réalité à la fois moderne et mondaine : plaquer ce concept à l’entité multiséculaire et spirituelle qu’est l’Église n’est pas sans risque. Si le féminisme renvoie au combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il est vrai que le christianisme y contribua, mais la principale bataille de l’Église est contre le mal, et sa principale mission est de sauver les âmes. L’Église est femme puisqu’elle est comme l’épouse du Christ (Ep, 5), et ne saurait donc embrasser le féminisme actuel sans se nier elle-même.