Fondatrice de l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) et, avec Jean Vanier, co-fondatrice des communautés “Foi et Lumière”, Marie-Hélène Mathieu s’est confiée à Aleteia au sujet du testament spirituel de son compagnon de route de toute une vie, mort le 7 mai 2019 à Paris. En 1964 Jean Vanier s’installe avec deux personnes handicapées mentales dans une petite maison de l’Oise. Dans une même inspiration, Marie-Hélène Mathieu crée, pratiquement au même moment, “l’OCH, l’Office chrétien des personnes handicapées“. Dès 1968, et à sa demande, Jean Vanier prend la parole au cours d’une des soirées organisées par l’OCH, ce qu’il fera ensuite sans discontinuer jusqu’en 2017.
Trois ans après cette première prise de parole du fondateur de L‘Arche, tous les deux décident de fonder ensemble les communautés Foi et Lumière. Leur projet, c’est celui d’apporter une source de consolation aux parents de personnes handicapées mentales qui souffrent du rejet de leur enfant. Main dans la main, ils se mettent au service des plus faibles en répétant sans cesse leur credo commun : les personnes handicapées ont “une place irremplaçable dans le cœur de Dieu et méritent d’être aimées ».
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Au moment de la naissance de leur mission commune, qui aurait pu imaginer la dimension prophétique de l’Arche et des communautés de Foi et Lumière ? Marie-Hélène Mathieu nous parle de sa rencontre avec Jean Vanier, leur mission commune et du testament spirituel de ce géant de la tendresse de Dieu.
Aleteia : Jean Vanier était votre compagnon de route pendant plus de 50 ans. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Marie-Hélène Mathieu : C’est le 7 novembre 1966 que j’ai eu un premier contact avec le petit foyer de l’Arche à Trosly-Breuil. Trois ans plus tôt, j’avais fondé l’OCH et j’étais également présidente de l’Association chrétienne des éducateurs spécialisés (UNAEDE). J’arrivais, l’esprit plein de réserve à l’égard de son directeur, Jean Vanier. Son cursus était vraiment si bizarre ! Fils du gouverneur général du Canada, il avait été officier de marine avant de devenir professeur de philosophie et de théologie. C’était un profil inattendu pour se retrouver à la tête d’un mini centre pour des adultes handicapés mentaux. Pourtant, j’ai immédiatement été touchée par le climat de joie, de simplicité et d’accueil inconditionnel qui régnait autour de Jean. C’était une vraie famille. Dans son foyer, chacun s’investissait dans le service. Tout le monde s’y mettait pour faire la vaisselle. Plus expéditive que nickel, la plonge était assurée par Jean Vanier lui-même !
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Avez-vous pensé tout de suite que c’était une grande rencontre dans votre vie et le début d’une mission commune ?
J’étais convaincue d’avoir découvert un trésor. La prière de l’Arche m’avait émue, surtout cette parole : “Voir en notre frère souffrant la présence de Jésus vivant.” Jean l’incarnait par son regard de bienveillance. Chacun était pour lui un être unique appelé à une mission unique, qu’il considérait au-delà de son visage, de ses limites intellectuelles, de ses blessures. C’était comme s’il avait dit : « Dieu t’aime tel que tu es. Je t’aime tel que tu es. » Dès lors, je l’ai invité à donner chaque année une conférence dans le cadre des conférences-rencontres de l’OCH. Sa parole était de plus en plus écoutée. Peu à peu, Jean est devenu un collaborateur habituel de la revue Ombres et Lumière (revue fondée par Marie-Hélène Mathieu, créée en 1968 par une équipe de parents d’enfants handicapés, ndlr). De son côté, Jean m’a demandé de m’engager dans l’Arche en tant que membre du conseil d’administration et plus tard vice-coordinatrice internationale.
En 1971, vous décidez de fonder ensemble le mouvement Foi et Lumière dont le rayonnement aujourd’hui est mondial…
Foi et Lumière, c’est la grande œuvre à laquelle nous avons été appelés ensemble. Nous ne l’avions nullement programmée. C’était vraiment l’œuvre de Dieu, qui continue aujourd’hui de nous émerveiller. Tout a commencé en 1968 par la confidence partagée avec Jean et moi d’un couple. Camille et Gérard avaient été écartés de tout pèlerinage à Lourdes en raison du handicap profond de leurs enfants. Ils étaient finalement venus séparément, un seul hôtel avait accepté de les accueillir, pourvu qu’on les voie le moins possible. Dans le sanctuaire même, les regards de pitié ou de rejet leur avait fait très mal. Ce témoignage nous a bouleversés. Une idée a jailli alors, sans doute inspirée par la Vierge Marie… N’avait-elle pas choisi la petite Bernadette, la plus méprisée de Lourdes, pour annoncer son message au monde entier ? Pourquoi ne pas organiser un pèlerinage avec les plus faibles, donc les plus chers à son cœur ? Ils seraient entourés de leurs parents, de leurs amis, surtout des jeunes. Cela nous a valu trois années de mobilisation intense.
Pour arriver à Lourdes le Vendredi saint 1971…
Nous étions 12.000 pèlerins de 15 pays dont 4.000 ayant un handicap mental, à se retrouver sur l’esplanade de Lourdes ! Dans leur souffrance, ils étaient entourés de tant d’amour… L’amour qui a permis ce miracle où la joie coexistait avec la souffrance… Nous avons vécu quatre jours d’alléluias! Tant de miracles des cœurs visibles ou invisibles, qui ont gagné toute la ville de Lourdes pourtant si craintive.
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Et le lundi de Pâques vous avez lancé le mouvement Foi et Lumière…
Oui, c’était un lundi de Pâques. Un cri a jailli parmi nos pèlerins : “Nous voulons que Foi et Lumière vive”. Avec Jean Vanier, nous leur avons alors répondu : “Continuez de vous réunir en communautés de rencontre dans l’amitié, la prière, la fête. Que l’Esprit saint vous inspire.” Devant la grotte de la Vierge et de Bernadette, le pèlerinage était terminé mais le mouvement Foi et Lumière était né. Aujourd’hui, il rassemble 1.400 communautés dans 85 pays.
Quel est l’essentiel du testament spirituel de Jean Vanier selon vous ?
Certes, nous ne sommes pas tous appelés à nous engager dans L’Arche ou à faire partie d’une communauté Foi et Lumière mais il me semble qu’aujourd’hui, Jean Vanier nous appelle à mettre la main dans la main d’une personne faible : le voisin malvoyant, une grand-mère Alzheimer, le tout petit enfant dont on découvre le handicap dans le sein de sa maman… Jean, qui a été accueilli dans l’heureuse compagnie de ses pauvres, nous rappelle ce message essentiel de l’Évangile que c’est Jésus lui-même que nous accueillons en chacune de ces personnes faibles.
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