Il y a trente ans, celui qui fut l’un des plus grands théologiens du XXe siècle entrait dans la paix de Dieu. Découvrez ce théologien qui a remis l’expérience de la beauté au centre de la foi.Il est considéré comme l’un des plus grands théologiens chrétiens du XXe siècle. Peut-être parce que Hans Urs von Balthasar (1905-1988) a eu une formation plus originale que ses comparses. Le parcours de ce Suisse, née dans une famille catholique, détonne d’autant plus que dans les années 1920-1930 les théologiens faisaient généralement des études très classiques. Lui a commencé par des études très poussées en littérature allemande, dans les universités de Vienne et Berlin. Il est allé jusqu’à rédiger une thèse sur “l’apocalypse de l’âme allemande” lui permettatn d’allier son intérêt pour la littérature allemande la plus contemporaine et ses préoccupations spirituelles. On y trouve des réflexions sur Goethe, Nietzsche, Rilke, Wagner ou Kierkegaard. Hans Urs von Balthasar montre l’affrontement au sein même de la culture allemande entre le principe dionysiaque et l’aspiration chrétienne.
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Cette formation originale explique que sa théologie est très actuelle pour de nombreux intellectuels du XXe siècle. Le père Pascal Ide a écrit justement : “Je dirai que Balthasar a en quelque sorte effectué pour la théologie actuelle le travail opéré par Augustin pour la patristique latine et Thomas pour le Moyen Âge : dialoguer avec la pensée de son temps, la purifier et en intégrer le meilleur.” Une des particularités que l’on voit chez Urs von Balthasar par rapport à saint Thomas notamment, c’est son attachement pour la poésie et la place de l’émerveillement devant la splendeur de Dieu. C’est donc très logiquement dans cette connaissance de l’esthétique que prendra forme l’une des dimensions les plus originales de sa théologie.
Une vocation brûlante pour une théologie à l’école des saints
C’est pendant ses études, lors d’une retraite chez les Jésuites, méditant les exercices spirituels de saint Ignace, que Urs von Balthasar se sent appelé à la vie religieuse. Il commence alors quelques mois, puis son noviciat, au sein de la Compagnie de Jésus. Il découvre cette fois une formation tout à fait différente de celle qu’il a connue dans les universités de Vienne et de Berlin. Il aborde la théologie scolastique traditionnelle et se forme aux méthodes plus standard à cette époque de renouveau thomiste.
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C’est une théologie qui, contrairement à ses souhaits, puise très peu dans la littérature et la vie. Il la trouve abstraite et sa volonté sera de rapprocher la théologie de l’expérience mystique et de la connaissance de Dieu que peuvent avoir les saints. La découverte du renouveau patristique à la faculté jésuite de Fourvière lui apporte un bol d’air considérable. Les pères grecs, nourris de poésie antique, comme Grégoire de Nysse ou Basile de Césarée le marquent profondément par leur spiritualité. Marqué par ces saints théologiens, il développera cette idée de théologie “à genoux”, c’est-à-dire une théologie priante qui soit véritablement une prière fervente en direction de Dieu et qui se laisse éblouir par la splendeur de Dieu sans le réduire à des catégories. C’est pour cette raison également que dans ce que l’on appelle sa “trilogie”, son œuvre majeure, on trouve d’abord une “Esthétique”, puis une “Dramatique divine” et enfin une “Théologique”. La connaissance théologique vient après l’éblouissement esthétique et le drame de la rencontre du chrétien avec le Christ.
Une nouvelle forme de théologie qui met à l’honneur l’art et la littérature
On comprend maintenant toute la puissance de ce théologien et pourquoi quelqu’un comme le cardinal Lustiger en recommandait fortement la lecture. Il a également profondément influencé la théologie de Benoît XVI et celle du cardinal de Lubac. Il permet de comprendre que l’une des manières d’appréhender l’amour infini de Dieu pour les hommes se fait dans l’expérience de la beauté et de l’éblouissement devant ce miracle qui engendre un véritable émerveillement. C’est une expérience que l’on ressent particulièrement à la lecture du livre d’Isaïe (Is 9,1-2) :
“Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi.
Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin.”
Ici encore (Is 60, 1-5) :
“Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.
Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît.
Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore.
Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche.
Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations.”
C’est cette dimension de beauté qui explique également l’importance de l’art chrétien. On pense au passage dans lequel Judas reproche à Marie-Madeleine d’avoir versé un parfum sur le Christ alors qu’il aurait pu être vendu pour donner l’argent aux pauvres. On pourrait croire que l’Église devrait vendre ses tableaux et toutes les œuvres d’art qu’elle a pour nourrir les pauvres, mais en réalité, la beauté est une composante essentielle du témoignage pour dire ce qu’est Dieu.
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C’est dans la beauté, dans la poésie, dans le théâtre, la peinture, que l’on peut aller à la rencontre de Dieu et sentir la figure du Christ rayonner, d’où leur importance cruciale dans l’évangélisation et dans la vie de prière. Hans Urs von Balthasar est donc probablement le théologien qui nous permet le mieux de comprendre ce mystère et le lien tout particulier que l’Église doit avoir avec les artistes.
Pour en savoir plus sur Hans Urs von Batlhasar :
Une émission sur KTOTV avec Vincent Holzer, l’un des plus grands connaisseurs actuels d’Hans Urs von Batlhasar, auteur d’une biographie intellectuelle de référence qui permet de comprendre en détails la vie et l’œuvre de cet immense théologien.