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Suicides de deux jeunes prêtre : peut-on risquer une explication ?

GIEN CHURCH
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Jean Duchesne - publié le 26/10/18
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Encore un jeune prêtre qui met fin à ses jours après avoir été accusé de « gestes inappropriés ». Il y a de quoi être secoué. Mais pas de s’effondrer.

Encore un jeune prêtre qui met fin à ses jours après avoir été accusé de « gestes inappropriés ». Il y a de quoi être secoué. Mais pas de s’effondrer.

Il faut d’abord s’abstenir de juger. Il est tentant de présumer qu’un suicide équivaut à un aveu de culpabilité. Or c’est aller un peu vite en besogne. En l’occurrence, il n’y a pas de faits établis. Et le soupçon peut suffire à tuer : celui qui démolit l’homme ou la femme qui ne supporte pas d’inspirer le doute, mais aussi celui que l’on porte sur soi-même si l’on flirte avec la tentation. Nul ne peut dire à la place de la personne qui n’a plus voulu vivre quelle désespérance l’a poussée à commettre un acte aussi irréparable. Ce n’en est que plus terrible.

Contagions

Une deuxième observation à faire est que fonctionne ce que l’on peut appeler une loi des séries par mimétisme. Il arrive qu’une violence médiatisée, surtout si elle est suicidaire, déclenche des duplications, sans lien direct entre-elles, ni avec l’événement qui en donne l’idée. On l’a vu en 2016 en France : un policier et sa compagne assassinés à Magnanville le 13 juin, le camion lancé dans la foule à Nice le 14 juillet, le meurtre du père Hamel à Saint-Étienne du Rouvray le 26 juillet. De même, à l’échelle américaine, les États-Unis ont connu 18 fusillades dans des écoles en 43 jours début 2018 (entre le 2 janvier et le 14 février). Les précédents rendent réalisables, dans des âmes tourmentées par la haine des autres et/ou de soi, ce dont la perspective révulse les esprits à peu près sains.


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Il faut ensuite relever que, dans le climat actuel, en vertu d’un phénomène un peu analogue (même s’il est moins marginal et sans doute justifié) d’ouverture par l’exemple du champ du possible, les dénonciations d’abus sexuels se multiplient. C’est le mouvement « #MeToo » et « Balance ton porc », qui se développe jusqu’en Afrique, au Moyen-Orient, en Inde, en Corée et au Japon. Les « affaires » de prêtres  infidèles à leur vœu de chasteté éclatent dans un contexte général où elles sont loin d’être isolées, où des révoltes de victimes en suscitent d’autres et où chacun doit veiller à éviter de prêter le flanc au moindre soupçon. Si le scandale paraît plus grand dans l’Église qu’ailleurs, c’est sans doute parce que c’est là que l’incompatibilité est la plus flagrante entre la mission et certains comportements.

Le vrai problème de la sexualité

Il n’y a rigoureusement pas lieu d’en conclure que le clergé tout entier est hypocrite et pourri, ni qu’il ne reste plus qu’à abolir le célibat sacerdotal. Autant avouer que l’anticléricalisme est une christianophobie qui n’ose pas dire son nom, tout en prétendant que la continence est impossible. C’était déjà l’avis d’un des moins recommandables des empereurs romains. Il a soigné sa popularité en faisant exécuter des chrétiens avec une cruauté spectaculaire, comme le rapporte Tacite dans ses Annales (XV, 44). Un autre historien latin, Suétone, le confirme dans sa Vie de Néron (XVI, 3), et ajoute (XXIX, 2) : « Il était tout à fait persuadé qu’aucun être humain n’est chaste ni pur dans aucune partie de son corps, mais que la plupart dissimulent leurs vices et ont l’art de les dissimuler ».



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Le vrai problème n’est pas que la sexualité serait encore trop bridée, particulièrement dans l’Église. Ce sont plutôt les questions que posent à l’humanité, au moins occidentale, la liberté revendiquée et les limites encore reconnues de son exercice. L’opinion reçue aujourd’hui semble être que tout est légitime pourvu que le « partenaire » soit consentant et, pour cela, adulte. Or il est rare que le désir soit instantanément réciproque. Le décalage se compense traditionnellement soit par la séduction (sincère ou non), soit par des abus d’autorité (sociale ou achetée dans le cas de la prostitution), et désormais (dans la « modernité ») par conformisme, pour ne pas avoir l’air « coincé(e) ». Mais c’est là faire bon marché du respect (pour ne pas parler d’amour) de l’autre, qui n’est pas seulement de la chair manipulable, et par-dessus le marché de soi-même. Car c’est là se résigner à la précarité de la jouissance égoïste et immédiate tant que l’âge en procure les moyens, faute d’avoir l’ambition de pratiquer le don de soi mutuel jusque dans la durée, avec ce qu’il requiert de part et d’autre à la fois d’altruisme et d’harmonie ou de complémentarité entre le corps et le cœur.

Sans maîtrise de soi, pas de liberté ni pour soi ni pour l’autre

Le christianisme n’a jamais enseigné un mépris de l’activité sexuelle qui permettrait d’abord de feindre qu’il est facile de s’en passer, puis de la camoufler cyniquement si venaient à s’imposer des pulsions, non pas bestiales, mais tristement humaines (puisque les animaux dissocient moins aisément leurs copulations de la reproduction). La foi inspire au contraire que cela est assez noble et beau pour n’être pas réduit à des mécanismes biologiques qui finissent par esclavagiser le prédateur aussi sûrement qu’ils déshumanisent sa victime.


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La maîtrise que suppose la liberté — non par rapport à la sexualité mais dans l’identité irrécusable que celle-ci confère — trouve à s’exercer à travers les épreuves également dans le mariage et dans le célibat consacré. À cet égard (et pour revenir au point de départ), on devine l’importance qu’a l’apprentissage du contrôle de soi non moins au séminaire ou au noviciat que pendant le temps des fiançailles (même si le mot n’est plus à la mode), où l’on découvre — et cela se vérifiera tout au long de la vie — qu’il faut absolument rester libre, c’est-à-dire maître de soi-même, vis-à-vis de ses désirs autant que de l’union fusionnelle avec l’autre.

Parenté entre le mariage et célibat consacré dans la famille des enfants de Dieu

La sortie de la crise actuelle ne se fera pas uniquement grâce à des mesures préventives, expiatoires ou thérapeutiques. Elle requiert que le discernement de la vocation du candidat au sacerdoce et de ses capacités à y répondre soit aussi exigeant que devrait l’être l’élection réciproque des époux avant qu’ils se tournent vers Dieu pour qu’il bénisse leur alliance. Elle suppose aussi que le don de soi entre mari et femme soit pour le prêtre le soutien d’un modèle et un signe que « rien — même la fidélité totale — n’est impossible à Dieu » (Luc 1, 37 et surtout 18, 27). En se rappelant toutefois qu’il vaut mieux ne pas le tenter (Matthieu 4, 7), c’est-à-dire le sommer de faire un miracle pour réchapper à un risque qu’un peu de maîtrise de soi aurait permis de ne pas prendre.


CHRISTOPHE CASTANER
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Les pères de famille sont « les grands aventuriers du monde moderne », écrivit Péguy. Les mères de famille aussi. Et les prêtres n’avaient pas attendu la « modernité » pour vivre dangereusement. « Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute » (Matthieu 11, 6 ; 13, 5 ; 26, 31), a prévenu Jésus, qui n’a perdu qu’un apôtre sur douze, bien que les onze autres (à commencer par le premier) aient été loin d’être toujours exemplaires.

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