À la tête d’une entreprise multinationale suisse, Jean-Pascal Bobst s’est donné deux missions : assurer le développement du groupe familial qu’il dirige et « amener l’Évangile dans le monde dans lequel il travaille ».Sourire franc et regard clair, Jean-Pascal Bobst est ce genre de personne sur laquelle on se retourne volontiers. Ici, il n’est nullement question de séduction. De profondeur plutôt. De force tranquille. À 53 ans, Jean-Pascal Bobst est la quatrième génération de Bobst à la tête du groupe familial suisse du même nom. Avec un chiffre d’affaires de 1,53 milliard de francs suisse et près de 5.400 collaborateurs répartis dans une cinquantaine de pays, il est l’un des premiers fournisseurs mondiaux d’équipements et de services destinés aux fabricants d’emballages et d’étiquettes. Si le milieu industriel peut en effrayer plus d’un, ce n’est pas le cas de Jean-Pascal Bobst, qui a grandi avec. Loin d’y voir une déshumanisation ou un asservissement de l’homme aux machines, ce milieu est pour lui une formidable aventure humaine… et une incroyable terre de mission, d’évangélisation.
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« J’ai grandi dans un environnement relativement privilégié », confie le chef d’entreprise. « Je pense que j’étais un peu le “saint Bernard” de la famille, j’ai toujours cherché à être un élément d’unité. Ayant reçu une éducation catholique, j’ai également reçu la foi que mes parents m’ont transmis. » Entre ses 11 et ses 13 ans, il passe plusieurs étés à Lourdes, comme brancardier. « C’est là que j’ai reçu une révélation de la présence de Dieu », se souvient-il. « En tant que brancardier nous devions nous occuper de malades. C’est alors que j’ai posé mes yeux sur un homme si difforme que la simple vue de son corps meurtri me rebutait. Le hasard a fait que c’est de lui dont je me suis occupé pour le monter dans l’ambulance. Durant le trajet – une dizaine de minutes – il m’a demandé ce que je faisais et je lui ai retourné la question. C’est alors qu’il m’a dit “je viens pour rencontrer le Seigneur mais je t’offre ma semaine”. Ça a été une révélation, j’ai fondu comme un glaçon ! Ses traits étaient certes toujours aussi meurtris mais j’y voyais désormais aussi la présence vivante du Christ ». À son retour, réjoui, il confie tout cela à sa famille mais il s’entend répondre : « C’est bien pour le dimanche matin mais pas la semaine ! ».
Commence alors pour lui un long chemin de conversion. Pendant ses études d’ingénieur mécanicien, à la mort de son père alors qu’il n’a que 22 ans et au côté de celle qui deviendra sa femme, il ne cesse de s’interroger : comment vivre l’amour du Christ au quotidien ? Cette question, il la retourne en tous sens au fil des jours, des mois. Côté professionnel, à la fin de ses études, il rejoint l’entreprise familiale où il commence tout en bas de l’échelle. Tous les trois ans, il change de poste jusqu’à prendre la tête du groupe, en 2007.
Vivre Son royaume au quotidien
« Cela n’a pas été simple tous les jours », reconnait-il. « Entre 2000 et 2007, j’ai dû structurer le groupe en mettant en place une holding familiale afin d’éviter une implosion des membres de notre famille et pour réussir à conserver et développer notre patrimoine ». Il y a également eu la crise économique de 2007. « Avec la crise, la question de restructurer le groupe s’est imposée. L’année précédente, en 2006, j’avais montré que j’avais un cœur à l’unité. J’ai donc décidé de reprendre la direction de Bobst ». Mais alors que le groupe retrouve le chemin de la croissance à partir de 2007, l’économie suisse doit composer avec brutale contraction de 1,9% de son PIB : « En un an, nous avons perdu plus de 30% de notre chiffre d’affaires, se souvient Jean-Pascal Bobst. De 2.600 collaborateurs, nous sommes passés à 1.600. Il n’y a pas eu de licenciement sec mais la fermeture progressive d’activités et de sites ». Le capitaine d’industrie a encore en mémoire le choc que cela a provoqué… et des critiques qui ont suivi. « Les gens m’ont vu comme l’héritier qui licencie ; j’ai même été attaqué sur mes valeurs chrétiennes ! Pourtant, tout au long de ce parcours, même si je n’ai pas forcément très bien dormi, j’étais très serein car j’ai toujours cherché Sa face. J’ai toujours pris du temps pour me mettre à Son écoute et m’interroger sur la manière de vivre Son royaume au quotidien, de 8h du matin jusqu’à tard le soir ».
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Pendant quelques secondes, le temps se suspend. Vivre Son royaume. Peu importe l’interlocuteur, que ce soit un client, un employé ou un directeur, Jean-Pascal Bobst insiste sur cette conscience aigüe que le Seigneur est digne dans Sa parole pour voir en toute chose. « Au fond de moi, j’ai toujours senti une paix, une sérénité, une confiance avec une vision heureuse même si je ne connaissais pas forcément la tram ou la stratégie à adopter au quotidien. Il m’a suffisamment gâté mais jamais trop pour que je reste à son service, humblement. Il faut savoir rester humble et à genoux devant cette tâche gigantesque qui est d’amener l’Évangile dans le monde dans lequel on travaille ».
« Des hommes, du savoir et des valeurs »
À force d’efforts, de pédagogie et de redéploiement, le groupe Bobst remonte la pente. En 2015, alors que l’entreprise s’apprête à fêter ses 125 ans, Jean-Pascal Bobst s’interroge. Comment célébrer cette anniversaire tout en ayant un regard vers le futur ? Pendant un an, il travaille donc avec sa direction pour repenser l’orientation de son entreprise. Le fruit de ce travail se résumera en une phrase : « Des hommes, du savoir et des valeurs ». C’est à l’occasion de cet anniversaire, lors de l’inauguration des nouveaux locaux, que Jean-Pascal Bobst décide de faire « officiellement » son coming-out missionnaire. « À la fin de cette inauguration officielle, j’ai pris quinze minutes pour dire que cette entreprise ne nous appartenait pas, que c’était grâce à nos parents que nous étions là, mais, surtout, grâce au Christ ! Ça a été un choc, les gens ne s’y attendaient pas », se souvient-il. « Un prêtre, un pasteur de l’église protestante et un pasteur de l’église évangélique ont ensuite pris la parole et ont béni le lieu ».
“Ce tandem avec Jésus est fantastique”
Revivant ce moment avec émotion, Jean-Pascal Bobst se souvient s’être senti très heureux. « C’était un moment fort, comme si vous partagiez quelque chose de très intime avec beaucoup de monde. Évidemment ça a été lourd de conséquences mais cela m’a permis de pouvoir parler librement. Aujourd’hui, à chaque fois qu’il y a des échéances importantes, je suis dans la joie car ce tandem avec Jésus est fantastique », confie-t-il dans un sourire.
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Sa mission, il la voit dans le milieu économique, le milieu des affaires. « Mon rôle est de vivre, de témoigner, de parler de l’amour du Père autour de moi », détaille-t-il. « Finalement, je gère l’entreprise pour le royaume. Nous devons arriver à cette excellence… et atteindre l’excellence opérationnelle commence par l’excellence relationnelle ». « L’exigence est élevée ! Il n’y a pas de place pour la culture du peu, du pouvoir ou de la discorde », insiste Jean-Pascal Bobst. « Notre mandat est de chercher cette excellence tout en aimant. Attention, aimer ne va pas dire ne pas prendre de décisions difficiles comme licencier par exemple. Mais cela signifie le faire avec empathie, en aidant la personne en lui proposant une année de formation, par exemple. Le licenciement ne doit pas être une rupture dans la douleur mais une opportunité de rendre la personne maitresse de sa vie et lui donner toutes les clefs pour y arriver.
Et demain ? « Le mandat d’un patron est de définir une vision claire, d’enthousiasmer ses équipes, de donner confiance. C’est un cercle vertueux. En entreprise, les valeurs sont l’arme la plus compétitive qu’on ait pour demain. Une fois que vous êtes ancré, vous savez qui vous êtes donc c’est plus facile d’évoluer et de se projeter », rappelle Jean-Pascal Bobst. « Ma foi me demande d’être généreux et de donner sans compter. En même temps, il est de notre devoir de développer ce que l’on a reçu, c’est la parabole des talents. Finalement, et c’est valable dans tous les domaines de la vie, je pense qu’il ne faut pas vouloir faire ce qui nous est impossible de faire, cela a été réglé sur la Croix. En revanche ce qui nous est possible de faire c’est de témoigner, de porter le message du Christ ».
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