Campagne de Carême 2025
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Dans la chapelle Sixtine, le conclave est imminent, tous les cardinaux électeurs sont réunis au complet. Vraiment au complet ? C’est sans compter une surprise du destin. Un évêque missionnaire sud-américain en Afghanistan se présente et annonce être cardinal. Personne n’a jamais entendu parler de lui, et son nom n’a jamais été cité lors des consistoires de création de nouveaux cardinaux. Il porte une lettre du pape décédé, attestant qu’il est "cardinal in pectore". Sidération parmi les rangs de calottes rouges. Son cas est étudié, et il est finalement admis dans le cercle très restreint de la poignée d’hommes pouvant voter le futur chef de l’Église catholique…
Ce scénario totalement fictif – dont le côté rocambolesque ne fera que s’accroître – ouvre le film Conclave, qui a remporté l’oscar du meilleur scénario cette année. Dans le monde réel, une telle intrigue est-elle envisageable ? "C’est absolument impossible", répond le docteur en droit canonique Pierre Chaffard-Luçon. Canoniquement, explique-t-il, il n’est pas plausible "qu’un cardinal apparaisse au milieu des congrégations générales de manière magique en sortant une lettre de son chapeau. Ne serait-ce que parce qu’une lettre cachée du Pape ne suffit pas.

"Un acte juridique a besoin d’une promulgation", affirme le maître de conférence. En l’occurrence, il faut une publication formelle du pontife du nom du cardinal qu’il avait gardé jusqu’alors ‘in pectore’ –‘dans son cœur’. Le code de droit canonique précise qu’avant cette publication le cardinal "n'est tenu […] à aucun des devoirs des cardinaux et il ne jouit d'aucun de leurs droits" (can. 351). Ce n’est qu’au moment où le nom est révélé que le prélat obtient son cardinalat au sens plénier du terme et pourrait donc être électeur en cas de conclave. "C’est l’acte officiel qui compte, s’il n’y a pas cette annonce, même si le cardinal en question est à connaissance de sa nomination, il ne peut pas le faire savoir", insiste le canoniste.
La figure du cardinal in pectore
Selon Pierre Chaffard-Luçon, l’intérêt de la figure du cardinal in pectore est diplomatique et politique. Lorsque le pontife régnant annonce dans sa liste un cardinal dont il garde l’identité secrète, "tous les pays qui sont en froid avec le Saint-Siège peuvent vérifier la liste de leurs évêques potentiellement cardinaux". Cela avait d’ailleurs été le cas avec la Chine, sous le pontificat de Jean Paul II. Le pontife polonais avait créé un cardinal in pectore dès son premier consistoire le 30 juin 1979, et avait révélé le nom de ce Chinois, Ignatius Gong Pin-mei, douze ans plus tard, lors du consistoire du 28 juin 1991.
Au fil des ans, Jean Paul II a créé trois autres cardinaux in pectore. Il a dévoilé par la suite les noms de deux d’entre eux : Marian Jaworski, Ukrainien, archevêque de Lviv des Latins, et Janis Pujats, archevêque de Riga en Lettonie. Le dernier, dont il a annoncé la création au consistoire du 21 octobre 2003, n’a jamais été révélé ni découvert. Comme à chaque annonce de ce type, la presse s’était répandue en supputations sur l’identité de l’élu secret. Les noms de Mgr Joseph Zen, évêque de Hong Kong ou encore de Mgr Tadeuz Kondrusiewicz, archevêque catholique à Moscou, avaient alors circulé, mais le mystère n’a jamais été résolu. À noter aussi que si un pape décède en ayant créé un cardinal sans avoir révélé son nom, son successeur n’est pas tenu d’en tenir compte.
À ce jour, l’hypothèse du film Conclave semble encore plus improbable lorsque l’on considère que ni François ni Benoît XVI n’ont créé de cardinaux in pectore. Aucun nouveau venu ne peut venir réclamer sa barrette pourpre : il n’est pas possible de créer in pectore sans le dire. En revanche, le pape, souverain absolu, peut toujours changer les règles du jeu. "Il peut dans les prochains jours promulguer une nouvelle norme, juridiquement c’est possible", envisage Pierre Chaffard-Luçon. "Mais nous n’avons aucun indice qui permette de penser qu’il le fera", conclut-il.
