On connaît bien les derniers mots que Louis XVI prononça sur l’échafaud avant que le roulement des tambours ne parvienne à en couvrir le son. Depuis le matin, un brouillard épais enveloppe Paris, il fait froid. À 9 heures, la voiture s’ébranle : le chemin n’est pas si long du Temple à la place de la Révolution. Plus de 80 000 hommes en armes sur le parcours. Aux principaux carrefours, des canons "au cas où", 200 gendarmes à cheval constituent l’escorte. Après les grands boulevards, on gagne la place de la Révolution (actuelle Concorde) par la rue de la Révolution (actuelle rue Royale). Là, ce sont près de 20 000 soldats qui sont déployés pour entourer l’échafaud, face aux Champs-Élysées.
Un roi aux antipodes des images simplistes
"Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France." Le couperet tombe. Il est 10 h 22. Quelques voix crient joyeusement. Et puis le silence. Depuis le 21 janvier 1793, on a fait du roi guillotiné un être simple voire simplet, introverti et pour tout dire, inapte à gouverner. Passionné de serrures et de mécanismes, dépassé par une épouse volage et dépensière, et, pour finir, peureux et fuyard, rattrapé comme un voleur de grand chemin auprès d’une auberge. Le mérite de l’Histoire est qu’elle est aussi une science et que des chercheurs traquent le réel plutôt que de se contenter des légendes et des récits idéologiques. Jean-Christian Petitfils dans son formidable Louis XVI (Perrin) paru il y a dix ans, nous brosse un portrait aux antipodes de ces images simplistes.
Premier roi amoureux des sciences, élevé au siècle des Lumières, le jeune monarque se passionne pour les découvertes, les explorations. Il règne au cœur d’une cour conservatrice qui fera tout pour contrecarrer ses projets de réforme, empêchant tout changement, et foncièrement hostile à ce que l’on perçoit de ses volontés "progressistes". Avant même les prémices de la révolution, avec son ministre des Finances, Charles-Alexandre de Calonne, il réfléchit à l’abolition des privilèges pour l’Église et la haute noblesse. Projet contre lequel tous se ligueront, au point, dit-on, de faire sombrer le roi dans une profonde dépression.
Un secret de famille peu reluisant
Pourquoi évoquer ce visage ? non par nostalgie. L’Église en France s’est longtemps rangée du côté d’un retour à la monarchie, et dans une hostilité froide à la République. Mais les siècles s’écoulent et le temps d’avant ne revient jamais comme il était. Progressivement, devant les menaces spirituelles d’un combat politique qui l’instrumentalisait de plus en plus au point de la mener à une forme d’apostasie, l’Église en France en est arrivée à ne plus chercher à trop influencer la vie politique du pays. Pour en arriver à aujourd’hui où, le voudrait-elle encore, elle ne le pourrait plus du tout.
Mais Louis XVI demeure probablement le secret de famille dont nous portons collectivement l’empreinte. Le roi personnifiait la France, c’est ainsi pendant près d’un millénaire que les choses étaient vécues. Il la personnifiait pour le meilleur et pour le mauvais aussi. Il n’y a pas grande gloire à célébrer l’exécution d’un homme, surtout depuis l’abolition de la peine de mort, dont le seul crime était d’être encore et malgré tout un symbole devenu trop gênant pour l’autorité en place. Procès fumeux, calomnies et insultes : rien de très reluisant…
Le régicide a laissé des traces
Un film lui a été récemment consacré : Le Déluge, sorti le 25 décembre 2024. Beaucoup de ceux qui ont pu le voir disent avoir été touchés par l’humanité qu’y exprime le successeur de Louis XV, lui qu’on appelait au début de son règne le nouvel Henri IV. Père de famille, époux, travailleur, il fut emporté par le tourbillon de l’Histoire et sans nul doute dépassé par la folie des évènements. Qui ne l’eut été à sa place ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que les salles de cinéma ne se sont pas bousculées pour le diffuser : sur la métropole lilloise par exemple, une seule le mettait à l’affiche. Décors fastueux, comédiens archiconnus, costumes d’époque : tous les ingrédients étaient pourtant rassemblés pour un succès. Sans sombrer dans la paranoïa, on peut tout de même s’étonner que plus de deux siècles après, une version historique qui ne corresponde pas à la doxa officielle ait tant de mal à trouver sa place. Peut-être simplement une autocensure afin de ne pas se faire remarquer… ?
En tout cas, l’évènement en dit long sur notre incapacité française à regarder notre histoire et à oser en discuter. Et à nous avouer à nous-mêmes que le régicide a pu laisser des traces dans l’inconscient collectif. Des traces qui nous rendent plus difficile de regarder le monde, et notre société, tel qu’ils sont plutôt que de nous contenter de chimères qui ne sont plus, ou de fantasmes qui nous étouffent d’illusions.