Une vague de dénigrement sans précédent. C’est bien ce qu’a tristement suscité sur les réseaux sociaux le témoignage d'Anne, 53 ans, mère de famille et décoratrice d’intérieur, qui s’est fait extorquer 830.000 euros en quelques mois par un cyber-escroc se faisant passer pour l’acteur américain Brad Pitt. Une telle déferlante de réactions moqueuses à la suite du reportage de "Sept à Huit" sur TF1 que – fait rarissime – la chaîne de télévision et la société de production ont décidé de supprimer le reportage du replay.
Outre l’abjecte perversité d’un côté et l’incommensurable crédulité de l’autre, ce fait divers alerte sur les proportions que peut prendre désormais la moquerie, notamment quand elle est relayée par des comptes aux milliers d'abonnés, et invite à faire doublement attention à ce que l’on poste ou relaie. Sur les réseaux, la blague, le montage photos ou le bon mot partagé aux dépens d’une personne peut être lourd de conséquences. Une moquerie lancée dans une salle de classe n'ira guère plus loin que la cour de récréation (et les conséquences peuvent déjà être dramatiques). La dérision numérique est décuplée et invite à davantage de retenue et de compassion. D’ailleurs, une réaction moqueuse partagée par des milliers d’inconnus et relayée en boucle sur les réseaux, est-ce encore de la moquerie ?
"On ne rit point du ridicule des gens qu'on ne connaît point."
L’avènement des réseaux sociaux a dénaturé la définition même de la moquerie, en n’en gardant que le mauvais côté, et en l’aggravant. La moquerie consiste à tourner quelqu’un en ridicule. Mais la moquerie est supportable - si l’on est capable d’un peu d’autodérision - à condition qu’elle soit limitée dans le temps et provienne d’un auteur unique et connu. Or les réseaux outrepassent allègrement ces limites. Il ne s’agit donc plus de moquerie. Car lorsqu’elle dure, tout au long de la journée et même sur plusieurs jours, la moquerie devient harcèlement. Et lorsque son auteur s’avère être une foule immense de parfaits inconnus, cela devient de la méchanceté. "On ne rit point du ridicule des gens qu'on ne connaît point ; voilà pourquoi M. de Mazarin disait qu'il ne se moquait jamais que de ses parents et de ses amis", écrit Voltaire dans sa lettre à Madame du Deffand (19 février 1766). C’est ô combien vrai. Il faut être sûr de l’affection du moqueur pour ne pas prendre (trop) ombrage de ses railleries.
Préférer l’humilité et le silence à la moquerie
Si les réseaux exacerbent la moquerie, celle-ci existe depuis la nuit des temps. La moquerie est un fruit de l’orgueil, orgueil de se croire plus beau, plus fort, ou plus intelligent. Une tendance condamnée à plusieurs reprises dans la Bible. Le Livre des Proverbes oppose ainsi la moquerie à l’humilité : "Le Seigneur se moque des moqueurs, aux humbles il accorde sa grâce" (Pr 3, 34). Le chemin vers la sainteté réside davantage dans l’exercice de l’humilité plutôt que dans celui de la moquerie.
Une humilité qui s’accompagne de silence et de discernement. Le prophète Jérémie invite en ce sens à s’éloigner des moqueurs et à ne pas prendre part aux railleries : "Jamais je ne me suis assis dans le cercle des moqueurs pour m’y divertir ; sous le poids de ta main, je me suis assis à l’écart, parce que tu m’as rempli d’indignation" (Jr 15-17). Des pistes inspirantes, à l’heure où il est si facile de se moquer via les réseaux, en vue desquelles le psalmiste invite à prier : "Mets une garde à mes lèvres, Seigneur, veille au seuil de ma bouche" (Ps 140, 3).