En ce premier jour de l’Année Sainte, l’Église nous invite à contempler une nouvelle fois l’étable de Bethléem d’où a jaillit "un sillage de lumière, d’amour, de vérité" (Benoît XVI) qui a envahi les siècles jusqu’à aujourd’hui. Avec les bergers, hâtons-nous et découvrons "Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire" (Lc 2, 16). Cependant, dans l’étable, ce sont les bergers qui parlent. Ils racontent "tout ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant" (Lc 2, 17) tandis que Marie et Joseph gardent le silence. En tant que mère de Jésus, Marie aurait pourtant tant de choses à dire ! Le même paradoxe apparaît au jour de la Pentecôte : forts de l’Esprit saint, les apôtres annoncent à tous les merveilles de Dieu tandis que la mère de Jésus qui est là ne dit pas un mot. Elle aurait pourtant beaucoup de choses à dire puisqu’elle est la seule personne qui a accompagné Jésus de la crèche jusqu’à la croix.
Comment comprendre ce silence de Marie ?
L’évangéliste saint Luc lève le voile lorsqu’il précise : "Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur" (Lc 2, 19). C’est vrai que la Vierge aurait beaucoup de choses à révéler, une somme de détails qui ne sont pas dans les évangiles, de nombreux souvenirs inédits. Cependant, elle ne dit rien car elle se sait face à un mystère qui la dépasse infiniment, un mystère insondable qu’elle n’a pas fini de pénétrer et de découvrir. Elle ne peut s’approprier le mystère, l’enfermer dans sa propre expérience du moment, dans ses propres sentiments, dans sa subjectivité.
Au travers des événements, la Vierge priante saisit ce qui demeure, c’est-à-dire la grâce, le don de Dieu.
Pour elle, retenir ces événements et les méditer dans son cœur, ce n’est pas seulement se souvenir d’événements passés comme lorsque l’on regarde un album de photos. Ce n’est pas d’abord réfléchir pour retenir des leçons morales de son expérience. C’est accueillir le Mystère de l’Incarnation.
Dans sa mémoire spirituelle
Au travers des événements, la Vierge priante saisit ce qui demeure, c’est-à-dire la grâce, le don de Dieu. Dans cette mémoire spirituelle, l’Esprit saint lui révèle le vrai sens des événements, la présence de Dieu dans sa vie et dans le monde. Elle prend davantage conscience encore de la mission qu’elle a acceptée lorsqu’elle a répondu "Fiat" à l’ange du Seigneur au jour de l’Annonciation. Saint Amédée de Lausanne imagine ce que Dieu le Père dit au cœur de Marie : "Je t’ai choisie, toi, parmi toutes les créatures, je t’ai bénie entre toutes les femmes. Voici que je t’ai donné mon Fils en dépôt, je t’ai confié mon unique ! Ne crains pas d’allaiter celui que tu as engendré, d’élever celui que tu as mis au monde. Sache qu’il n’est pas seulement ton Dieu, mais encore ton Fils. C’est mon Fils et c’est ton Fils, mon Fils par la divinité, ton fils par l’humanité qu’il a assumée." Dans le silence, sa foi grandit et s’affermit. Prolongeant sa méditation, l’Église proclamera comme une vérité de foi que Marie de Nazareth est "Mère de Dieu" (Théotokos) lors du concile d’Ephèse en 431. C’est l’origine de la fête de ce jour qui conclut l’octave de la Nativité du Seigneur.
La mission de l’Église
À la suite de la Vierge Marie, l’Église depuis 2.000 ans conserve ces mêmes événements et les médite. Ce n’est pas un simple souvenir, ni le seul témoignage d’une expérience. La mission de l’Église est de garder cet événement central de l’histoire du monde qui est la venue du Verbe dans la chair. "Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous !" (Jn 1, 14). Si nous cessons de retenir cet événement, si nous en perdons la mémoire spirituelle, nous risquons d’être emportés par le flot des actualités du monde, par le tourbillon des informations, par les vagues d’images qui inondent nos écrans et nos mémoires jusqu’à saturation. Ballotés ainsi, nous risquerions de courir en vain derrière la dernière mode ou la dernière idéologie.
Comme chrétiens, nous vivons au rythme de la vie du Christ dont nous célébrons les mystères pendant toute l’année. Ainsi, nous entrons dans l’intimité de celui qui nous appelle, nous pardonne et nous relève. Dans le silence du recueillement, grandit la foi et l’espérance en Jésus, Seul Sauveur des hommes.
Le mémorial des événements du salut
La messe est le moment par excellence où l’Église se rassemble pour célébrer le mémorial des événements du salut. C’est le même Christ qui se rend présent à chaque eucharistie accomplissant sa promesse : "Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde" (Mt 28, 20). Déjà, l’Église vit de l’éternité. Autour de l’autel, elle est unie à la Jérusalem nouvelle qui chante la gloire de Dieu.
À l’aube de l’Année Sainte, confions-nous avec ces mots du pape François à la Vierge Marie qui retenait ces événements et les méditait dans son cœur :
Mère du silence, qui garde le Mystère de Dieu, libère-nous de l'idolâtrie du présent à laquelle se condamne celui qui oublie.
Purifie les yeux des pasteurs avec le collyre de la mémoire et nous retournerons à la fraîcheur des origines, pour une Église priante et pénitente
Lectures de la solennité de Marie, Mère de Dieu