Plus de 240 millions d’électeurs américains seront appelés aux urnes le 5 novembre prochain pour élire de grands électeurs qui éliront eux-mêmes un candidat. Les derniers sondages placent Kamala Harris et Donald Trump au coude-à-coude avec une légère avance pour la candidate démocrate. Mais qu’en est-il des intentions de vote des catholiques qui représentent plus de 21% de la population des Etats-Unis ? Blandine Chelini-Pont, spécialiste en histoire du catholicisme américain et co-auteur de Géopolitique des religions (Ed. du Cavalier Bleu, 2019), décrypte les contours du vote catholique à l’approche de l’élection présidentielle. Si l’électorat catholique penche plutôt en faveur de l’ex-président des Etats-Unis selon les chiffres parus récemment, elle explique pourquoi rien n’est encore scellé.
Aleteia : Qui sont les catholiques américains ?
Blandine Chélini-Pont : C’est une communauté à la composition plurielle qui représente un petit peu plus de 21% de la population américaine. Leurs origines sont diverses : Europe (majoritairement), Amérique latine, Afrique, Asie, Océanie, Caraïbes. On les retrouve également dans tous les milieux sociaux : classes supérieures, moyennes, ouvrières, immigrés de première et de deuxième génération…
A quoi pourrait ressembler le vote des catholiques américains le 5 novembre prochain ?
La variable catholique peut créer des surprises. Nous avons constaté à plusieurs reprises un écart entre les projections des sondages et ce qui est finalement sorti des urnes. D’après le dernier sondage du Pew Reaserch Center, les intentions de vote des électeurs catholiques iraient à 52% pour Donald Trump et à 47% en faveur de Kamala Harris. On observe une droitisation (NDLR : une tendance qui suit l’évolution globale de la politique américaine) de l’électorat catholique plus manifeste que lors des élections de 2020 et 2016. Le vote des catholiques n’est plus, comme jusque dans les années 1960-1970, majoritairement démocrate. Ce glissement vers la droite de l’échiquier politique se confirme bien qu’il reste loin d’être aussi marqué que dans l’électorat évangélique.
Quelle est la physionomie de l’Église catholique américaine ?
L’Église catholique américaine a longtemps été très structurée, avançant comme un seul homme. Après Vatican II, des factions théologiques, culturelles et politiques sont apparues. Au début des années 1980, le positionnement de l’épiscopat américain était plutôt progressiste et social. Les évêques américains avaient à cette époque publié un texte mémorable contre l’arme atomique que Ronald Reagan tenta d’empêcher. L’épiscopat américain a changé de sensibilité au début des années 2000. Les tensions se sont exacerbées dans les années 2010 avec l’arrivée du pape François qui a procédé à des nominations épiscopales différentes de celles de son prédécesseur. On peut dire qu’il y a aujourd’hui un mini schisme et que les catholiques conservateurs exercent une influence de plus en plus forte.
Le vote des marges pourrait faire basculer la majorité catholique en faveur d’un candidat ou de l’autre.
Ce léger avantage de Donald Trump auprès de l’électorat catholique pourrait-il tourner en faveur de Kamala Harris dans les deux prochains mois ?
C’est une possibilité. Le vote des marges pourrait faire basculer la majorité catholique en faveur d’un candidat ou de l’autre. Les catholiques hispaniques, par exemple, ont manifesté à 61% leur intention de voter pour Kamala Harris. J’ajouterais que la personnalité, le parcours et les origines de la candidate démocrate pourraient mobiliser les électeurs catholiques appartenant aux minorités ethniques. En ce qui concerne la politique extérieure, les catholiques américains ont dans l’ensemble une lecture plus proche de celle de la candidate démocrate. Sur la question du conflit israélo-palestinien, par exemple, ils se montrent plus nuancés que les évangéliques qui se rangent assez unanimement derrière Israël.
La thématique de l’avortement pourrait-elle être prépondérante dans le choix des électeurs catholiques ?
Ce n’est pas une certitude. Nous avons vu des États réputés conservateurs ou à majorité républicaine comme le Kansas ou l’Arkansas, exprimer leur refus d’interdire l’avortement. Donald Trump a signifié pendant sa campagne que l’avortement n’était plus un sujet politique. (NDLR : la Cour Supreme des Etats-Unis a mis fin à la protection constitutionnelle de l’avortement par un arret du 24 juin 2022). La lutte contre l’avortement a constitué le ciment de la droite chrétienne américaine dans les années 1970 mais on assiste à un certain essoufflement de cette cause au sein du parti républicain.
La présence de J.D. Vance, évangélique converti au catholicisme, en tant que colistier de Donald Trump peut-elle avoir une incidence sur le vote des catholiques ?
Cela fait plusieurs années que l’on voit des hommes politiques républicains se convertir au catholicisme. Avant J.D. Vance, Newt Gingrich, figure du parti républicain dans les années 1990, a été l’un de ceux-là. Vance défend la doctrine post-libérale (NDLR : idéologie favorable à une limitation du libéralisme aux valeurs religieuses), la plus répandue parmi les catholiques conservateurs. Il est en quelque sorte la caution catholique de Donald Trump. Pourtant, les sondages indiquent que Tim Walz, le colistier de Kamala Harris, est perçu plus favorablement que Vance par l’électorat religieux, y compris catholique. Walz a su faire valoir son bilan de gouverneur du Minnesota, son action pour l’école publique et sa position sur l’avortement, laissant chacun à sa conscience morale sur la question. J.D. Vance a plutôt tendance à renforcer la polarisation dans l’électorat catholique.
Le pape François a déclaré que les deux candidats étaient « contre la vie » et invité les Américains à voter pour « le moindre mal ». Comment les catholiques américains peuvent-ils interpréter ce message ?
Je pense que c’est une incitation à voter en conscience et un rappel que le candidat parfait n’existe pas. Ce commentaire du Pape a le mérite de dépolariser le débat dans une Amérique où catholiques républicains et démocrates s’opposent de manière virulente. Les premiers accusent les seconds de détruire le pays et militent pour changer le système politique. Il me semble que le pape François invite les catholiques américains à se recentrer sur les problématiques de pauvreté, d’éducation, de santé, et leur demande notamment d’investir l’écologie comme un vrai sujet politique.