Quarante-et-un mille Français participent aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Lisbonne, le plus grand rassemblement catholique du monde. L’AFP nous dit que le pape François "devrait aborder des thèmes chers à cette génération, tels que le réchauffement climatique, l'usage des réseaux sociaux, et aussi la délicate question des violences sexuelles sur mineurs au sein d'une Église catholique secouée par ces scandales, en perte de vitesse et qui s'interroge sur son avenir". Pourquoi pas ? On aurait pu tout aussi bien écrire que deux mille ans plus tard, cette institution a une belle ombre portée, qu’elle se paie le luxe de s’interroger encore sur son avenir, quand d’autres religions séculières, nées dans la révolte, gisent déjà au cimetière des illusions perdues, au milieu des fosses communes que leur folie inonda du sang des peuples.
Croire que tout est possible
Aux jeunes il faut parler de la jeunesse. Car le concept est plus tortueux qu’il n’y paraît. Quand est-on jeune et cesse-t-on de l’être ? Trouver une limite d’âge est impossible et même insignifiant. Une gymnaste n'est-elle pas vieille à 20 ans, un mathématicien à 30 ans ? On ne peut réduire la jeunesse ni à l’enfance ni à l’adolescence, l’âge adulte y prenant toute sa part. Ce concept tient moins de la chronologie que de la croyance. Être jeune, c’est croire que tout est possible. Sans espérance, la jeunesse se meurt. Voilà pourquoi les vieux sont si nombreux aujourd'hui, repliés sur le seul souci d'eux-mêmes. Ce dont il faut parler aux jeunes, c’est de ce qui nourrit leur espérance, les porte vers autrui, et non de ce qui l’inhibe et la bousille, les rétrécit en eux. "On est foutus" est une parole cacochyme, qu’il s’agisse du grand réchauffement ou du grand remplacement.
La tâche de l’Église est de fournir, tel un basic fit, un attirail sain et saint pour que l’âme se muscle et garde la forme éternelle.
Croire que tout est possible, c’est y croire pour la vie, pour sa vie. Espérance rime avec persévérance : ce sont les deux piliers de l’engagement, sujet numéro un que le Pape devrait aborder aux JMJ. À quoi, à qui vais-je consacrer ma vie, c’est-à-dire mon temps disponible et dont je ne connais point ma quote-part puisqu’on meurt à tous les âges et dans toutes les circonstances ? L’engagement suppose le discernement : comment mon âme, telle une chrysalide, peut-elle demeurer fraîche et pure dans un monde qui, telle une plante carnivore, veut l’engluer pour la dévorer, c’est-à-dire la contaminer par le mensonge et la compromission ?
Quand on cite la jeunesse éternelle de l’Église, c’est de ça qu’il s’agit : le monde, ce chaos dans lequel on est tous précipités malgré nous, veut que nous lui appartenions, que nous vieillissions avec lui, dans la couveuse de ses vices, dans le confort de ses écrans, dans la chaleur de ses divertissements, dans l’ivresse de son argent, dans la recherche de sa sécurité. Être jeune, c’est dire non à cette allégeance-là, prendre le large — le risque de l’affronter, et refuser de se soumettre. La tâche de l’Église est de fournir, tel un basic fit, un attirail sain et saint pour que l’âme se muscle et garde la forme éternelle. La vie de foi, les sacrements, les œuvres de piété, les pèlerinages, les JMJ servent à ça, à faire dépendre sa vie d’une réalité invisible, d’une terre promise — que le monde sera toujours incapable d’offrir mais toujours prompt à pervertir.
Ce qui ne passe pas
Postulons que la jeunesse, c’est ce qui ne passe pas. C’est contre-intuitif puisqu’on en fait l’âge éphémère par excellence, qui se fane dans le miroir dont les rides préfigurent le naufrage des ans. Disons l’inverse : le temps m’entraînant toujours vers l’avenir, "je ne recule pas vers ce qui fut, je monte vers ce qui demeure" (Gustave Thibon), ce qui triomphe du temps et de ses maléfices. À Menton, ville de vieux où j’écris ces lignes, je puise mon inspiration dans la basilique Saint-Michel-Archange dont la statue, sur la façade et sous le dais, foule au pied le démon. Sa cuirasse puissante et virile contraste avec les légions de tongs et les nuées de crop-tops, qui font du combat angélique quelque chose de lunaire, d’illisible, comme si ce personnage sortait d’un théâtre de l’absurde où l’effort sur soi avait encore un sens.
La vieillesse du jeunisme
C’est là que la jeunesse croise le fer avec son exact opposé, sa déviance commerciale — qui submerge tout. Avant le Club Med et Salut les copains, cet âge idyllique n’existait pas. "Le bonheur est une idée neuve en Europe", disait Saint-Just, guillotiné à 26 ans. La jeunesse aussi. C’est une idée neuve qui vieillit mal. Les chambardements des années soixante firent de la jeunesse une arme de destruction massive contre l’ancien monde, ses traditions et institutions forcément désuètes : église, école, armée, famille et tutti quanti.
"We don’t need no education", chantait Roger Waters. "Sexe, drogue et rock’n’roll" furent la trinité de ce concept commercial de la jeunesse. Ou plutôt du jeunisme. Obsédés par la peur de vieillir, les adultes cessèrent de dire aux jeunes ce qu’ils devaient et pouvaient vouloir. Le jeunisme est le stade supérieur de l’égoïsme. Combien d’âmes frêles, sans boussole ni racines, tâtonnent à l’infini dans le grand bazar des militances bidons et des idéologies bullshits, se cherchant un idéal auquel se sacrifier, parce qu’elles n’ont reçu aucun exemple à imiter ? On en revient à l’engagement. Si seulement les adultes avaient tenu leur rang et parlé avec sagesse. Le Pape, j’en suis convaincu, saura le faire.