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Pourquoi la foi n’est pas une assurance tous risques

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Jean Duchesne - publié le 23/02/21
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S’approprier ce que l’on croit est un risque. Il faut rendre à Dieu ce qu’il donne afin de l’offrir avec Lui et ainsi d’y avoir part.Les croyants s’entendent parfois dire qu’ils ont bien de la chance par des gens qui supposent apparemment que la foi procure des solutions à tous les problèmes et des réponses à toutes les questions ; elle donnerait ainsi un certain confort ou du moins une sérénité enviable, au prix somme toute modeste de quelques aveuglements et sauts dans l’irrationnel. C’est évidemment une incompréhension, et il n’est peut-être pas inutile d’essayer d’expliquer pourquoi.

La foi comme réponse

La foi donne certes une confiance qui n’est pas en soi, mais en Dieu. Elle offre aussi une vision de ce qu’est l’homme, de sa dignité et de sa vocation. Dans une perception du dehors, en découle une morale qu’il n’y a plus qu’à suivre. Croire permet en outre de relativiser les épreuves et même les malheurs, en les situant dans la perspective qu’ouvre l’espérance. Cette dernière est sans doute ce qui est le plus difficile à partager de l’extérieur, où l’on se défend de toute naïveté face à des promesses trop mirifiques pour être crédibles, et qui semblent d’ailleurs ne rien garantir qui soit irrésistiblement désirable : qui est impatient de goûter pour l’éternité le bonheur de chanter la gloire du Créateur ? L’incrédulité indulgente, voire nostalgique, se dit simplement que la religion est une manière pas forcément plus mauvaise que d’autres d’affronter l’existence sur cette Terre.

La foi ne se résume pas à l’adhésion à une doctrine d’où sont tirés des principes de comportement. 

De l’intérieur, le point de vue est radicalement différent. La foi ne se résume pas à l’adhésion à une doctrine d’où sont tirés des principes de comportement. Car elle est d’abord réponse à l’appel d’une offre : celle de Dieu qui veut donner part à sa liberté, laquelle consiste à se donner sans craindre de se perdre. Ce n’est pas le dieu des philosophes, l’Être suprême, celui que Marx, Nietzsche et Freud ont voulu tuer en vain, puisqu’il n’existe que dans des spéculations tout humaines. C’est un Dieu a priori inimaginable, qui n’est connu que parce qu’il prend l’initiative de se révéler comme Père de tout et de tous en envoyant son Fils, assisté de l’Esprit qui les unit, partager la condition des hommes afin que ceux-ci lui soient littéralement incorporés pour peu qu’ils se laissent animer par ce même Esprit.

La liberté qu’on ne garde qu’en ne se l’appropriant pas

Il s’ensuit que la foi est bien plus qu’une option sélectionnée parmi d’autres disponibles, mais une libération. Comme n’importe quelle autre capacité de choix, elle ne rend pas infaillible comme par magie. Ce n’est pas la possession soudaine d’un pouvoir absolu, concédé par quelque puissance supérieure qui ensuite soit s’en désintéresserait, soit en garderait le contrôle et pourrait en priver à sa fantaisie. Car il s’agit non pas de prendre de l’autonomie en s’affranchissant le plus possible des contraintes charnelles, mais de se laisser entraîner dans le mouvement de la vie même de Dieu, où le Père, le Fils et l’Esprit se donnent réciproquement et totalement. C’est donc une liberté non pas à prendre, mais à rendre immédiatement, sans rien garder pour soi, afin de faire sien et de proposer autour de soi le désintéressement avec lequel elle est offerte sans crainte de se perdre.



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C’est la logique déconcertante mais rigoureuse de l’Amour, qui est Vie plus forte que la mort, ne se réduit ni à la convoitise, ni à la passivité, et n’enferme pas dans un face-à-face à huis clos. Le risque le plus sérieux couru par qui reçoit le don de la foi est dès lors la tentation de se l’approprier, et non l’incompréhension de ceux qui l’ignorent ou en doutent. La pente naturelle est en effet d’accaparer pour en jouir la chose ou la personne que l’on aime, ou bien de se croire tout permis vis-à-vis de celui ou celle dont on découvre qu’on est aimé.

Croire, c’est prendre des risques

L’histoire et l’actualité permettent de percevoir l’ampleur du défi qu’ont à relever les disciples du Christ. On voit bien que les hérésies du passé ont consisté à s’emparer d’une vérité de foi ou d’une autre, et à édifier sur cette base un système excluant ce qu’il ne peut intégrer, même si c’est essentiel. C’est ainsi que l’arianisme a reposé sur une si haute idée de Dieu que son Fils fait homme était déclaré ne pouvoir être son égal. À l’opposé, le docétisme a soutenu que Jésus était tellement Dieu qu’il n’avait pris qu’une apparence humaine. Sur un plan plus pratique, le pélagianisme a avancé que l’homme pouvait par ses propres moyens faire la volonté de Dieu, tandis qu’à l’inverse jansénisme et quiétisme ont maintenu, chacun à sa manière, que les efforts humains étaient vains ou superflus.

Mais tout baptisé est constamment en danger de s’imaginer qu’il a tout compris ou du moins qu’il en sait assez pour se sentir sécurisé.

La foi est sans cesse menacée de simplifications hâtives. Les intolérances flagrantes et les clercs abusant de leur position sociale ne sont que la pointe, visible de loin par un myope, de la fraction émergée d’un iceberg. Car plus on reçoit de Dieu pour le partager et plus on risque d’en mésuser. Mais tout baptisé est constamment en danger de s’imaginer qu’il a tout compris ou du moins qu’il en sait assez pour se sentir sécurisé. Or il n’est pas indifférent, aussi bien pour soi que pour la fidélité du témoignage qu’on l’on porte (volontairement ou non), de sous-estimer soit l’humanité, soit la divinité de Jésus, ou bien (et c’est lié, puisqu’il s’agit de l’imiter) de se focaliser sur la liberté et la responsabilité de l’homme, ou inversement sur le besoin qu’a celui-ci de la grâce — l’aide divine qu’aucune vertu ne peut à elle seule mériter.

Confiants mais pas peinards

Il y a dans tout cela non pas un équilibre à trouver ni une synthèse à faire, mais des paradoxes à affronter. Et les raisons de ne pas paniquer tout en restant vigilant sont multiples. La première est que ce n’est pas l’homme qui va vers Dieu, mais Dieu qui vient vers lui le premier et le précède toujours dans sa quête. C’est en quoi toute attente de Dieu est déjà un appel et un don de sa part. Il s’ensuit que la prière, c’est-à-dire la relation directe, explicite et personnelle avec Dieu, même si elle est collective dans la liturgie, est tout simplement vitale. Tout chrétien qui se vanterait d’être imperméable aux contestations doit se souvenir que Jésus lui-même a été tenté et ne s’est pas dispensé de prier. Et il ne s’agit pas seulement de demander le secours de grâces en se déclarant prêt à y coopérer, ni même de rester à l’écoute, mais de prendre déjà pour ainsi dire goût au bonheur promis sans lequel l’espérance est vide.


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La deuxième série de raisons pour lesquelles le chrétien, tout en demeurant confiant et même joyeux, ne doit pas se sentir peinard repose sur l’expérience qu’on n’est jamais autosuffisant dans sa foi. L’enseignement de l’Église, confié par le Christ à ses apôtres avec Pierre à leur tête et à leurs successeurs, rappelle tout ce qu’on est appelé à croire sans pouvoir le reconstituer tout seul en n’oubliant rien. Il y a de surcroît le concret des sacrements, et régulièrement ceux de l’Eucharistie et de la miséricorde, qui donnent de vérifier que la foi n’est pas qu’intellectuelle, mais existentielle, nécessairement transmise et restaurée par ceux qui en reçoivent la mission aussi exaltante que redoutable.

Le troisième degré de la foi

Il y a finalement trois degrés dans la foi. L’adhésion qui refoule les questions et les doutes est d’abord une grâce et n’est donc pas méprisable. La conscience inquiète de l’inadéquation de la réponse à l’offre commande ensuite le respect dû à l’humilité. Mais parier que « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 27 et 18, 27) est la meilleure mesure de la distance jusqu’à Lui.



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