Journaliste centrafricain, Gérard Ouambou s’est rendu à Bangassou, dans le sud-est du pays, fin décembre pour s’entretenir avec des prêtres et des religieuses qui s’occupent des victimes de la terreur et de la violence et qui œuvrent inlassablement à la paix. Il décrypte la situation.“Une fois de plus, le peuple centrafricain est confronté à une situation de paralysie imposée par des groupes armés coalisés et leurs alliés politiques avec l’appui multiforme de leurs parrains et marraines”, ont dénoncé mi-janvier les évêques centrafricains dans un message diffusé à l’issue de leur assemblée plénière. Des mots qui reflètent l’extrême fragilité de la situation sécuritaire du pays affaibli par les groupes armés. Assiégée par des rebelles début janvier, la ville de Bangassou, dans le sud du pays, a été particulièrement éprouvée. Sur place, des prêtres et des religieuses s’occupent des nombreuses victimes, des laissés-pour-compte de ces attaques sans fin. Journaliste de Bangui, la capitale du pays, Gérard Ouambou est allé à leur rencontre et témoigne de l’action de ces humbles anges gardiens dans un contexte extrêmement difficile.
Vous étiez à Bangassou pendant la période de Noël. Quelle était alors la situation ?
Gérard Ouambou : Dès mon arrivée à l’aéroport de Bangassou, j’ai vu de nombreux employés d’ONG humanitaires qui partaient, sous prétexte de rentrer chez eux pour les vacances. Des rumeurs circulaient déjà localement sur une possible attaque de la ville de Bangassou. Ayant déjà travaillé là-bas dans le passé pendant la crise [de 2013] avec le cardinal Nzapalainga, je me suis servi de mon carnet d’adresses pour contacter des anciens combattants qui étaient toujours là et me faire une idée de la situation.
Comment le reste de la population a-t-elle réagi ?
Deux jours après mon arrivée, le jour de Noël, après la messe, une partie de la population a commencé à fuir vers la République Démocratique du Congo dans une ville appelée Ndou, proche de Bangassou. D’autres se sont réfugiés dans la base de la Minusca (Mission Intégrée des Nations Unies pour la Stabilité en Centrafrique) située à quelques kilomètres de la ville et d’autres encore ont choisi la brousse pour se mettre à l’abri de l’attaque imminente. Dans le même temps, les commerçants du marché central ont fermé leurs boutiques et ont mis leurs marchandises en sécurité. Les vols aériens ont été suspendus.
Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné ?
Lorsque je suis arrivé à la base de la MINUSCA, j’ai été stupéfait de trouver toutes les autorités politiques et administratives de la ville, retranchées là avec les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et les Forces Armées Centrafricaines (FACA) qui sont censées protéger la population.
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Malgré les avertissements lancés par Bangui, les plus hautes autorités ont fait la sourde oreille. Finalement, quelques jours après mon départ de Bangassou, les rebelles ont pris la ville. Dix jours plus tard, des soldats rwandais sont arrivés et les combats ont repris.
Quelle est la situation générale du pays ?
En ce moment, la situation reste tendue. Les rebelles qui composent ce qu’on appelle la “guérilla” sont présents dans presque toute la RCA (République Centrafricaine), y compris dans la capitale, Bangui. Il y a quelques jours, ils ont également encerclé la ville de Bangui et il y avait des combats. J’y vis avec toute ma famille. Les agents des services de renseignements sont partout dans les quartiers, avec pour conséquence de nombreux enlèvements et règlements de comptes des partisans de l’ancien président François Bozizé et de son parti politique KNK (‘Kwa Na Kwa’, qui signifie ‘Travail, rien que le travail’). En bref, la situation en RCA est préoccupante. Nous courons le risque d’un coup d’État si rien n’est fait. Il serait important d’entamer un dialogue, mais le gouvernement ne veut pas l’entendre.
Certains médias écrivent que les deux-tiers du pays sont entre les mains des rebelles. Est-ce exact ?
Je ne sais pas sur quelle base ils ont fait ce calcul. Actuellement, je dirais que 95% de la RCA est entre leurs mains.
Il semblait qu’après presque sept ans de violence (2013-2019), le calme était revenu en RCA. Était-ce vrai ?
La vie avait repris son cours normal à Bangui, mais pas dans toute la République centrafricaine. A l’intérieur du pays, le martyre a continué avec des groupes armés continuant de racketter la population et des barrages routiers illégaux installés dans certaines villes. Mais oui, en 2020, un semblant de calme était revenu dans le pays.
Y a-t-il une dimension religieuse au conflit ? Ou s’agit-il simplement d’une question de richesse et de pouvoir ?
Le conflit centrafricain n’est nullement religieux. D’une part, c’est une question de richesse : les zones occupées par les groupes armés sont riches en diamants, en or, etc. D’autre part, il s’agit d’une question de soif de pouvoir, comme dans le cas présent : François Bozizé, qui a gouverné le pays de 2003 à 2013, a voulu se représenter aux élections présidentielles du 27 décembre. Comme la Cour constitutionnelle, qui est l’organe suprême, a rejeté sa candidature, il a préféré rejoindre ceux qui l’ont chassé du siège présidentiel en 2013 par un coup d’État. Avec ces derniers et avec l’appui de certains mercenaires étrangers, il a formé une nouvelle rébellion – la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) – pour renverser le pouvoir à Bangui.
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Selon moi, il y a une autre raison : la présence de “militaires” Russes en RCA dérange la France. Pour la France, la RCA est sa réserve de ressources minérales. Pour protéger ces intérêts, elle a décidé de déstabiliser le pouvoir du président Touadera par la force. Alors sur le plan géopolitique, les enfants du pays ne sont que des pions dans une partie d’échecs.
Mais beaucoup pensent que derrière ces groupes rebelles venus de l’étranger et qui sont des mercenaires, il y a des mouvements extrémistes islamiques qui ont besoin de ces ressources et de ce pouvoir pour poursuivre leur croissance expansive. Qu’en pensez-vous?
La République centrafricaine est un pays situé au cœur du continent africain, avec une superficie de 628.000 km2 et une population d’environ cinq millions d’habitants, pour la plupart analphabètes et jeunes. Le pays possède un riche sous-sol qui n’est pas encore exploité, seule l’exploitation minière artisanale a eu lieu, et c’est ce potentiel de richesses qui attire le monde à envahir ce pays. C’est le cas des Soulami (Peulhs), peuple plus riche et brutal du Niger avec une population d’environ quinze millions d’habitants. En quête de pâturages pour leur bétail, ils sont arrivés en République Centrafricaine via le Tchad et trouvant l’endroit idéal pour l’élevage, ils ont cherché à s’y installer. Pour atteindre leur objectif, ils doivent s’imposer par la force et la rébellion.
Les groupes rebelles sont-ils ouverts à toutes les religions ? Les chrétiens et les animistes peuvent-ils vivre leur foi et leurs convictions ?
Pour l’instant, oui, les groupes rebelles sont ouverts à toutes les religions, mais c’est seulement pour atteindre leur objectif : contrôler le pouvoir à Bangui. Une fois cet objectif atteint, ils se sépareront comme ils l’ont fait dans le passé. Les Selekas étaient initialement composées de chrétiens et de musulmans, mais une fois au pouvoir, les Selekas musulmans ont tenu les Selekas chrétiens à l’écart, soit en les tuant clandestinement, soit en nommant des musulmans à des postes de responsabilité plus importants que les chrétiens. C’est une question de pouvoir et cette cohabitation n’est que temporaire. Elle n’a pas d’avenir.
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Quel est le travail de l’Église et quel rôle joue-t-elle dans tous ces conflits que le pays traverse actuellement ?
L’Église a beaucoup fait et continue à jouer son rôle de prophète et de médiateur. Avec sa position dans la Plateforme des Confessions Religieuses de Centrafrique (PCRC), elle a fait beaucoup pour le retour et la consolidation de la paix en RCA. Les évêques catholiques de la République centrafricaine viennent de tenir leur assemblée plénière annuelle du 11 au 17 janvier 2021. A l’issue de cette réunion, dans un communiqué sur la situation actuelle, ils ont fait état de la division croissante de la classe politique qui a laissé le pays à la merci des pillards et des mercenaires de toutes sortes. Les évêques ont souligné que “la guerre qui nous a été imposée vise à saper les aspirations profondes du peuple centrafricain. Nous sommes fatigués et déçus par les calculs politiques, les conflits et les divisions”.