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Le sommet des deux Slaves qui a changé le destin de l’Europe

JOHN PAUL II MEET GORBATCHEV

Le pape Jean Paul II (à droite) accueille le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev (à gauche) sous le regard de Monseigneur Manuzzi, le 1er décembre 1989 à Rome, lors d'une réunion historique au Vatican.

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Bernard Lecomte - publié le 29/11/19 - mis à jour le 31/08/22
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Le 1er décembre 1989, un pèlerin pas comme les autres rendait visite au pape Jean Paul II, à Rome. Un demi-milliard de téléspectateurs assistaient en direct à l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev, décédé ce 30 août 2022, dans la cour Saint-Damase et à son entrée dans la « bibliothèque privée » du chef de l’Église catholique. Mais que venait faire le principal représentant du mouvement communiste international au palais apostolique, trois semaines après la chute du Mur de Berlin ?

Le 1er décembre 1989, il y a tout juste trente ans, le plus impatient des deux est sans doute le pontife romain. C’est de lui, du reste, qu’est venue l’idée d’un tel sommet. En juin 1988, alors que Gorbatchev avait signifié la fin des persécutions religieuses en URSS à l’occasion du millénaire du baptême de la Russie, le secrétaire d’État, Agostino Casaroli, invité à cette commémoration, avait été reçu personnellement par le maître du Kremlin auquel il avait transmis une invitation manuscrite du Saint-Père. Qui imaginait possible, alors, une visite du chef du PC de l’URSS à Saint-Pierre de Rome ? Et, plus encore, qui pouvait imaginer que le Mur de Berlin s’effondrerait quelques jours avant la réalisation de ce projet ?

Mais l’Histoire, déjà, s’était emballée. Successeur de trois vieillards (Brejnev, Andropov, Tchernenko) incarnant l’incapacité de l’URSS à s’adapter au monde moderne, le sémillant Mikhaïl Gorbatchev avait commencé à desserrer l’étau qui emprisonnait les peuples est-européens en assurant qu’il n’enverrait plus jamais les chars soviétiques les réprimer comme à Berlin-Est (1953), Budapest (1956) ou Prague (1968). Pour le pape polonais, qui s’était employé à redonner confiance à toutes ces populations par son célèbre « N’ayez pas peur ! », par son soutien ostensible au syndicat Solidarnosc et par ses trois visites triomphales en Pologne (1979, 1983, 1987), la « nouvelle pensée » de Gorbatchev est une bénédiction qui vient confirmer la conviction qu’il répète à l’envie : le communisme n’est qu’une parenthèse de l’Histoire !

«"Jean Paul II veut convaincre son visiteur de décréter la liberté religieuse, si longtemps mise à mal en URSS. Est-ce trahir la pensée du pape que de lui prêter, en plus, le fol espoir d’être invité à visiter, enfin, l’URSS ?"»

En ce 1er décembre 1989, chacun des deux dirigeants poursuit un but précis. Gorbatchev, en venant au Vatican, espère y trouver un encouragement solennel pour la perestroïka, cette politique prudemment libérale qu’il tente d’imposer depuis trois ans, non sans risques, à son propre pays et à l’ensemble du bloc socialiste. Jean Paul II, de son côté, veut convaincre son visiteur de décréter la liberté religieuse, si longtemps mise à mal en URSS, vis-à-vis de tous les chrétiens, bien sûr, mais particulièrement des quelques millions de catholiques de rite byzantin qui, en Ukraine occidentale, souffrent le martyre depuis quatre décennies. Est-ce trahir la pensée du pape que de lui prêter, en plus, le fol espoir d’être invité à visiter, enfin, l’URSS ?

Quand ils achèvent leur tête-à-tête de quatre-vingt minutes, les deux hommes sont souriants. "Un événement vraiment extraordinaire vient de se produire", dit Gorbatchev, visiblement ému. Sur la perestroïka, il a ce qu’il voulait. Le souverain pontife soutient clairement sa politique et, sur le plan diplomatique, se dit prêt à favoriser un sommet des pays de l’est et de l’ouest, sur le modèle de la conférence d’Helsinki en 1975, pour établir les bases d’une Europe réunifiée mais neutre, sans la domination américaine que l’on redoute tant dans les couloirs du Kremlin.

Jean Paul II, lui aussi, est satisfait. Gorbatchev, après lui avoir assuré qu’il adopterait rapidement une législation nouvelle sur la liberté de conscience, l’a même invité, impromptu, à visiter l’URSS ! Même si la clef d’un tel projet est détenue par le Patriarcat de Moscou qui n’y est pas favorable, c’est l’intention qui compte. L’important est d’avoir jeté les bases d’une Europe qui respire "avec ses deux poumons", comme dit Jean Paul II, et qui soit une véritable "maison commune", comme le répète Gorbatchev. Les deux hommes se sont trouvé un point commun : ils ne veulent, à aucun prix, d’une Europe sous influence américaine, ni sur le plan culturel, ni sur le plan politique, ni sur le plan militaire.

Trente ans plus tard, il est facile de constater que cette espérance commune a été fortement contrariée par un consumérisme échevelé, par une mondialisation impitoyable, par l’avancée des régiments de l’OTAN vers l’Est et par l’apparition, ici ou là, de pouvoirs populistes sur la défensive. Il restera pourtant dans l’histoire le souvenir de ce moment exceptionnel, aboutissement d’un formidable processus qui, en une dizaine d’années, a changé la face du monde. Quelques semaines après son voyage à Rome, Gorbatchev déclarera dans un article célèbre : « Tout ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait pas été possible sans la présence de ce pape… ».

Le Pape qui a vaincu le communisme, Bernard Lecomte, Perrin-Tempus, septembre 2019, 10 euros.

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