Carême 2025
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"Je crois, et je parlerai" (Ps 115, 1) dit le psalmiste, repris par l’apôtre Paul aux Corinthiens (cf. 2 Co 4, 13 et sq.). Voilà résumé le projet du père Olivier-Thomas Venard dans le livre qu’il publie chez Grasset, Il nous reste la foi. Théologien et linguiste, il dirige pour l’École Biblique et Archéologique française (EBAF) le programme Bible en ses traditions (BEST), origine d’une riche bible en ligne. Habitant de Jérusalem depuis vingt-cinq ans, le dominicain fréquente juifs et arabes, chrétiens et musulmans. Ces rencontres nourrissent sa foi et sa parole, dans ce livre singulier, dans lequel il n’a pas peur de développer l’idée que les conflits qui entachent la Terre sainte viennent d’un "manque de religion". "Si l’on a vraiment avec Dieu une relation non idolâtrique, si on ne le réduit pas aux idées qu’on s’est faites de lui, il peut nous rassembler" avance-t-il. Mettre Dieu au centre permet même, selon lui, d’éviter d’"exercer des souverainetés qui oppriment les autres". Une raison d’espérer ? "N'est-il pas ‘plus fort que nous’, ce besoin, plutôt que de le détester a priori, d’aimer son prochain ?"
Aleteia : Pourquoi avoir voulu écrire "Il nous reste la foi" ?
Frère Olivier-Thomas Venard : Écrire ce livre n’a pas été mon initiative, je réponds à une demande de témoignage de la part de mon éditrice. Je souhaitais plutôt garder le silence mais deux choses m'ont décidé à oser écrire. D'abord le très beau titre qu'elle me proposait : oui, il nous reste la foi ! Ensuite, les derniers mots de mon père il y a un an et demi : alors que je lui disais lui envoyer plein d’amour depuis Jérusalem : "Oh gardes en la moitié pour là-bas il y a besoin d'amour à Jérusalem !".
À qui s'adresse votre ouvrage (vous utilisez pendant tout un chapitre le 'vous') ?
Il nous reste la foi est un message pour toute personne de bonne volonté désireuse de communier de l’intérieur aux souffrances et aux espérances des uns et des autres en Terre sainte. Pour mettre de l’huile dans les rouages et non sur le feu. En l’écrivant j’avais en mémoire les visages de nombreux amis et collègues, surtout israéliens et surtout juifs, avec qui j’ai eu bien des occasions de mener des recherches et d'enseigner au fil des ans… et avec qui les échanges se sont hélas raréfiés depuis la sidération dans laquelle les massacres du 7 octobre puis l’ultra-violence de la guerre ont plongé la société.
"En Israël et seulement là, le dialogue judéo-chrétien est inversé par rapport à celui qui est mené dans le reste du monde puisqu'ici ce sont les juifs qui exercent la souveraineté et les chrétiens qui se retrouvent en toute petite minorité."
Vous parlez assez peu du monde musulman et de l'Islam, pourquoi avoir voulu surtout parler du christianisme et du judaïsme ?
Le fait est que dans ma mission de chercheur et d’enseignant, bibliste et théologien à Jérusalem, c’est plutôt avec des interlocuteurs juifs que j’ai à faire. Du côté musulman, à Jérusalem, c’est la situation d’injustice structurelle dans laquelle se trouve la population palestinienne qui retient toute l’attention, plutôt que des études plus historiques ou théoriques, et c’est parfaitement compréhensible. C’est même un rappel pour ne pas oublier cette question posée par le contexte même de notre vie. L'amour pour la Terre sainte et ses habitants doit englober toutes ses facettes : de l’étude en commun entre chercheurs de vérité, jusqu'aux œuvres de charité entre chercheurs de justice.
Un prêtre catholique peut-il donner des leçons à un juif contemporain ?
Certainement pas donner des leçons ! Simplement, en Israël et seulement là, le dialogue judéo-chrétien est inversé par rapport à celui qui est mené dans le reste du monde puisqu'ici ce sont les juifs qui exercent la souveraineté et les chrétiens qui se retrouvent en toute petite minorité. Cela donne au théologien catholique un point de vue unique, l’occasion de mieux comprendre sans doute beaucoup de difficultés rencontrées dans les siècles passés et aujourd’hui encore par de nombreux juifs partout dans le monde où ils ont à vivre sous d'autres souverainetés… Occasion de réfléchir ensemble sur la manière dont nos traditions religieuses respectives, en particulier les Écritures saintes que nous partageons, peuvent nous aider dans un effort de justice et de paix pour tous, et pas seulement pour ceux qui pensent comme nous ou qui croient comme nous.
Certains antisionistes sont qualifiés d'antisémites, comment faire la distinction entre Israël comme État et comme peuple ? Peut-on vraiment la faire ?
Il faut tout faire pour éviter les généralisations et les assimilations douteuses. En Israël même, il y a diverses manières de vivre l'attachement à Sion, tout comme dans le christianisme d'ailleurs. On peut et, même, on doit distinguer (sans pour autant séparer totalement) ce qui relève de l’État d’Israël, ce qui relève du peuple d’Israël, c’est-à-dire du "mystère d'Israël" au sens chrétien du terme. Le peuple de l’État d’Israël n’est d’ailleurs pas composé seulement de juifs. Et il existe à l'inverse des juifs très religieux qui ne veulent rien avoir à faire avec l’État d’Israël. C’est très important de maintenir la distinction car, par exemple, les États n’ont guère de sentiments ni de morale, mais surtout des intérêts. Entretenir des relations diplomatiques d'État à État, fût-ce entre le Vatican et Israël, et étudier entre juifs et chrétiens pour apprendre à s'aimer, ce ne sont pas les mêmes activités.
"À échelle seulement humaine, les uns ont toutes les raisons de vouloir écraser les autres, et réciproquement."
Les analyses sur le conflit Israélo-arabe font-elles trop de place (ou pas assez) à Dieu ?
Je dirais qu’elles ne lui font presque aucune place. Quand elles parlent des religions, c’est en les réduisant à des systèmes de croyances, de rites et d’observance contrôlés, et le plus souvent en oubliant l’expérience même de la foi, de l’espérance et de la charité. C’est l’aspect le plus mondain, le plus séculier de la religion qui est pris en compte et non pas sa puissance d’inspiration. Et, de fait, tous les projets de paix qui ont été défendus en se voulant à un niveau purement humain ont été des échecs. À échelle seulement humaine, les uns ont toutes les raisons de vouloir écraser les autres, et réciproquement. Hélas ! L’impasse terrible de haine et de violence réciproque dans laquelle on se trouve aujourd'hui est la preuve éclatante de l’échec des logiques purement séculières pour apporter la paix.
Est-ce donc une guerre de religions ?
Pour une part oui : "deux extrémismes différents sont en train de défigurer le visage de la Terre sainte", disait saint Jean-Paul II dès décembre 2001. On peut les nommer aujourd'hui : le sionisme religieux, devenu l’idéologie de partis politiques suprémacistes qui exercent le pouvoir en Israël, et l'islamisme politique qui a gangrené toute la résistance palestinienne. Des deux côtés, la terre, la force, la vengeance travestie en justice règnent en idoles, au mépris du droit élémentaire des personnes.
Alors que voulez-vous dire quand vous pensez qu'il y a un "manque de religion" en Terre sainte ?
Je parle bien de la religion au singulier. C’est la vertu qui consiste à rendre à Dieu ce qui n’est dû qu'à Lui : l’adoration. Les religions organisées, dans ce qu’elles ont de meilleur, mettent en œuvre l'impératif de distinguer l'absolu et le relatif. Si l’on a vraiment avec Dieu une relation non idolâtrique, si l’on ne le réduit pas aux idées qu’on s’est faites de lui, il peut nous rassembler. Car lui seul est absolu ainsi que l’être humain créé à son image, et tout le reste est relatif et peut faire l'objet de compromis.
Pourquoi la foi en Dieu est-elle un début de solution ?
Parce que chacune des trois grandes traditions en présence reconnaît, au moins partiellement, quelque chose du véritable attachement à Dieu des deux autres. Admettre une source de l’autorité aussi transcendante qu’un Dieu créateur de tout et de tous, c’est se retrouver face à lui dans une humilité et une "docte ignorance" commune. "La terre est au Seigneur, le monde et tout ce qui l'habite" dit le psaume… Voilà qui relativise les prétentions à la posséder totalement, à exercer des souverainetés qui oppriment les autres, surtout en prétendant que cela soit au nom de Dieu. Nous sommes invités à la coexistence, au minimum, au partage si possible, et à tout le moins à tâcher de régler nos différends en organisant, la possibilité de coexister, fût-ce par voie administrative un peu froide, pour se donner tout le temps nécessaire à ce que les cœurs se rouvrent…
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