Campagne de Carême 2025
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C’est une église blanche, coiffée d’un beau toit rouge, dont le clocher s’élève fièrement vers le ciel. Elle se dresse au bord de la mer, intacte au milieu d’un paysage de cendre et de désolation. On la vit apparaître il y a quelques jours, après les incendies de Los Angeles. Les images de maisons et d'églises miraculeusement épargnées se répandirent rapidement sur les réseaux sociaux. Cette église rouge, en particulier, fut partagée par de nombreuses pages Facebook tenues par des prêtres, des pasteurs ou des fidèles émerveillés. Sous chaque publication, les réactions se multipliaient : des cœurs, des mains jointes, des mots de gratitude et d'émerveillement. En commentaires, les fidèles rendaient grâce à Dieu, témoignant de leur foi renouvelée face à ce qu'ils percevaient comme un signe du Ciel. Sans doute des centaines de personnes associèrent-elles cette image à leur prière. Sans doute cette vision contribua-t-elle à fortifier la foi de certains de nos frères et sœurs. Et cela, en soi, est un bien.

Des images trompeuses
Hélas, ces images sont fausses. Elles ont été générées par l’intelligence artificielle. Singulière époque, aux problématiques inédites : nous découvrons désormais des images acheiropoïètes — ces images "non faites de main d’homme" — mais ce n'est plus Dieu qui nous les offre, c’est la machine.
L’intelligence artificielle, on le sait, peut servir à produire des images trompeuses, capables d'induire le grand public en erreur. Le lundi 28 janvier, le dicastère pour la Doctrine de la foi et celui pour la Culture et l’éducation publiaient Antiqua et Nova, une note dédiée au rapport entre intelligence artificielle et intelligence humaine. Sa traduction française est désormais disponible. La question de la désinformation, des deepfakes et des abus y occupe cinq paragraphes. Le Saint-Siège y distingue clairement la capacité de produire des contenus fictifs de celle qui consiste à les utiliser intentionnellement à des fins de manipulation (n. 87). De tels usages peuvent évidemment nuire ou blesser une personne directement visée par la supercherie, mais, "plus généralement, en faussant "la relation avec les autres et avec la réalité", les produits audiovisuels contrefaits générés par l’IA peuvent progressivement saper les fondements de la société".
Un espoir fondé sur un mensonge
Une fausse image d’une église épargnée par les flammes pourrait-elle vraiment fausser notre relation aux autres et à la réalité ? Oui, on peut le craindre. Certes, prier devant cette image peut sembler porteur de bien : on rend grâce à Dieu, on s’émerveille de Sa miséricorde, on se réjouit de voir qu’Il protège les églises. Mais cette prière est-elle ajustée ? Dieu est-il le maître des incendies ? Est-Il derrière chaque mouvement du monde et chaque catastrophe naturelle ? Devrait-on Le voir tour à tour comme incendiaire et pompier ?
L’intelligence artificielle est d’abord un outil : un prolongement de l’esprit humain, capable du meilleur comme du pire.
Non. Les catastrophes naturelles sont des événements imprévisibles et accidentels. Et, comme toujours, face aux ruines du monde, l’homme se trouve devant un choix : céder au désespoir ou chercher des réponses au cœur de la foi. Cette image d’église épargnée semblait incarner une réponse, un signe d'espérance. Hélas, si cet espoir reposait sur cette image, il était fondé sur un mensonge.
D’abord un outil
Les révélations sur les abus ont déjà ébranlé l’Église et nous ont déstabilisés, mais nous savons combien la vérité, aussi douloureuse soit-elle, nous rapproche davantage de Dieu que le mensonge ne le fera jamais. Face à ces images qui surgissent, face à la possibilité bientôt offerte à chacun de concevoir lui-même les images qu’il imagine afin de disposer des meilleurs supports de dévotion, les historiens de l’art et les critiques d’art, mais plus largement toutes celles et ceux qui étudient la place de l’image au cœur de la foi, doivent engager une réflexion.
L’intelligence artificielle est d’abord un outil : un prolongement de l’esprit humain, capable du meilleur comme du pire. Le pape François nous le rappelle : "Depuis les premiers objets préhistoriques, utilisés comme prolongement des bras, en passant par les médias utilisés comme prolongement de la parole, nous en sommes arrivés aujourd’hui aux machines les plus sophistiquées qui agissent comme une aide à la pensée" (Message pour la 58e Journée mondiale des communications, 24 janvier 2024).
Dévotion sincère ou faux espoirs ?
Tout au long de l'histoire, les artistes se sont emparés des nouveaux outils pour enrichir leur création. De la camera obscura à la photographie, chaque avancée technologique a été perçue comme une "aide à la pensée ", un moyen d'approfondir la représentation du monde et du divin. Aujourd’hui, des comptes Instagram, comme celui de @sanctified_souls, utilisent l’IA pour partager chaque jour des images saisissantes de saints. Leur page se transforme en un véritable calendrier spirituel : des visages inspirés apparaissent sur nos écrans, baignés de couleurs vibrantes, avec une esthétique rappelant l’illustration contemporaine.

Ces exemples montrent que l’IA peut être mise au service du bien. Tout repose sur l'intention de celui qui en fait usage. Cherche-t-on à créer des supports de dévotion sincères, ou à diffuser des images destinées à nourrir de faux espoirs ? Là réside la différence entre un usage éthique et une manipulation.
Le "prompt " de soeur Faustine
Lorsque Jésus apparut à sœur Faustine et lui demanda de reproduire l’image de la Divine Miséricorde, elle comprit vite qu’elle n’avait pas les compétences techniques pour la réaliser elle-même. Elle fit donc appel à Eugeniusz Kazimirowski, peintre professionnel, par ailleurs franc-maçon et membre de la loge du Droit humain de Vilnius. Sainte Faustine lui dicta précisément ce qu’elle avait vu, corrigeant chaque détail pour que l'image finale soit conforme à sa vision.
Dans un sens, Faustine fut la première à produire une image par prompt — ce terme désigne aujourd’hui la description textuelle fournie à une intelligence artificielle pour générer une image. Comme un artiste qui suit les instructions d'un commanditaire, l’IA traduit les mots en formes, en couleurs, en atmosphères. Les prochains mystiques, gagnés par des visions, utiliseront-ils l’IA pour donner corps à leurs expériences ? Et si oui, cela altérera-t-il l’authenticité de leur témoignage ? Ou cela renforcera-t-il au contraire leur capacité à partager la beauté perçue ?
Illustrer la vérité
La frontière est mince entre l’outil au service de la foi et celui qui pourrait, par une dérive insidieuse, créer une réalité factice. L’important, sans doute, est de rester vigilants : utiliser l’IA non pour fabriquer des miracles, mais pour illustrer la vérité, aussi humble et exigeante soit-elle. Comme toujours, la technologie n'est qu'un miroir : elle reflète moins ses propres capacités que les intentions de celui qui la manie. Dans le domaine spirituel, cela implique une responsabilité accrue. Car si l’image peut élever l’âme, elle peut aussi la tromper. Face à ces nouveaux outils, il nous appartient de discerner : entre l’illusion et la vérité, entre l’émerveillement sincère et la croyance aveugle. C’est dans cette vigilance, humble et lucide, que la foi conserve sa force et sa lumière.

