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Faut-il retoucher les photographies des saints ?

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Pierre Téqui - publié le 06/02/25
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Documents, icônes ou œuvres d’art ? Les photographies des saints contemporains ont un statut incertain, décrypte l’historien d’art Pierre Téqui.

L’arrivée de la photographie nous a placés dans une situation inédite vis-à-vis de l’iconographie des saints. Pourquoi ? On le sait, le procès en canonisation commence après la mort, et la décision met plusieurs années à être proclamée. Avant la photographie, les images des saints étaient composées post-mortem et, bien souvent, elles furent produites après que la canonisation eut été prononcée par l’Église. L’artiste avait donc tendance à produire une image répondant à un ensemble de codifications, et ce, pour au moins deux raisons : premièrement, l’image doit asseoir la légitimité du personnage et donc le représenter comme sanctifié, c’est-à-dire avec des attributs de la sainteté (auréole, attitude, présence dans le ciel, etc.), ensuite, l’image doit incarner et représenter aux yeux des fidèles le visage d’une personne ayant vécu, mais dont, généralement, on ne disposait pas d’effigie produite de son vivant.

Stéréotypes et attributs

C’est pour compenser l’ignorance de ses traits qu’on avait recours aux souvenirs de ceux qui l’avaient connu, voire, si on avait de la chance, à un masque mortuaire (qui, par définition, ne peut guère être considéré comme un portrait du vivant du modèle…). Les images des saints du passé sont des portraits-robots codifiés auxquels on adjoint des signes de reconnaissance particulièrement évidents. En la matière, les costumes jouent un rôle central : saint Charles Borromée se reconnaît à son ferraiolo, la cape écarlate que portent les cardinaux, tandis que saint François est identifiable à sa tunique marron et abîmée. Sinon, on recourt à des stéréotypes comme la barbe de Pierre ou la calvitie de Paul, ou encore à des attributs comme l’instrument de musique de Cécile, la roue dentée de Catherine, l’agneau d’Agnès ou le gril de Laurent. Avec le temps, ces images ont forgé notre imaginaire et se sont imposées à nous. Intuitivement, nous savons reconnaître un saint lorsqu’on voit une image.

Un corpus hétérogène d’images 

Or, depuis quelques années, on canonise des personnes ayant vécu aux XIXe et XXe siècles ; et bien souvent, nous possédons leurs photographies. Celles-ci ont ceci d’inédit qu’elles présentent des personnes avant leur canonisation. Lorsque Céline Martin, la grande sœur de Thérèse, la prend en photo avec sa communauté au carmel, ses intentions ne sont pas celles d’un artiste confectionnant l’image d’un saint ; et si ces images mettent en scène la piété de Thérèse, c’est parce que c’était ainsi qu’on photographiait une religieuse et parce que Thérèse était pieuse.

De même, les vidéos que l’on conserve de Carlo Acutis sont d’abord des images issues d’un contexte familial. Mais tous les photographes ne sont pas si célèbres ou si proches de leurs modèles : il est difficile de retrouver le nom de celui qui immortalisa Maximilien Kolbe, Padre Pio ou Charles de Foucauld. À l’inverse, on possède des centaines de photographies de Mère Teresa. Médiatisée de son vivant, elle suscita l’intérêt de photojournalistes renommés comme Mary Ellen Mark, qui travailla pour l’agence Magnum. Mais le visage de Mère Teresa recueillie, que nous connaissons, nous le devons à Sunil K. Dutt, photographe indien reconnu pour avoir documenté la vie et le travail de Mère Teresa pendant plus de trente ans, jusqu’à son décès en 1997.

[EN IMAGES] Thérèse de Lisieux, Pier Giorgio Frassati&#8230... les saints le jour de leur première communion

Les photographies des saints constituent un corpus hétérogène d’images répondant à des intentions ou à des stratégies visuelles différentes. Or, si nous savons beaucoup de choses sur l’iconographie des saints du Moyen Âge, nous ignorons quasiment tout des images de nos contemporains. La question de la photographie des saints a à ce point échappé à la plupart des théoriciens français qu’il faut aller puiser aux travaux de l’Américain David Morgan et à ses recherches portant sur la culture visuelle du catholicisme.

Des photographies retouchées ?

Si on ne les étudie guère et si on se soucie peu de la personne qui était derrière l’objectif, il n’en est pas moins vrai qu’on se recueille devant ces photographies. C’est ainsi que la photographie d’une petite sœur devient pour nous une image semblable à une icône. Toutefois, lorsque le cliché est moins expressif, on a tendance à les considérer comme des documents. Mais ces images ont-elles gagné les cimaises ? Commande-t-on des agrandissements ? Est-on prêt à voir une photographie exposée de façon pérenne derrière un autel ? Les voit-on comme des œuvres d’art ?

Des œuvres d’art, elles pourraient le devenir si des créateurs se saisissaient de ces images. Pourquoi ne pas s’autoriser à les voir comme un matériau de base à partir duquel on pourrait réaliser autre chose ? C’est ce que les peintres faisaient ; il reste à souhaiter que les graphistes sachant manier les logiciels de retouche se sentent appelés à se mettre à leur suite.

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