Voilà bien un sujet difficile et douloureux. Voire insupportable. On préférait l’éviter, détourner les yeux. C’est l’annonce d’un congrès qui aura lieu le 5 février, organisé par les étudiants en management d’action sociale et de solidarité internationale de l’Ircom à Angers, qui a suscité mon attention. C’est une réalité qu’il faut connaître, qu’il faut sortir du silence et contre laquelle il faut absolument lutter. Oui, il existe dans notre pays des enfants qui se prostituent. Certains n’ayant même pas conscience que leur comportement relève d’une conduite qui s’y assimile. Aujourd’hui, on estime que 13% des personnes prostituées sont des mineurs. Même s’il n’existe pas de chiffres précis, car la prostitution se dissimule, ceux avancés par les associations sont tout simplement effrayants. D’après Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), entre 10.000 et 15.000 mineurs, dont une écrasante majorité de filles (73%), se livreraient à la prostitution dans toute la France. Et ce phénomène s’aggrave, tant dans sa rapide expansion — il a augmenté de 68% en 5 ans — que dans le rajeunissement de l’âge de ses victimes. Si celles-ci ont en moyenne de 15 à 17 ans, il n’est plus rare d’en trouver dès 12-13 ans. Autre chiffre important et redoutablement préoccupant : parmi ces mineurs concernés, 80% sont issus du système de la protection de l’enfance.
Le danger d’Internet, du porno et des réseaux sociaux
Il est indéniable que les nouvelles technologies contribuent à cette gangrène de l’instrumentalisation sexuelle des jeunes. Déjà côté pornographie, on le sait, l’Internet est un dépotoir à clic ouvert. 128 millions de sites, 136 milliards de vidéos regardées par an, 500 millions de recherches par jour, 35% des vidéos téléchargées, un quart de tout le trafic de vidéo en ligne, 16% du flux total de données sur l’Internet, une recherche par ordinateur sur huit, une sur cinq par mobile… En dix ans, l'humanité a regardé l'équivalent de 1,2 million d'années de porno… On vit dans des "sociétés de cerveaux pornifiés", pour reprendre les mots de la sociologue américaine Gail Dines. Les jeunes aussi évidemment baignent dans ce bouillon de culture, et malheureusement beaucoup tombent dans les pièges qui sont partout tendus, et se retrouvent à en consommer. Parfois, à en devenir "addict".
Le support et le moyen
Ensuite, ce qui est nouveau dans le domaine de la prostitution, c’est que le numérique en est devenu à la fois le support et le moyen. Le moyen ? Car on peut prendre et fixer des rendez-vous en ligne. C’est pratiquement "invisible". On n’est pas dans une prostitution "visible", qui se passerait à l’extérieur. Et il peut être aussi le support de l’exploitation. Certains vendent des images de nus, voire des vidéos pornographiques d’eux-mêmes. L’entrée dans la prostitution se fait de manière plus insidieuse, en ligne. Le numérique contribue même à une forme de "glamourisation" de la prostitution. La présidente du Mouvement du Nid France, Claire Quidet, pose ce constat glaçant : "Lors de nos interventions de prévention dans les établissements scolaires, nous constatons une banalisation de ces pratiques. Avoir une relation sexuelle tarifée n’est plus forcément considéré comme un acte grave, qui change la nature de la relation." On trouve de plus en plus de photos de mineures dénudées sur OnlyFans ou MYM (des plateformes payantes qui peuvent donner accès à des contenus pornographiques), qui sont un terrain de chasse pour les proxénètes.
On le sait, l’accès aux réseaux sociaux facilite le passage à l’acte. Ils facilitent le recrutement de nouvelles victimes, le partage de contenus pédopornographiques, et ils sont un nouveau moyen de pression. Sur les réseaux sociaux, les jeunes peuvent être amenés à dévoiler leurs vulnérabilités, par manque de prudence lié à leur immaturité. C’est là qu’ils se font repérer par de "faux amis" qui commencent par proposer écoute, soutien, avant d’aller plus loin. Les jeunes qui tombent dans la prostitution n’en ont pas toujours pleinement conscience. Ils ont du mal à se considérer comme victimes, peuvent croire à tort qu’ils sont en pleine maîtrise de la situation, alors même qu’ils sont sous l’emprise affective et psychologique de criminels. Et beaucoup gardent le silence, par honte ou par peur.
Une grande part d'entre elles a évolué dans un contexte social et familial complexe, avec des carences affectives et des violences intra-familiales ou sexuelles pendant l’enfance
En France, qui sont les victimes ?
Il semble difficile de dresser "un profil type", tant les victimes sont issues de toutes les catégories sociales, mais on sait par exemple que les jeunes filles sont plus touchées. L’ACPE relève aussi qu’ "une grande part d'entre elles a évolué dans un contexte social et familial complexe, avec des carences affectives et des violences intra-familiales ou sexuelles pendant l’enfance".
Un fait particulièrement triste a fait jour ces dernières années : les jeunes issus de la protection de l’enfance sont particulièrement exposés aux risques d’exploitation sexuelle. Pourquoi ? Parce que ces derniers sont déjà en situation de vulnérabilité sociale, affective et psychologique. Leurs parcours sont souvent marqués par des événements difficiles, voire traumatiques. Ruptures, violences, carences éducatives et affectives… Une fois qu’ils se retrouvent placés, leur quotidien est chamboulé. Ils perdent leurs repères, familiaux, amicaux, scolaires, même s’ils étaient en partie délétères. L’hébergement et le lieu de vie deviennent collectifs, ils ont alors un fort besoin de retrouver des appuis. Le besoin d’appartenance et de reconnaissance est particulièrement fort chez les jeunes, surtout s’ils ont déjà traversé des épreuves. Ils sont alors plus susceptibles de tomber dans des conduites à risques, par mimétisme. Par ailleurs, il n’est pas rare que les jeunes placés soient issus de familles modestes, précaires, voire de climats clairement défavorisés. Difficile, alors, de résister à l’appât de l’argent.
Un système qui banalise l’inacceptable
Enfin, aussi choquant que cela puisse paraître, ces lieux, ces foyers, sont des cibles particulières pour des personnes mal intentionnées. "Les recruteurs, proxénètes et clients, connaissent la localisation de la structure et savent que des mineures vulnérables y sont hébergées. Elles sont donc régulièrement abordées dans la rue aux alentours de la structure par ces individus afin d’avoir des rapports sexuels tarifiés", révèle une étude. Un documentaire poignant de 2024, Comme si j’étais morte (France TV), a donné la parole à des jeunes filles qui, après leur placement en institution, ont été entraînées dans des réseaux de prostitution. Les révélations y sont bouleversantes : "Ce sont des gamines multi-vulnérables. Toutes ou presque ont déjà été abusées sexuellement. Les hommes le savent. Il faut voir le nombre de voitures qui stationnent autour du foyer" témoigne Christine, chef de service du foyer. "Personne ne pouvait m’aimer si je ne donnais pas mon corps", confie une jeune fille. Tout est dit. C’est bouleversant. Leurs parcours révèlent les carences du système de protection de l'enfance et le manque de soutien adapté pour prévenir ces dérives. "Ces mineurs sont les victimes d’un système qui banalise l’inacceptable" a déclaré la députée Perrine Goulet, présidente de la Délégation aux droits des enfants lors d’une table ronde qui s’est tenue sur le sujet à l’Assemblée nationale le 15 janvier dernier.
Personne ne pouvait m’aimer si je ne donnais pas mon corps
L’exploitation sexuelle constitue une violation des droits fondamentaux de l’enfant. Elle entraîne de lourdes conséquences pour les victimes, notamment un rapport au corps altéré et un syndrome de stress post-traumatique. La vigilance, la prévention, la protection des jeunes est plus que jamais requise. Soyons conscients de cela. Pour aider les parents, l’ACPE propose des outils, comme un guide qui recense les signaux d’alerte et fournit des conseils éducatifs permettant de savoir comment agir et se comporter avec le mineur. Et si besoin, qui présente les différentes procédures à engager auprès de la police, de la justice ou de la protection de l’enfance.
Pratique :