Le feuilleton de la reconstruction de Notre-Dame touche à sa fin. Il reste des travaux extérieurs mais désormais, la cathédrale se visite librement. Ces cinq années pendant lesquelles la stupeur et la tristesse ont fait place à l’espoir sont derrière nous. Le spectacle de la catastrophe s’est estompé par le travail incroyable raconté par les sylviculteurs, les charpentiers, les tailleurs de pierre, les facteurs d’orgue, les peintres et les restaurateurs de vitraux et tant d’autres. Aujourd’hui, tout est en place pour accueillir fidèles et curieux. La réouverture magnifique de décembre est derrière nous : l’autel est béni, l’orgue réveillé, la cathédrale reçoit des milliers de personnes chaque jour.
Qui sont les visiteurs ?
Place aux visiteurs, dit-on. Et Dieu dans tout cela ? Devenue cause mondiale, la cathédrale voit les touristes de toutes nations accourir. Français aussi et Parisiens bien sûr font la queue pour enfin entrer et voir de leurs propres yeux ce que les caméras du monde ont si bien capté.
Qui sont ces visiteurs ? viennent-ils par effet de mode ou parce qu’il s’agit d’un magnifique musée dont l’entrée est gratuite ? viennent-ils à la recherche d’une expérience spirituelle ? viennent-ils tout simplement pour prier ou est-ce un mélange de tout cela ? Sont-ils des touristes moutonniers, des amateurs de peinture, de musique, d’architecture ou viennent-ils en pèlerinage pour rendre grâce de cette résurrection de la cathédrale mère ? Peu importent les raisons pour lesquelles ils viennent. Ils ne ressortent pas indifférents et c’est le miracle de Notre-Dame.
Il est midi, l’heure de Claudel
Comme beaucoup, j’en ai fait l’expérience. Impatient de redécouvrir Notre-Dame, je suis venu attendre parmi la foule cosmopolite d’un petit matin de janvier. Je suis entré avec émotion et respect, comme les Hongrois et les Antillais qui me précédaient dans la file d’attente. J’ai suivi le parcours circulaire qui mène aux différentes chapelles, m’arrêtant dans chacune pour regarder, admirer, comprendre à la fois le message religieux et imaginer le travail de restauration, rêver aussi avec les pèlerins des siècles jadis dont les yeux ont vu ce que je voyais. Un brouhaha continuel de paroles inaudibles et toutes admiratives s’oublie, la foule mouvante est respectueuse.
Puis l’orgue se fait entendre, une cloche sonne, il est midi, l’heure de Claudel : "Je vois l’église ouverte. Il faut entrer…" Nous y sommes déjà, il faut entrer dans la prière, la messe va commencer.
Rien n’est cartésien dans Notre-Dame
Comment peut-on célébrer au milieu d’une foule de visiteurs ? Sur le papier, c’est inenvisageable, dans la réalité, les rangs se remplissent, le prêtre prend la parole et on l’écoute. Croyants ou non, tous sont respectueux et attentifs : "Le Seigneur soit avec vous. — Et avec votre esprit." La réponse couvre le bruit des visiteurs. Certains s’arrêtent, regardent, s’interrogent sans trouver le sens, soit qu’ils ne soient pas chrétiens soit que la langue reste un obstacle, mais tous sont attentifs à ne pas gêner la célébration.
Ne faudrait-il pas mieux fermer la cathédrale lors des célébrations, demander aux touristes de quitter les lieux ? Oui, cela semble logique et rationnel mais rien n’est totalement cartésien dans Notre-Dame. Les pierres parlent, les vitraux illuminent, les tableaux et sculptures interrogent et même le simple visiteur ignorant de toute culture chrétienne n’en sort pas indemne, il a été touché par le beau et la grâce de l’art sacré. La beauté est un moyen de réunir le monde entier et ces cinq années de restauration puis la réouverture ont ému la planète et réuni tant d’hommes différents. Plus de conflits, plus de tension quand on parle de Notre-Dame mais une union pour sauver, restaurer, accueillir.
Célébration paradoxale
Notre monde a soif d'unité, la beauté de Notre-Dame permet aux hommes de se retrouver dans leurs différences. Célébrer à midi, au milieu d’un peuple du monde et de Dieu est paradoxal et merveilleux à la fois, laissons l’Esprit œuvrer et les touristes sortiront dans la louange. Combien seront devenus pèlerins ! Le plus grand miracle de Notre-Dame est dans les cœurs.