separateurCreated with Sketch.

Notre Dame, “parce que vous avez sauvé la France une fois de plus”

whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Xavier Patier - publié le 09/12/24
whatsappfacebooktwitter-xemailnative
Devant Notre-Dame en feu, être chrétien et être français était la même chose, se souvient l’écrivain Xavier Patier. Aujourd’hui, nous voici stupéfaits par la lumière éclatante de la nef restaurée. Nous avons sous les yeux une image nouvelle de la Résurrection promise à tous, espérée par tous.

Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi le vôtre.

Je donne en 3 clics

*don déductible de l'impôt sur le revenu

Quel bonheur en ce jour où nous avons vu l’archevêque de Paris frapper à la porte de Notre-Dame, le grand orgue s’éveiller et la foule prier Marie ! Je me rappelais ce soir du 15 avril 2019, premier jour de la Semaine sainte, quand j’avais découvert sur mon téléphone un message intriguant de mon fils Bruno qui habitait un studio près de la montagne Sainte-Geneviève : "Je vois Notre-Dame, c’est terrible.". J’avais allumé la télévision : Notre-Dame brûlait. Comme des millions de Français, ma femme et moi avions contemplé, le cœur serré, la France qui saignait. La France était crucifiée. L’incarnation de notre foi mourait sous nos yeux. 

Au pied du bûcher, tenue à distance par des forces de l’ordre compatissantes, une petite foule priait le chapelet. Toutes les chaînes présentaient en boucle cette assistance dérisoire et fervente, et aussitôt après montraient en gros plan la masse de feu et de fumée vers laquelle des lances de pompiers braquées courageusement semblaient ne rien éteindre du tout. Toutes les télévisions présentaient les mêmes images et racontaient la même histoire. 

Les débris de notre pauvre orgueil de chrétiens et de Français tombaient en pluie incandescente, offerts à l’encombrante compassion des cinq continents témoins d’un drame d’une doublement crépusculaire parce que la cathédrale était à l’agonie et que la nuit tombait. Notre-Dame pouvait compter tous ses os. Pourquoi ? Oui, pourquoi ? Et pourquoi à ce moment de notre histoire? 

Nos ancêtres bâtisseurs

Sur le coup je songeai à nos ancêtres bâtisseurs, à Maurice de Sully qui croyait construire le royaume de Dieu en empilant des pierres les unes sur les autres, au roi saint Louis qui avait traversé l’île de la Cité pieds nus, portant la couronne d’épine de notre Sauveur, à tous les anonymes qui avaient été convertis en ce lieu, au vœu marial de Louis XIII, au sacre carnavalesque de Napoléon, à Paul Claudel derrière son pilier, au Magnificat d’août 1944, à l’homélie de Daniel Pézeril pour les obsèques de Mauriac, à ce malheureux Dominique Venner, écrivain fourvoyé, suicidé il y a peu d’années d’une balle de pistolet au pied de l’autel de Jean Touret. Quel diable lui avait donc soufflé de porter son désespoir aux pieds de celle qui n’a jamais désespéré ? Venner est-il mort converti ? Entre le moment où l’on presse la détente d’un pistolet et celui où la balle nous tue, avons-nous le temps d’accueillir celle qui nous console et de dire oui au Sauveur ? Jésus, disait Charles de Foucauld, est le maître de l’impossible. 

Nous avions veillé tard dans la nuit du 15 avril 2019. Je me souviens des messages du monde entier, et aussi du silence du pape que le service de presse du Vatican disait "triste" et "incrédule" devant le drame (François s’est rattrapé le lendemain, il est vrai). Il reste que le soir du 15 avril, notre pasteur romain s’est tu et que ce fut l’humiliation de notre humiliation. La flèche écroulée était la tour de Siloé : on aurait dit qu’elle nous condamnait. J’ai noté aussi les mots justes du président Emmanuel Macron : nous avons construit cette cathédrale il y a huit siècles, disait-il, nous allons la reconstruire ensemble. Ce soir-là, le pape des périphéries faisait de nous, par son silence, la plus abandonnée des périphéries. 

Le premier réconfort humain venait paradoxalement de notre exaspérant Jupiter laïque. Cet homme complexe et controversé agissait en patron. Il savait que la conduite de projet est un exercice de balistique plutôt que de navigation, il savait qu’il faut viser juste au départ : cinq ans, une idée claire, une restauration totale, un établissement public dédié, un chef opérationnel qui ne soit pas prisonnier des métiers et des corporations : le général Jean-Louis Georgelin. La mécanique de l’État se mettait en marche et la mécanique de l’État, en France, cela reste quelque chose de grand. Les esprits forts doutaient, pas lui. L’espérance n’était pas morte. 

Être chrétien et être français

Et je me disais aussi que devant Notre-Dame en feu, j’avais mesuré à quel point être chrétien et être français était pour moi la même chose. Il ne fait pas bon être un catholique identitaire, je le sais, mais il n’empêche que pour moi, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est aussi le Dieu de saint Louis, d’Henri Lacordaire et de Paul Claudel, et ce soir du 15 avril, le Dieu blessé du fils de Notre Dame. Avec Charles Péguy, amant d’une autre cathédrale Notre-Dame jadis incendiée, je ressentais que depuis quinze siècles, Dieu et la France avaient cultivé une affinité particulière qu’aucun malheur n’avait pu faire faillir. Si la France persévère dans la foi, elle règne avec le Christ. Si elle est infidèle, Dieu, lui, reste fidèle, parce qu’il ne peut pas se renier lui-même. C’est pourquoi nous Français, chrétiens ou non, avons tous une histoire spirituelle intime avec Notre-Dame de Paris.

Il y a eu encore le vendredi saint du 10 avril 2020 quand, sur l’initiative inspirée de Mgr Michel Aupetit, a été vénérée la couronne d’épine dans une nef de Notre-Dame mi-ruine, mi-chantier. Un homme a lu La Vierge à midi de Claudel : 

"Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer.
Mère de Jésus Christ, je ne viens pas prier. 
Je n’ai rien à offrir et rien à demander. 
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder. 
Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela 
Que je suis votre fils et que vous êtes là. […]
Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée
La femme dans la Grâce enfin restituée…
Parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ qui est la vérité entre vos bras,…
Parce que vous avez sauvé la France. 
Parce qu’à l’heure où tout craquait, c’est alors que vous êtes intervenue,
Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus."

Notre foi incarnée dans la pierre

Aucun doute, Notre Dame allait sauver la France une fois de plus ! Nous le savions par Claudel. Nous éprouvions comme une évidence que la cathédrale avait été construite pour Notre-Dame, mais autour de la présence réelle du Ressuscité et que sans cette présence réelle, elle n’aurait été qu’un ingénieux tas de cailloux. Notre foi était incarnée dans un ensemble de maçonnerie, de verre, de bois et de plomb. Elle était emmêlée dans un vieux pays. Il n’y a pas de honte à avoir besoin de cette incarnation. Une cathédrale n’est que de la pierre, mais nous ne sommes que des hommes. En observant le chantier de Notre-Dame, tous ces artisans au regard lumineux qui parlaient à la télévision de leur métier, je refusai décidément de céder à la tentation de mépriser notre humus national.

Car une soirée de drame n’a pas effacé les 830 ans de l’histoire de Notre-Dame : la nuit de feu a ajouté une page au récit de sa tragique aventure. La restauration de la cathédrale n’a pas consisté à faire du vieux avec du neuf, mais bien du neuf avec du vieux. Nous voici stupéfaits par la lumière éclatante de la nef restaurée. Nous avons sous les yeux une image nouvelle de la Résurrection qui nous est promise. Nous entendons Maurice de Sully se réjouir au ciel.

Le vieil Occident chrétien

Le chef de l’État, à la différence de Saint Louis, de Louis XIII ou du général de Gaulle, s’est autorisé à parler non pas sur le parvis mais depuis l’intérieur de la cathédrale (dehors il pleuvait). Cependant il a su se faire beaucoup pardonner grâce aux mots justes qu’il a prononcés. Il n’était plus question dans le discours présidentiel de cette exaspérante "résilience" et de la terminologie technocratique et martiale peuplant naguère les discours d’En Marche, mais bien de l’espérance, celle qui ne déçoit pas. Devant le président de la République évoquant le vœu de Louis XIII, de nombreux chefs d’État, non pas du monde entier comme on l’a dit (où étaient la Chine, la Russie, l’Inde ?) mais du vieil Occident chrétien et de ses amis, contemplaient Notre Dame qui, une fois de plus, s’apprêtait à sauver la fille aînée de l’Église pendant que le Saint Père faisait ses valises pour la Corse.

[EN IMAGES] La première messe à Notre-Dame de Paris depuis l'incendie :

Vous avez aimé cet article et souhaitez en savoir plus ?

Recevez Aleteia chaque jour dans votre boite e−mail, c’est gratuit !

Aleteia vit grâce à vos dons

Permettez-nous de poursuivre notre mission de partage chrétien de l'information et de belles histoires en nous soutenant.