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Les trois erreurs du film “Conclave”

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Ralph Fiennes dans le film "Conclave".

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Pascal Ide - publié le 14/12/24
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Avec Ralph Fiennes dans le rôle principal, “Conclave”, thriller américano-britannique d’Edward Berger, raconte les coulisses de l’élection d’un pape. Le film, au suspense efficace, passe à côté de son sujet selon Pascal Ide, auteur de "La Rencontre au cinéma" (Emmanuel, 2005). Il lui reproche de se tromper lourdement sur la réalité de l’Église et ses divisions, ainsi que sur l’essence même du conclave.

Apparemment, Conclave contient tous les ingrédients pour un thriller de haute intensité. Mais le film d’Edward Berger tient-il ses promesses ? Et d’ailleurs, le pouvait-il ? Le léger Habemus Papam de Nanni Moretti (2011) était centré sur la terreur que le cardinal Melville ressent lorsqu’il est élu pape et le conduit à fuir sa charge. Les deux papes (The Two Popes) de Fernando Meirelles (2019) mettait en scène la révélation de la démission du pape Benoît XVI à celui dont il ignore qu’il va lui succéder sur le siège de Pierre. Conclave pénètre aussi dans les arcanes d’un des phénomènes les plus secrets, l’élection du pontife romain, et traite des questions que celui-ci se pose. Mais, pour la première fois, il tente de montrer du dedans le processus d’élection.

Le plus grand des suspenses

Le film a été salué par la qualité de son scénario aux multiples rebondissements (qui est d’abord celui du roman éponyme de l’écrivain britannique), de ses acteurs (avec une mention toute particulière pour le rôle-titre Ralph Fiennes, remarquable de tension intériorisée) et de sa mise en scène (le cadre à la fois somptueux et claustrophobe de la Cité du Vatican et, plus encore, de la chapelle Sixtine). D’un côté, le contenant est celui, idéal, de la règle des trois unités, avec un élargissement de l’unité de temps à sept tours d’élection, soit quelques jours. De l’autre, le contenu qu’est l’histoire aussi simple qu’efficace du plus grand des suspenses : qui sera le prochain pape, avec les immenses enjeux que ce choix comporte ? Le tout sur fond d’une description quasi-documentaire des différents actes très ritualisés qui entourent la mort de l’évêque de Rome.

Les trois vieilles concupiscences

Mais là s’arrêtent l’originalité et l’intérêt du long-métrage. Car, en matière de suspense, donc de surprise, nous allons avoir droit à la mise en œuvre la plus ressassée des trois concupiscences (cf. 1 Jn 2,16). Pratiquées par les candidats favoris et successivement dévoilées, ce sont autant de coups de théâtre conduisant à leur décrédibilisation : la "concupiscence des yeux" ou cupidité avec le péché de "simonie" (dit le film) ou plutôt de corruption, puisqu’est révélée la manœuvre par laquelle le cardinal canadien Tremblay (John Lithgow) a acheté le vote d’autres cardinaux ; la "concupiscence de la chair" ou luxure, puisque l’on découvre que le cardinal nigérian Joshua Adeyemi (Lucian Msamati) a entretenu trente ans plus tôt des relations intimes avec une religieuse compatriote, ayant abouti à la naissance d’un fils qui fut adopté ; "l’orgueil de la vie", ici sous la forme d’une recherche démesurée du pouvoir, puisque le cardinal américain Aldo Bellini (Stanley Tucci) soupçonne le cardinal Thomas Lawrence (Ralph Fiennes) de l’ambition qui le ronge lui-même, selon le test projectif si révélateur de la paille et de la poutre.

Le doute, ce vice qui détruit la foi

Le seul à ne pas succomber à ces tentations délétères est le personnage le plus riche, le cardinal doyen Lawrence, qu’introduit et symbolise tout à la fois la première scène où nous le suivons de dos en train de traverser à pas rapides le tunnel sous la colline du Vatican qui le conduit au palais pontifical. Mais cet homme intègre et inquiet cèdera à une faute qui n’est pas moins grave, car sa matière est théologale : le péché contre la foi. Qu’il s’agisse d’un doute non pas contre Dieu, mais contre l’Église, ne le rend pas plus acceptable. 

Le conclave est un acte éminemment religieux par lequel le cardinal entre non pas dans une campagne d’influence, mais dans la prière. 

Ne confessons-nous pas : "Je crois à la sainte l’Église catholique" (peu importe ici que ce ne soit pas un quatrième article du Credo, mais un développement du troisième : "Je crois en l’Esprit saint") ? Une personne qui, pendant des années, avait participé chaque semaine à une messe célébrée par le cardinal Ratzinger me disait avoir été frappée par deux qualités du futur pape : sa bienveillance constante à l’égard des théologiens du bord le plus opposé au sien ; son amour de l’Église. 

Ajoutons une mise au point, tant il est fréquent d’entendre que non seulement le doute ne s’oppose pas à la foi, mais en constitue le signe avéré. Tout au contraire : le doute, plus, la culture de l’incertitude, que prône Lawrence dans l’homélie précédant le conclave (1), est le vice qui détruit la vertu de foi — comme la méfiance dissout le lien amical, conjugal, etc. En revanche, la foi est avivée par la question, comme celle que la Vierge Marie pose à l’ange (cf. Lc 1,34) : "Dix mille difficultés ne font pas un seul doute", affirmait le saint cardinal Newman (cité par le Catéchisme de l’Église catholique, n. 157).

L’essence même du conclave

Mais un tel thriller sur le conclave est-il seulement possible — je veux dire sans trahir, non pas le secret (il s’agit bien entendu d’une fiction), mais l’essence même du conclave ? (2) En effet, le cardinal Bellini révèle la clé de lecture du film quand, au cardinal Lawrence lui objectant : "C’est un conclave, pas une guerre", il lui assène avec colère et dureté : "Bien sûr, c’est une guerre. Et vous allez devoir choisir votre camp." Et, ici, une guerre politique qui, pour ne pas être sanglante, n’en est pas moins violente, entre deux extrêmes nettement tranchés illustrés chacun par un trio : d’un côté, les libéraux (le pape défunt, les cardinaux Bellini et Lawrence), de l’autre, les conservateurs jusqu’à être réactionnaires (les cardinaux Adeyemi, Tremblay et Tedesco). De ce point de vue, Edward Berger s’inscrit dans le sillage de son dernier film, À l’Ouest, rien de nouveau (lui aussi adapté d’un livre, le chef d’œuvre d’Erich Maria Remarque et salué par un quadruple Oscar, dont celui du meilleur film international 2022) : de même que le jeune soldat allemand cherche à fuir la guerre sans jamais y arriver, de même le cardinal Lawrence ne trouvera la sérénité qu’en consentant à ce qui, pour le réalisateur, constitue l’essence intrinsèquement polémique (du substantif grec polémos, "guerre") du conclave.

Un acte éminemment religieux

Mais le cinéaste se trompe lourdement et triplement. Passons la vulgate simpliste qui assimile le pôle conservateur à homophobie, islamophobie, etc. et le pôle libéral à l’émancipation sexuelle et sociale. Ensuite, s’il y a, bien entendu, dans l’Église ce que l’on aime appeler des "sensibilités" opposées, celles-ci ne sont pas binaires, comme le croit une certaine sociologie ecclésiale (plus représentée en France ou aux États-Unis), mais multiples (il suffit de séjourner dans les pays plus latins pour se rendre compte du peu d’opérativité des oppositions traditionnalisme-progressisme). Enfin et surtout, le conclave est un acte éminemment religieux par lequel le cardinal entre non pas dans une campagne d’influence, mais dans la prière. 

Le problème du film n’est donc pas de rappeler l’hommerie, mais d’en demeurer là.

Trois signes parmi d’autres. Primo, il est hautement significatif que le film ne montre pas cet acte si important qu’est la messe d’entrée en conclave qui se déroule à la basilique Saint-Pierre de Rome. Secundo, le vêtement rouge des cardinaux est un habit non pas identitaire et encore moins de parade, mais un habit liturgique. Tertio, si la caméra prend le temps de filmer chaque électeur bredouiller quelques mots en latin avant de poser le bulletin dans l’urne, le vidéaste n’invite en rien à comprendre qu’il s’agit d’une prière très solennelle par laquelle l’électeur engage le salut de son âme dans le choix qu’il fait du futur pape. Une telle conscience anime-t-elle le citoyen ou l’homme politique ? Permettez-moi de transmettre une confidence du cardinal Jean-Marie Lustiger en avril 2005 lorsque s’était réuni le conclave après la mort de Jean-Paul II : "J’avais supplié Dieu qu’il m’épargne l’épreuve de participer à l’élection du pape." Tant il avait une très vive conscience de ce qu’un conclave est un acte d’une responsabilité très élevée qui était tout sauf politique.

Le problème du film n’est donc pas de rappeler l’hommerie, mais d’en demeurer là. Bernanos l’avait si bien compris qui, au lieu de s’attarder sur les turpitudes sexuelles de ses personnages "démoniaques", dont certains, tel l’abbé Cénabre, sont des prêtres, détaillaient leur imposture théologale. Mais comment le montrer à l’écran, sauf à s’appeler Dreyer (La Passion de Jeanne d’Arc), Bresson (Au hasard Balthazar) ou Bergman (Le septième sceau) ?

Pratique :

Conclave, drame américano-britannique d’Edward Berger, 2024. Adapté du roman éponyme de Robert Harris, 2016. Avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Lucian Msamati, Sergio Castellitto, Carlos Diehz et Isabella Rossellini. Actuellement en salle.

(1) Voici la traduction française de l’homélie de Lawrence, quittant son papier pour improviser devant les cardinaux en émoi : "Le don de Dieu à son Église est la variété. Après toutes ces années au service de l’Église, j’ai appris à redouter un péché plus que tous les autres : la certitude. La certitude est le plus grand ennemi de l’unité. La certitude est l’ennemi mortel de la tolérance. Même le Christ doutait à la fin : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” Notre foi est éternellement vivante parce que, précisément, elle marche main dans la main avec le doute. S’il y avait certitude et aucun doute, il n’y aurait aucun mystère. Et sans mystère, il n’y aurait pas la foi. Prions pour que le Seigneur nous fasse la grâce d’un pape qui doute. Et aussi d’un pape qui pèche et soit capable de demander pardon."

(2) Sans rien dire du dénouement spoilé et largement médiatisé : outre la concession à l’idéologie du gender (le brouillage de la frontière entre les sexes), il semble ignorer que l’ordination sacerdotale d’une femme serait ipso facto invalide.

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