L’Académie des Beaux-Arts remettait mercredi 20 novembre ses prix à l’occasion de sa séance solennelle de rentrée. L’Académie avait choisi de décerner le prix Verdaguer de peinture à Anahita Masoudi, brillante artiste iranienne. Mais Anahita Masoudi n’était pas là. Cette artiste qui peint des tableaux lumineux et un peu sépias, souvent figuratifs, toujours émouvants, lutte avec son art contre l’asservissement des femmes. Elle ne s’est pas présentée sous la coupole. Elle se faisait pourtant une joie de venir à Paris. On nous a expliqué qu’elle avait dû annuler son voyage au dernier moment pour des raisons de santé. Ceux qui en savaient davantage murmuraient qu’Anahita avait été droguée à l’aéroport de Téhéran au moment de prendre l’avion, puis incarcérée. Nous n’avions pas d’autre nouvelle.
Délit d’opinion
Le même jour, l’écrivain Boualem Sansal était arrêté à Alger : délit d’opinion. Kamel Daoud, coupable d’avoir écrit un roman, était pour sa part soumis à une persécution judiciaire. Et le même jour encore Vladimir Poutine, avec son visage lisse et ses yeux sans expression, expliquait à la télévision qu’il lui fallait essayer de nouveaux missiles sur des cibles civiles. Comme le Minotaure, le tsar avait besoin de sa ration de chair humaine qu’il semblait engloutir sans plaisir.
Cette somme inimaginable de souffrances individuelles nous blesse et plus encore nous déshonore. Des millions de nos frères humains sont persécutés dans leur dignité. Demain, ce seront nos enfants. Que faisons-nous ? Le désarmement unilatéral, quand ce désarmement ne serait qu’un désarmement moral, est toujours une faute politique. On ne peut pas transposer au plan collectif l’attitude de l’agneau conduit à l’abattoir. Chacun peut choisir de renoncer à se battre. Mais nul dirigeant n’a le droit d’imposer à son peuple la résignation car ce serait légitimer un suicide collectif. C’est une faute morale pour un chef que de se résigner à subir une injuste agression. Il arrive un jour où la faiblesse politique devient intolérable aux justes.
La liberté, nous découvrons chaque jour davantage à quel point elle est en train de passer de mode.
C’est pourquoi il y a dans ce que vit l’Occident une impression non pas de fin du monde mais de veillée d’armes. Non qu’il y ait davantage de haine entre les peuples aujourd’hui qu’hier. La haine, hélas, est de tous les temps. Saint François pleurait de ressentir que l’amour n’était pas aimé. Mais ce pour quoi nous devrions pleurer à présent et qui fait songer à une veillée d’armes, c’est de sentir à quel point la liberté pour laquelle nos aïeux se sont tant battus n’est plus aimée. La liberté, nous découvrons chaque jour davantage à quel point elle est en train de passer de mode. Une force se met en marche pour la faire taire sur tous les continents. Un nouveau tempérament humain est en train d’installer son pouvoir sur le monde, tempérament pour lequel la liberté et la démocratie sont des idées ringardes réservées à des Occidentaux décadents, libertaires, endettés et repus.
La liberté en haine
La séduction des pouvoirs forts se fait sentir partout. Macky Sall, alors président de la République du Sénégal, affirmait il y a deux ans que les droits de l’homme étaient "des valeurs locales érigées en norme universelle". Oui, le successeur de Léopold Sédar Senghor a dit cela ! Mais si les droits de l’homme ne sont bons que pour l’Occident seulement, ils ne sont bons pour personne. Ce qu’on appelle le "Sud global", univers hétéroclite qui monte jusqu’au Pôle Nord, a pris la liberté en haine. Cette haine est la seule chose qui le fédère. La modernité est désormais dans le camp des tyrans. En Occident même, la liberté est taillée en pièces par une morale coupée de sa source judéo-chrétienne, morale impitoyable qui bientôt, sous l’emprise de l’intelligence artificielle, se mettra à légiférer toute seule pour nous interdire de penser. Notre liberté est encerclée à l’extérieur et minée à l’intérieur. La vérité vous rendra libre, disait saint Paul. La vérité n’intéresse plus personne. Il est urgent de la proclamer.