Vous avez tous déjà entendu dire "qu’une hirondelle ne fait pas le printemps". Or cette expression peut avoir une double signification. La première, la plus évidente, est qu’il ne faut pas tirer de conclusion générale sur la base d’un seul fait. Mais cela signifie aussi qu’il ne faut pas prendre l’effet pour la cause. Une hirondelle ne fait pas le printemps car ce n’est pas parce que les hirondelles reviennent que le printemps se dit qu’il peut commencer. De la même manière, dans la parabole du figuier dont parle Jésus, il ne viendrait à l’esprit d’aucun de ses auditeurs de confondre l’effet et la cause. C’est bien parce que l’été revient que les branches deviennent tendres et que sortent les feuilles et non l’inverse. Et personne même au temps de Jésus ne ferait l’erreur.
L’irruption du Christ nous désoriente
Alors il nous faut tirer les conséquences de cette parabole du figuier. Ce n’est pas à cause de la grande détresse et des catastrophes qui se profilent devant nous que Jésus vient nous sauver, mais plutôt parce que Jésus vient nous sauver que se profilent devant nous détresses et catastrophes. Dit comme cela, cela nous semble choquant. Nous pensons, à l’inverse, que si Jésus vient, c’est pour nous sauver ; que Sa venue dans notre monde est ce qui mettra fin à toutes les tribulations, à toutes les détresses, et c’est vrai. Mais pour cela, il faut que ce monde passe. La venue du Verbe éternel de Dieu dans notre monde le fait craquer de toute part car ce monde clos ne peut contenir en lui toute l’immensité de l’infini de Dieu. Si le Royaume de Dieu est comme une graine plantée dans notre terre, alors il faut qu’il pousse, et qu’il ouvre notre Terre en deux pour pouvoir y faire advenir sa nouveauté radicale.
L’irruption du Christ dans notre monde nous désoriente, nous fait perdre nos repères, nos sécurités, nos illusions d’immutabilité.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce grand chambardement concerne les astres du ciel, le soleil, la lune et les étoiles, car ils sont nos points de repères, ceux qui rythment le temps et nous situent dans l’espace. L’irruption du Christ dans notre monde nous désoriente, nous fait perdre nos repères, nos sécurités, nos illusions d’immutabilité. Pour que le Christ vienne, pour qu’Il vienne faire toutes choses nouvelles, il faut que le ciel et la terre passent, il faut que cet ordre déchu soit mis à bas, pour que puisse germer l’ordre nouveau, celui où le Christ sera "tout en tous".
La vertu de la crise
Ce qui est vrai de notre monde, est vrai aussi de chacune de nos âmes. Je crois que nous ne nous rendons pas assez compte du bouleversement que représente l’irruption du Christ dans une vie ; de ce que cela implique de renoncements, d’effondrement même. Trop souvent, nous parlons du Christ comme nous vendrions un produit de supermarché : "Tu vas voir, ça va changer ta vie, avec Jésus tout est plus beau, tout est mieux, tout est plus grand. Il va te guérir, te donner la joie, te donner la paix…" On ne sait plus trop si on parle du Christ ou d’un yaourt au bifidus actif. Tout cela est vrai, certes, mais ne se fait qu’au prix d’un effondrement, du drame de la mort et de la résurrection. Et l’on oublie trop souvent cette dimension de crise que nécessairement, l’irruption du Christ dans nos vies doit nous faire traverser. N’allez pas chez ceux qui veulent vous vendre une vie chrétienne sans crise, sans bouleversement, sans catastrophe. Une foi où tout est rose, où "tout le monde il est beau" et où rien de mauvais ne peut vous arriver. Ceux-là ne vous conduiront pas au Christ.
À l’inverse, il nous faut redécouvrir ce qu’est la véritable vertu d’espérance, celle que le pape François nous donne comme cœur de l’année jubilaire qui va bientôt s’ouvrir. L’espérance est par excellence la vertu de la crise, la vertu de la catastrophe. Elle est la vertu des prophètes, de ceux qui savent voir ce qui naît quand tout est en train de mourir, de ceux qui savent voir ce qui se lève quand tout s’effondre.
Tenir droit quand le monde se dérobe
L’espérance est une certitude. Elle n’est pas l’optimisme né d’un calcul de probabilité. Elle est la certitude que rien ne pourra nous éloigner de l’amour du Christ. C’est elle qui nous permet de tenir droit quand le monde semble se dérober sous nos pieds ; qui nous permet de soupirer avec un grand désir : "Viens, Seigneur Jésus !", en sachant que ce soupir ne fait que hâter la ruine de ce monde. Cette vertu nous donne de regarder la croix en face en y reconnaissant le chemin le plus éclatant de l’amour et la réalité la plus désirable, car la seule qui nous fait entrer dans la Vie véritable. Celle qui nous fait marcher même dans l’ombre de la mort, certains que le jour nouveau est proche, car Dieu ne saurait trahir Sa promesse : "Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né" (2Co 5, 17). Maranatha ! Viens, Seigneur Jésus !
Lectures du 33e dimanche du temps ordinaire :