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"L’Ukraine vaincra". Mgr Sviatoslav Shevchuk, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne en visite en France, n'a pas mâché ses mots lors d'une conférence de presse organisée par l’Œuvre d'Orient et la Conférence des évêques de France (CEF) à Paris, le 29 octobre. Attendu ce mardi 5 novembre à Lourdes pour l'Assemblée plénière des évêques de France, il reviendra de nouveau sur le rôle majeur joué par l’Église gréco-catholique dans ce conflit qui oppose la Russie à l'Ukraine depuis février 2022.
Le prélat ukrainien a tenu à remercier les catholiques de France pour leur solidarité à l'égard de la population ukrainienne, et notamment Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, qui s'était rendu en Ukraine en septembre 2022. Il a également salué une "victoire très importante sur le plan humanitaire", car "au bout de presque 1.000 jours de guerre, personne n'est mort de faim ou de froid". "La Russie détruit les infrastructures énergétiques. En Ukraine, l’hiver est désormais utilisé pour tuer la population par le froid", a affirmé l'évêque. "Dieu merci, je peux témoigner que la solidarité chrétienne a sauvé des vies, alors que l’indifférence tue." Dénonçant "l'instrumentalisation par la Russie de la religion" à des fins militaires ("weaponization" en anglais), Mgr Shevchuk a regretté la "crise d'identité" que traverse selon lui le Patriarcat de Moscou. À l’inverse, l'archevêque a assuré être "reconnaissant au pape François et au Vatican de leur neutralité" à l'égard des belligérants, neutralité diplomatique "et en aucun cas morale". "C'est grâce à cette neutralité que le Saint Père peut garder des contacts avec la Russie et l'Ukraine, et maintenir des capacités de négociation pour sauver des vies".
"L’Ukraine est fatiguée mais pas vaincue, l’Ukraine est blessée mais résiliente", a encore déclaré Mgr Shevchuk, qui décrit également une Église gréco-catholique à bout de souffle. "Dans les territoires occupés, il ne reste plus un seul gréco-catholique et l'Église est interdite", a-t-il ainsi déploré, rejoignant les déclarations de l'évêque de Donetsk. Malgré tout, plus que jamais, "l'Église est devenue particulièrement attractive (..) C’est l’instance qui chérit les gens, s’occupe d’eux, guérit les blessures", confie-t-il à Aleteia. Entretien.
Aleteia : Comment se portent vos fidèles en Ukraine ?
Sa Béatitude Sviatoslav Shevchuk : Nous vivons un grand malheur, mais qui est aussi un moment de grande conversion. Ce que je dis concerne aussi bien les croyants que ceux qui cherchent Dieu. En Ukraine, les chrétiens vivent constamment face au danger de mort et doivent se tenir prêts, tous les jours, à faire face au visage du Seigneur. Nous avons d’ailleurs remarqué à quel point la confession est redevenue primordiale. Il y a une grande redécouverte de ce sacrement, qui est devenu l’un des moyens les plus importants de notre travail pastoral.
Quant à ceux qui ne sont pas croyants, la voix de l’Église catholique est pour eux aussi très importante, car ils se posent des questions existentielles : pourquoi tout cela nous arrive-t-il ? Quel est le sens de cette souffrance ? Quel sens donner à ma vie ? Sommes-nous des oubliés ? Dieu nous a-t-il abandonnés ? Personne ne peut donner de réponses à ces questions. La réponse ne se trouve que dans la parole de Dieu. Énoncer cette parole est devenu vital. Le sermon dominical est écouté par des millions de personnes ! L’Église est devenue particulièrement attractive. Nous constatons beaucoup de conversions, nos églises sont pleines à craquer, non seulement en Ukraine, mais aussi au sein de la diaspora. L’Église, c’est l’instance qui chérit les gens, qui s’occupe d’eux, qui guérit les blessures.
Les catholiques se sentent-ils abandonnés, oubliés ?
Je pense que l’œil d’une personne croyante voit forcément les plaies du Christ dans le corps de notre peuple. Pour nous, le Christ crucifié n’est pas une statue froide accrochée au mur. Ce sont les femmes et les enfants ukrainiens blessés, ce sont les soldats blessés. Quand je leur rends visite et que je contemple ces blessures, je ne peux pas m’empêcher de m’écrier : "Jésus, c’est toi !" Nous ne devons pas vénérer le Christ uniquement dans nos églises. Jésus est présent dans chaque souffrance aujourd’hui en Ukraine. Nous ne nous sentons pas délaissés par Dieu, mais seule la personne croyante peut voir sa présence. De ce fait, l’obligation des croyants, y compris des laïcs, est de montrer aux autres où se trouve le Seigneur, au milieu de cette guerre.
Croyez-vous qu'un accord de paix puisse être trouvé ? L'Ukraine a-t-elle selon vous des chances de sortir vainqueur de cette guerre ?
L’Ukraine est aujourd'hui défendue par des millions d’Ukrainiens de diverses origines. Je pense qu'un peuple qui témoigne d'une motivation d’une telle force ne peut pas être vaincu. L’Ukraine vaincra. Les Russes sont des sauvages, y compris dans les territoires russophones avec des populations qui n’étaient pas hostiles à la Russie et qui comprennent maintenant que l’occupation, c’est la mort. Malgré tout, je pense que la capacité à pardonner peut être plus forte que la haine. Celui qui est dominé par la haine voit ses forces flétrir très vite. La haine assèche et prive le cœur humain de son sang vital. Pardonner à nos ennemis est le secret pour les vaincre, et les chrétiens savent faire cela. La doctrine thomiste le dit : la haine est une émotion naturelle en tant que telle. Je ne peux pas interdire à mon peuple de ressentir la haine, alors qu'il est le témoin de meurtres. Mais grâce à notre volonté, nous pouvons et nous devons transformer ce sentiment de haine en courage. L’action du Saint Esprit transforme ensuite le courage en espérance. Je crois fermement qu'au-delà du front militaire, il y a un front spirituel en Ukraine qui est important, voire décisif.