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Clovis a-t-il vraiment été baptisé en 496?

The Baptism of Clovis - Remi de Reims - Saint Remi

Le baptême de Clovis par saint Rémi de Reims.

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Cécile Séveirac - publié le 25/10/24
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Dans “Ce que nous devons aux Mérovingiens”, Michel Fauquier, docteur en histoire et agrégé d’histoire, revient sur l’importance de l’héritage légué par les Mérovingiens à la France. Il y aborde également la question de la date du baptême de Clovis, et la reconnaissance à cette époque d’une forme nouvelle de sainteté.

"Date du baptême de Clovis, roi des Francs ?" La réponse de l'écolier qui a bien appris sa leçon tirée de son manuel d'histoire fuse : "496 !" Et si ce n'était pas si simple ? La datation du baptême du roi des Francs, "premier roi chrétien" continue de susciter des désaccords. Dans son livre Ce que nous devons aux Mérovingiens (Armand Colin), le docteur en histoire Michel Fauquier, professeur de chaire supérieure, chercheur associé à l'Université de Poitiers (CESCM) et membre du centre de recherche de l’ICES de la Roche-sur-Yon (CRICES), revient sur l’importance de l’héritage légué par les Mérovingiens à la France, et propose de résoudre cette énigme historique. Entretien.

Aleteia : Pourquoi le baptême de Clovis a-t-il toujours été daté en 496 ?
Michel Fauquier : Dans son Histoire des Francs, Grégoire de Tours aborde dès le VIe siècle la question du baptême de Clovis. Il rapporte notamment dans les premiers chapitres les circonstances dans lesquelles Clovis aurait décidé de se faire baptiser s’il remportait la fameuse bataille de Tolbiac contre les Alamans, supposée avoir eu lieu en 496. On a donc pendant très longtemps estimé, parce que ces deux récits se succédaient, que ces événements avaient nécessairement eu lieu la même année. En réalité, pendant longtemps, personne ne s’est intéressé à cette question sous l’angle chronologique. Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que naisse un débat sur le sujet. Il y a d’un côté l’école française qui a cherché à maintenir cette tradition grégorienne d’un baptême en 496. Et de l’autre l’école allemande qui proposait d'autres dates : 499, 506, 507, 508... Les tensions entre les deux pays ont poussé les Français à maintenir une position de principe, celle du baptême de Clovis en 496. C’est seulement depuis quelques années que les Français sont revenus sur cette idée. Marie-Céline Isaïa en 2010 et Bruno Dumézil, en 2019, ont tous deux proposé de revenir à l’année 507 ou 508. Mais cette date ne tient pas car elle ne tient pas compte qu’au printemps 507 Clovis a attaqué royaume d'Aquitaine, dirigé par le roi Alaric II, wisigoth et arien. Or, tout montre que cette opération a été conçue par Clovis comme une sorte de croisade avant l'heure, destinée à pourfendre l'hérésie arienne. L’intervention de Clovis en 507 suppose donc qu’il était déjà catholique.

Alors quelle thèse retenir pour dater correctement le baptême de Clovis ?
La date à retenir est celle du 25 décembre 499. Michel Rouche, spécialiste des Wisigoths, a fait remarquer qu'à l'époque s'était propagée une rumeur selon laquelle la fin du monde aurait lieu en 500. Clovis, qui avait décidé de recevoir le baptême après sa victoire à Tolbiac, en aurait différé la date de façon à conjurer cette prophétie. Il aurait aussi choisi Noël à dessein pour recevoir le baptême. La date n’est pas habituelle puisque les baptêmes d’adultes ont généralement lieu lors de la veillée pascale. Mais tous les spécialistes s’accordent là-dessus en raison de la connotation anti-arienne du choix de cette date. En effet, les ariens réfutent l’Incarnation : en célébrant le baptême du roi durant la fête de Noël, Clovis adresse un message fort aux partisans de l’arianisme. Puis, en 507, il prend la décision d’attaquer le royaume wisigoth d’Aquitaine.

Le baptême de Clovis conduit généralement à parler du “baptême de la France”, alors même qu’il est impossible de baptiser un pays. D’où vient cette tradition et est-ce pour cette raison que l’on parle de la France comme la “fille aînée de l’Église” ?
Grégoire de Tours décrit la scène du baptême de Clovis et évoque la présence d’une “garde rapprochée”, qui correspond en réalité à plusieurs milliers d’hommes. Ces milliers de guerriers reçoivent le baptême en même temps que lui, ainsi que sa sœur, car il est de tradition, chez les peuples Germains, et en particulier chez les Francs, de suivre la foi du roi. Même si d’un point de vue ecclésiologique, on ne peut baptiser que les personnes, le fait que des milliers d’hommes suivent Clovis dans sa conversion donne l’image d’un baptême de tout un pays, ou plutôt d’un royaume. L’histoire de Clovis devient celle de tout un peuple, ce qui mènera à cette tradition selon laquelle la France est la “fille aînée de l’Église”. Et ce d’autant plus que Clovis est considéré comme le premier souverain converti au catholicisme. C’est un peu approximatif selon moi car il y avait eu la conversion de Constantin sur son lit de mort, quand bien même il avait reçu le baptême des mains d’un évêque arien, donc hérétique. Il y a également le roi d’Arménie, devenu catholique avant Clovis. Mais on objectera qu’il n’était pas sous l’autorité directe du Saint-Siège… C’est donc Clovis qui devient le tout premier roi à adhérer au catholicisme, et son royaume devient “la fille aînée de l'Eglise”.

Dans votre ouvrage, vous revenez également sur la nouvelle forme de sainteté reconnue par l’Église sous les Mérovingiens. 
Avec la victoire de Constantin sur Licinius en 324, les persécutions disparaissent, et avec, le martyre, a fortiori après que Théodose a proclamé le christianisme religion officielle de l’empire. L’Église, au même moment, s'étend très largement. Des églises sont bâties et on y installe des autels qui contiennent des reliques de saints. Or, les seuls saints reconnus comme tels étaient les martyrs. Sans martyrs, se pose la question de savoir comment fournir les églises naissantes en reliques. Au même moment, Sulpice Sévère révolutionne la vision de la sainteté en expliquant que le martyre de sang n’est pas la seule façon de devenir saint par l’exemple de saint Martin de Tours. Trois générations après, l'Église officialise la reconnaissance de la sainteté non plus martyriale, mais ascétique. La période mérovingienne permet donc d’opérer une bascule : l’Église a commencé à réfléchir à des modalités pour attester de la vertu d’une vie ascétique. Ces modalités aboutiront plus tard, au XIe siècle, à la canonisation.

Pratique :

Ce que nous devons aux Mérovingiens, Michel Fauquier, Armand Colin, octobre 2024, 288 pages, 24,90 euros.
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