"La Porte des Ténèbres". Le nom de ce spectacle joué du 25 au 27 octobre dans les rues de Toulouse est assez évocateur, mais c'est surtout son contenu qui suscite l'inquiétude chez Mgr Guy de Kerimel. "Des nuages sombres s’accumulent sur notre monde", a ainsi déclaré l'évêque de Toulouse. Cet "opéra urbain" financé par la métropole mettra en scène de grandes statues mobiles, comme le Minotaure, sa demi sœur araignée Ariane, et enfin une certaine Lilith, créature mi-femme mi-scorpion décrite par les organisateurs du spectacle comme celle qui "contrôle le passage entre notre monde et celui des enfers". Sur l'affiche qui présente le spectacle, autour des trois protagonistes géants, une multitude de références peu rassurantes : églises dévorées par le feu, squelettes ambulants, ici un ange, là une créature rouge avec une tête de veau...
François Delarozière, metteur en scène de ce spectacle urbain de la Compagnie de la Machine, se défend de toute référence sataniste. "On raconte vraiment une histoire qui parle d'amour, de mort, de vie, d'au-delà, avec les grands mythes qui ont traversé des siècles (…) On a tous le droit de dire ce qu'on veut et ce qu'on pense, mais on n'a pas le droit de censurer ou d'interdire", a-t-il déclaré auprès de l'AFP. Le prologue de l'opéra a pourtant de quoi laisser songeur : "Chassée du jardin des Hespérides, Lilith, la femme scorpion, a trouvé refuge dans les profondeurs de la Terre. Libérée par Hadès, roi des enfers, elle erre de ville en ville à la recherche d'âmes damnées pour agrandir son peuple et son pouvoir. (...) Assemblant les signes prodigieux, elle tente d'ouvrir un passage vers l'au-delà." La scène I de l'acte I, jouée le 25 octobre, mettra même en scène "trois signes prodigieux", qui ne sont autres que "la croix de Satan, le Sigil de Lucifer et le signe de la bête".
Profitant du 350e anniversaire des apparitions du Christ à sainte Marguerite-Marie, Mgr de Kerimel a décidé de consacrer le diocèse au Sacré-Cœur de Jésus lors d'une messe célébrée ce mercredi 16 octobre, qu'il décrit comme un "acte spirituel qui protège notre ville de Toulouse et notre diocèse de ces menaces ténébreuses et de la désespérance". Nous avons besoin de sérénité, et pas de ténèbres", soutient auprès d'Aleteia le prélat qui voit dans cette consécration une manière de réagir "non pas dans l'esprit du monde, mais dans celui du Christ".
Une initiative "qui fait l'unanimité"
Le père Aymar de Langautier, prêtre de la paroisse Porte du Lauragais, aux portes de Toulouse, abonde. S'il reconnait avoir apprécié le premier opus du spectacle donné en 2018, il craint que cette deuxième édition soit "beaucoup plus sombre". "A-t-on vraiment besoin d'un tel spectacle ?", questionne le jeune prêtre. Si sa paroisse, située de l'autre côté du périphérique, n'est pas la première concernée par les événements, elle s'associera à l'acte de consécration qu'elle lira lors de la messe du soir, à 18h30. "Je le lirai également avec les enfants du patronage du Calvel", déclare le prêtre à Aleteia. Isabelle, paroissienne de la Sainte Colline à Toulouse, fera de même en allant à la messe dans l'église proche de chez elle. "C'est important, et c'est d'ailleurs une initiative qui fait l'unanimité, même auprès de ceux qui n'apprécient pas toujours les décisions de l'évêque" souligne-t-elle. "Je pense que les gens ne sont pas conscients de la teneur de ce spectacle. François Delarozière se cache derrière des références mythologiques, mais il ne faut pas être naïf, nous savons pertinemment que le message caché derrière est mauvais."
Les catholiques ne sont pas les seuls à manifester leur désaccord avec la tenue d'un tel spectacle dans les rues de la ville rose. La communauté protestante a elle aussi affiché sa désapprobation : "Nous aimons Toulouse pour son histoire, sa culture, et son dynamisme. (...) Toulouse, c’est la vie, c’est la joie, c’est le beau ! Or, les représentants des églises s’étonnent et s’alarment du choix thématique de cet acte, qui présente Toulouse comme 'la porte des ténèbres'", ont ainsi réagi les représentants de la Fédération protestante de France.
Redécouvrir le minotaure
Dans ce contexte, l'écrivain et universitaire Guillaume Sire proposera, en accord avec le diocèse de Toulouse, une conférence sur la "vraie histoire du minotaure" dans la cathédrale Saint-Etienne. L'objectif : mieux connaître ce monstre issu de la mythologie grecque, explique Guillaume Sire à Aleteia. "L'idée n'est pas d'ajouter de l'huile sur le feu", assure-t-il, "mais j'ai remarqué qu'avec cette polémique, les gens n'ont pas vraiment compris de quoi il s'agissait. Il faut dépassionner ce débat et clarifier un mythe qui a beaucoup à dire de notre époque contemporaine", affirme l'écrivain.
Loin du cliché offert par l'opéra urbain, le mythe du Minotaure aurait en réalité bien des choses en commun avec le monde judéo-chrétien, relève Guillaume Sire. "Il s'agit d'une autre forme de réponse, cette fois-ci d'ordre culturel, à ce spectacle", développe l'abbé Simon d'Artigue, curé de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse. "En tant que catholiques, nous ne pouvons pas nier le caractère dangereux de ce type de manifestations culturelles. Cela nous fait forcément réagir, car nous savons que cela touche à quelque chose de réel, de concret, de précis, et avec lequel on ne joue pas", assène le prêtre, qui regrette la banalisation occidentale du Diable. "Les occidentaux plaisantent trop avec tout ça, car ils n'y croient plus." Puis, citant Baudelaire : "La plus grande ruse du démon, c'est de faire croire qu'il n'existe pas."