Pendant la première guerre mondiale, le père Daniel Brottier, prêtre de la congrégation du Saint-Esprit, se porte volontaire comme aumônier militaire. Rattaché à la 26e division d’infanterie, il passe l’intégralité de la guerre en première ligne, secourant les soldats blessés, écoutant et confessant les mourants, sans jamais être blessé. Un "miracle" qu’il attribue à sainte Thérèse et qui va impacter sa vie, sa spiritualité et ses actions futures. À la fin de la guerre, il retrouve à Paris son ami Mgr Jalabert, auprès de qui il a œuvré en tant que missionnaire au Sénégal. Daniel Brottier lui raconte l’horreur de la guerre et s’étonne de s’en être sorti vivant. "Une balle avait même traversé, un jour, ma capote sans me toucher", s’exclame-t-il.
À ce moment-là, Mgr Jalabert, saisi d’une vive émotion, retire de son bréviaire une image double représentant sainte Thérèse de Lisieux, et la tend à Daniel Brottier. Ce dernier l’ouvre et découvre à l’intérieur sa propre photo, avec cette inscription écrite par l’évêque : "Petite sœur Thérèse, gardez-moi mon père Brottier". Mgr Jalabert dit alors : "Si vous cherchez qui vous a protégé, n’hésitez plus, c’est elle… Elle qui a assuré le miracle permanent de votre protection." Un témoin de l’époque, le père Paul Rigault, rapporte alors ce que Daniel Brottier lui confie peu après : "Ces paroles [de Mgr Jalabert] furent aussitôt pour moi une révélation bouleversante. Ainsi donc, l’œuvre que j’aurai à accomplir, pensais-je, ce sera une œuvre désirée par la petite sœur Thérèse. Et, au fond de mon cœur, je me mis à la disposition de Thérèse pour le moment que voudrait m’indiquer la Providence".
Une chapelle pour Thérèse
À partir de ce moment-là, Daniel Brottier, qui jusqu’alors se sentait assez peu porté vers la jeune carmélite de Lisieux (qui n’était pas encore béatifiée), se met à lire Histoire d’une âme, s’en trouve bouleversé et voue une intense dévotion à Thérèse. La Providence ne tarde pas à se manifester. En 1923, on propose à Daniel Brottier de reprendre la direction d’Apprentis d’Auteuil. L’institution compte alors 170 enfants et est criblée de dettes. Daniel Brottier, voyant dans cette demande un signe de Thérèse, accepte. "Lorsque Mgr Le Roy me parle de prendre la direction de l’Œuvre d’Auteuil, je sentis que c’était là que j’étais attendu par la petite sainte carmélite de Lisieux. C’est pourquoi j’acceptai, sans prévoir encore comment elle m’aiderait, mais sûr de sa pluie de roses".
"Ce serait son premier sanctuaire dans Paris même…"
À peine arrivé, alors que les finances sont catastrophiques, Daniel Brottier fonde le projet de construire une chapelle plus digne que le "hangar en briques" qui servait d’église jusqu’alors. Cette chapelle sera dédiée à Thérèse de l’Enfant-Jésus, en signe de reconnaissance pour sa protection pendant la guerre mais aussi pour offrir à "ses" jeunes orphelins une figure maternelle et protectrice.
Des signes du Ciel
Le jour même de son arrivée, le 21 novembre 1923, il écrit à la mère prieure du carmel de Lisieux pour lui exposer son idée et demander un signe de la Providence. "La chapelle que nous avons est insuffisante, laide, (…). Je voudrais en construire une donnant sur la rue, spacieuse, belle, servant aux Orphelins et aussi à notre quartier et la dédier à la bienheureuse. Ce serait son premier sanctuaire dans Paris même… et je suis persuadé que la bienheureuse aimera protéger mes chers enfants, et recevoir chez eux l’hommage des Parisiens qui ne manqueront pas de venir en foule à ce sanctuaire." Daniel Brottier propose à la prieure de considérer comme un assentiment de la Providence l’obtention des deux autorisations nécessaires au projet (celle de l’évêque de Paris et celle de son supérieur Mgr Le Roy). L'aspect matériel ne semble pas le troubler : il se montre totalement confiant dans le fait que "la chère petite bienheureuse se chargera de [leur] envoyer les quelques centaines de mille francs nécessaires pour la réalisation". Et il invite enfin le carmel à s’unir à la neuvaine récitée aussitôt pour ce projet.
"Thérèse sera leur petite maman."
En plus du feu vert du Ciel, Daniel Brottier attend un signe très concret de la part de Thérèse. Il lui demande de lui obtenir la somme de 10.000 francs avant son rendez-vous avec l’évêque de Paris le 30 novembre prochain. "Petite Thérèse, si vous voulez que je parle de votre chapelle au cardinal, faites que je reçoive 10.000 francs avant d’aller chez lui. Sinon, c’est que vous ne voulez pas de cette chapelle et je n’en parlerai pas." Le 30 novembre, la neuvaine s’achève. À 16 heures, Daniel Brottier doit rencontrer l’archevêque et le signe n’est toujours pas arrivé... Alors qu’il descend dans la cour pour héler un taxi, une dame s’approche : "Mon Père, je vous avais demandé, la semaine dernière, de prier pour mon enfant dont l’état était désespéré, il est guéri ! Voici une enveloppe en remerciement." Le père ouvre l’enveloppe, sûr de ce qu'il allait y trouver... L'enveloppe contenait 10.000 francs.
Lors de son rendez-vous avec l’évêque, ce dernier propose de prendre de jeunes saints comme modèles pour les jeunes orphelins, plutôt qu’une carmélite. Le père Daniel Brottier tient bon en soulignant la dimension toute maternelle de Thérèse : "Au contraire, ces enfants qui ont été privés si jeunes de l’affection d’une mère éprouvent un tel vide au cœur qu’ils s’attacheront de toute leur âme à cette jeune sainte à laquelle ils devront tout : elle sera leur petite maman". Selon la tradition, le père aurait ensuite murmuré : "Peut-être bien que mes garçons ne s’occuperont pas beaucoup d’elle, mais elle s’occupera beaucoup d’eux".
Une "très jolie robe" pour Thérèse
Le père Brottier va mener de front la construction de sa chapelle et Apprentis d’Auteuil dans la même confiance à la Divine Providence. La souscription pour le sanctuaire commence le 8 décembre 1923.
Les plans, conçus par les architectes Chailleux et fils, sont conçus pour une grande et belle basilique. "On me reproche de vouloir une chapelle trop luxueuse, mais c’est moi qui ai posé la question à la petite Thérèse. Je lui ai demandé : "Voulez-vous une robe simple ou une très jolie robe ?" Or, en quelques semaines, elle m’a envoyé une somme très importante… et j’ai compris". La première messe dans le sanctuaire est celle de Noël, le 25 décembre 1925. Désormais ouvert toute l’année au public, le sanctuaire Sainte-Thérèse abrite en permanence des reliques de sainte Thérèse, offertes par le Carmel de Lisieux en 1923, ainsi que le tombeau du bienheureux Daniel Brottier.
Tout au long de son apostolat, le père Daniel Brottier aura fait siennes les paroles de Thérèse qui invitent, presqu’aveuglément, à la confiance : "On n’a jamais trop de confiance en un Dieu si bon et si miséricordieux… C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire".
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