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profanation, vandalisme, église

L'église Sainte Madeleine à Angers profanée. Avril 2023.

Jean Duchesne - publié le 12/09/24
L’hostilité à la foi est inévitable parce que son accueil bute sur les impatiences de la raison. De façon générale, analyse l’essayiste Jean Duchesne, l’antichristianisme repose sur une interprétation réductrice de la foi qui isole certains de ses aspects en refusant de voir la cohérence de ses paradoxes.

La "christianophobie" est d’actualité. Chaque jour apporte des nouvelles de profanations d’églises, de persécutions de croyants, de dénigrement du clergé sous prétexte d’abus déclarés "systémiques", de caricatures dégradantes de la foi… Faut-il vraiment s’en étonner ? S’en émouvoir ? Se défendre ? Contrattaquer ? Il vaut peut-être la peine de se demander s’il vaut mieux tendre l’autre joue comme le Christ le préconise à la suite des Béatitudes (Mt 5, 39), ou bien vouer au triste sort des habitants de Sodome et Gomorrhe ceux qui se moquent des messagers de la Bonne Nouvelle (Mt 10, 14-15), ou encore ignorer l’agressivité suscitée et "aller son chemin", comme le fait Jésus en sortant de la synagogue de Nazareth (Lc 4, 30).

Grandeur et misère de la raison

Il est parfaitement légitime et sain de protester en argumentant, en faisant appel à la raison, à l’équité, au respect élémentaire des personnes et au droit. C’est d’ailleurs ce que fait Jésus lui-même lorsqu’après son arrestation, il met le garde qui vient de le gifler au défi de motiver sa brutalité : "Pourquoi me frappes-tu ?" (Jn 18, 23.) De même, saint Thomas More utilise au cours de son procès ses ressources de juriste pour disqualifier ce qui lui est reproché : il se lance dans des démonstrations et récuse la logique obtuse qui le condamne sans coup férir. 

Ces manœuvres ont le mérite de faire ressortir les contradictions ou les incohérences, voire la malhonnêteté des accusations, et de ne pas désespérer de la raison. mais elles s’avèrent finalement vaines. Ce n’est pas simplement parce qu’elles font appel à une autorité tout humaine et donc faillible et fragile — pour simplifier, celle de César (cf. Mc 12, 13-17), qui prétend absorber celle de Dieu ou s’y substituer, et imposer sa loi. Car, comme l’a fort bien vu le philosophe écossais des Lumières David Hume (1711-1776) en évitant toute théologie, la raison n’est jamais que "l’esclave des passions", c’est-à-dire de pulsions impérieuses qui l’instrumentalisent — et l’antichristianisme fait souvent partie des rages ratiocineuses.

Peut-on ridiculiser les croyances sans insulter les croyants ?

Les flottements et impasses de la rationalité actuellement en vigueur transparaissent chez nous dans le soi-disant "droit au blasphème". Il n’est enchâssé dans aucune loi. Cependant, d’une part la jurisprudence admet qu’il est légitime (au nom de la liberté d’expression) de discréditer des croyances. Et d’autre part elle condamne les injures aux croyants en tant que personnes (parce que cela incite à des discriminations et à la haine, et donc trouble l’ordre public, dont le respect conditionne la liberté de conscience). Mais distinguer entre croyances et croyants est très discutable, puisque ce qui est cru l’est forcément par des hommes et des femmes qui considèrent leur foi comme une composante essentielle de leur identité. 

Le laïcisme apparaît ainsi comme une de ces "idées chrétiennes devenues folles" – ici, la laïcité.

L’hostilité au christianisme a bien sûr eu et garde, partout où il est jugé subversif d’un pouvoir absolu, des formes bien plus brutales que l’insulte et la dérision. Mais, même dans ses versions les plus civilisées, la volonté de l’éliminer, ou du moins de le reléguer dans un passé révolu, s’avère décidément irrationnelle. Celui qui l’a le plus nettement signalé est Joseph Weiler (né en 1951), un Juif orthodoxe, éminent juriste de New York et de Harvard. Dans un essai publié en 2003, traduit en français sous le titre L’Europe chrétienne ? Une excursion (Cerf, 2007), pour désigner "la peur et l’embarras qui empêchent l’Europe de reconnaître le christianisme comme un de ses éléments constitutifs", il invente le mot "christophobie".

La laïcité s’est-elle autoengendrée ?

Ce qui pousse Joseph Weiler à lancer ce néologisme il y a plus de vingt ans est que toute référence au christianisme est délibérément écartée dans le projet alors en préparation d’une Constitution européenne. C’est comme si, fait-il observer, la sécularisation s’était engendrée toute seule dans l’histoire de l’humanité, alors que le principe en a été introduit par l’Évangile avec la distinction sans précédent entre César et Dieu, et établi par l’Église avec la théologie de l’ "autonomie des réalités temporelles". Sans parler des contributions du christianisme à la prise progressive de conscience de la dignité de la personne humaine. 

Il y a là une leçon : victime de persécutions ou, plus platement, de mépris, le chrétien ne peut pas se fier seulement à une rationalité woke qui lui rendrait justice en dénonçant l’oppression, car il lui est donné là d’espérer avoir part à la gloire du Fils humilié.

Finalement, effacer Dieu du paysage en le cantonnant dans la sphère du privé ou du périmé est déraisonnable, car cela crée un vide où alternent tyrannies et anarchies. Le laïcisme apparaît ainsi comme une de ces "idées chrétiennes devenues folles" – ici, la laïcité. Pour faire face au développement ces temps-ci de la "christophobie" évasive de 2003 en une "christianophobie" agressive et médiatisée, on peut tenter d’en discerner les ressorts, et même la signification, malgré l’arbitraire et les incompréhensions qui sous-tendent tout cela.

Les paradoxes de la foi

De façon générale, l’antichristianisme repose sur une interprétation réductrice de la foi. On s’empare d’un aspect ou d’une retombée qui paraît inacceptable dès qu’on l’isole en refusant de voir que le contraire, qui n’en est pourtant pas dissociable, n’est pas moins essentiel et vrai. Ainsi, le pouvoir du prêtre semble exorbitant si l’on ignore que c’est un service, lequel ne peut être rendu qu’au prix d’un renoncement et n’a pas pour but d’assujettir mais de libérer, et non pas de l’emprise d’autres, mais à l’opposé de l’égocentrisme qui pousse à croupir au fond de soi-même et à prendre sans donner gratuitement ni recevoir de peur de devenir dépendant.

Il ne s’agit pas de trouver un équilibre entre la croyance et les œuvres, la force et la pauvreté, l’espérance et la lucidité, etc., mais de ne pas les séparer.

Le fond ou la source de ce paradoxe est bien entendu ce que Dieu révèle de lui-même : en même temps tout-puissant et totalement humble, infiniment grand non pas bien que, mais parce que s’abaissant jusqu’à s’anéantir, "se vider de lui-même", et sans rien perdre (c’est la "kénose" de Ph 2, 7) ! La meilleure illustration de cette aporie est le contraste entre l’atroce échec public de la Passion et le triomphe si discret de la nuit de Pâques, qui ne doivent pas être disjoints. Il y a là une leçon : victime de persécutions ou, plus platement, de mépris, le chrétien ne peut pas se fier seulement à une rationalité woke qui lui rendrait justice en dénonçant l’oppression, car il lui est donné là d’espérer avoir part à la gloire du Fils humilié.

L’accueil du mystère

La participation promise et même déjà amorcée à la splendeur de la Résurrection n’épargne ainsi pas l’épreuve de la Croix. C’est pourquoi la "christianophobie" est, en un sens, non pas normale mais inévitable. Tant que l’annonce de la foi n’éveille pas une confiance filiale qui ouvre à l’accueil intuitif du mystère de Dieu, elle bute sur les conclusions hâtives d’intelligences asservies par des envies et des peurs, voire par des tentations d’irrévérence jouissive ou vengeresse, aiguisées par des aspirations à l’autosuffisance.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’antichristianisme est nourri par les chrétiens eux-mêmes. Il arrive qu’eux aussi s’accrochent à des approches et pratiques réductrices de leur foi et y trouvent un certain confort, en refoulant (parfois consciemment dans le cas d’abus) les symétriques et en donnant alors une image incomplète, faussée, incohérente et critiquable de ce qu’ils voudraient partager. Il ne s’agit pas de trouver un équilibre entre la croyance et les œuvres, la force et la pauvreté, l’espérance et la lucidité, etc., mais de ne pas les séparer. C’est bien sûr impossible sans l’aide de la grâce, et le meilleur moyen de l’accueillir est de commencer par la quémander.

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